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Paris. Palais Garnier. 15-II-2018. Onéguine. Ballet en 3 actes. Livret : John Cranko d’après Alexandre Pouchkine. Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski. Arrangements et orchestration : Kurt-Heinz Stolze. Chorégraphie et mise en scène : John Cranko. Décors et costumes : Jürgen Rose. Lumières : Steen Bjarke. Avec Eugène Onéguine : Mathieu Ganio, Tatiana : Ludmila Pagliero, Vladimir Lenski : Mathias Heymann, Olga : Myriam Ould-Braham. Et le Corps de Ballet de l’Opéra National de Paris. Orchestre de l’Opéra national de Paris, sous la direction de James Tuggle.
La reprise par l'Opéra de Paris du ballet Eugène Onéguine, chef-d'œuvre de John Cranko inspiré du roman en vers d'Alexandre Pouchkine, est une réussite. Cette distribution étoilée confie les rôles des protagonistes à des danseurs aguerris, qui ont mûri leur interprétation. Mathieu Ganio s'impose dans le rôle d'Onéguine et confirme son talent pour l'interprétation de ces personnages mélancoliques à forte intériorité.
Créé en 1965, le ballet de John Cranko est entré au répertoire de l'Opéra de Paris en 2009, dans une version remaniée en 1967. Cette entrée au répertoire a été pour le moins brillante puisque deux étoiles y ont été nommées, Mathias Heymann dans le rôle de Lenski, et Isabelle Ciaravola, inoubliable Tatiana. Le ballet a ensuite été programmé en 2011, où Mathieu Ganio a effectué sa prise en rôle en Onéguine, et en 2014 où c'est au tour de Ludmila Pagliero d'incarner Tatiana pour la première fois. Le quatuor d'étoiles que nous voyons ici incarner les rôles d'Onéguine/Tatiana et le couple Lenski/Olga a eu maintes fois l'occasion de peaufiner l'interprétation de leur personnage.
Pas de fausse note donc, mais une performance artistique retiendra plus particulièrement notre attention : celle de Mathieu Ganio à qui incombe la tache difficile d'interpréter un personnage complexe, désabusé et torturé par le « noble démon d'un ennui secret ». Hautain, il n'a pas son pareil pour véhiculer, à travers un sourire ou un regard, ce qu'il faut de froideur pour accabler de son mépris l'assistance campagnarde de l'entourage des Larine. Son jeu est toutefois suffisamment subtil pour que son Onéguine reste attachant. Dans le premier acte, il exprime toute sa mélancolie dans le solo éminemment romantique où, portant la main à son front, il semble toucher du doigt le spleen qui l'habite. Dans le deuxième acte, il est éclatant de cynisme. Ne prenant pas la peine de déguiser le mépris qu'il voue à l'assistance du bal, il se place ostensiblement à l'écart et n'accorde pas un regard à Tatiana. Devant l'insistance de la jeune fille, il lui rend sa lettre d'amour puis, comble de cruauté, la déchire sous ses yeux. Franchissant une nouvelle étape dans le registre de la provocation, il flirte avec Olga sous les yeux de Lenski. Malgré tout, jamais Ganio ne rend le personnage détestable ; travaillant l'ambiguïté des sentiments, il motive ses actes par ce mal de vivre typiquement russe et son désespoir est réel à la mort de Lenski.
Dans le dernier acte, Ganio est véritablement bouleversant. Il retrouve Tatiana en distinguée épouse du Prince Grémine, et, comble de l'ironie tragique, cette fois c'est lui qui est foudroyé par l'amour. Se précipitant dans la chambre de Tatiana après le bal, il lui offre, humblement, son amour, enfin débarrassé de sa morgue de jeunesse. Trop tard.
Ludmila Pagliero est une Tatiana juste, qui confère ce qu'il faut de tragique au personnage, sans jamais tomber dans l'exagération. Rêveuse dans le premier acte, sa Tatiana est encore une jeune fille romanesque et naïve. Les élans de son cœur se révèlent dans la très belle scène de l'écriture de la lettre. Alors qu'elle s'endort sur le papier dont l'encre est à peine sèche, Onéguine lui apparaît en songe et ils entament leur premier pas-de-deux. Les jambes s'entrecroisent avec brio, les portés vertigineux et les cambrés expriment l'abandon, l'extase d'un amour qui n'existera pas.
C'est dans le dernier acte que le personnage de Tatiana prend toute sa dimension tragique. Déchirée, elle trouve néanmoins la force pour repousser celui qu'elle a toujours aimé.
Le seul bémol viendrait du manque d'alchimie dans le couple formé avec Mathieu Ganio, qui trouvait sa partenaire idéale en Isabelle Ciaravola. Le pas-de-deux final est émouvant, certes, mais il lui manque ce supplément d'âme qui nous permettrait d'être complètement bouleversés.
Enfin, est-ce parce que l'élan de la première est passé et qu'une certaine lassitude s'installe à cette troisième représentation de la même distribution, mais tout n'était pas parfait. La fébrilité de Myriam Ould-Braham dans le premier acte l'a mise en difficulté pour effectuer les pirouettes et tours-fouettés. Si la prestation de Mathias Heymann est irréprochable, il ne se met pas en danger avec ce rôle, qu'il maîtrise sur le bout des doigts. Le corps de ballet n'était pas dans un grand soir : plusieurs imprécisions sont à noter, mains qui se cherchent, placements peu précis et un porté escamoté.
Cela n'enlève rien au fait que cette œuvre de Cranko jouit d'un succès mérité. D'une grande clarté dramatique, la chorégraphie est au service direct de l'histoire, et permet de croquer des rôles complexes, au-delà des personnages souvent stéréotypés des ballets académiques.
Crédits photographiques : © Julien Benhamou/ONP
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Paris. Palais Garnier. 15-II-2018. Onéguine. Ballet en 3 actes. Livret : John Cranko d’après Alexandre Pouchkine. Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski. Arrangements et orchestration : Kurt-Heinz Stolze. Chorégraphie et mise en scène : John Cranko. Décors et costumes : Jürgen Rose. Lumières : Steen Bjarke. Avec Eugène Onéguine : Mathieu Ganio, Tatiana : Ludmila Pagliero, Vladimir Lenski : Mathias Heymann, Olga : Myriam Ould-Braham. Et le Corps de Ballet de l’Opéra National de Paris. Orchestre de l’Opéra national de Paris, sous la direction de James Tuggle.