Les Contes d’Hoffmann à Monaco : Juan Diego Flórez passe aux choses sérieuses
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Monte-Carlo. Opéra Garnier. 31-I-2018. Jacques Offenbach (1819-1880) : Les Contes d’Hoffmann, opéra fantastique en un prologue, trois actes et un épilogue sur un livret de Jules Barbier, d’après la pièce écrite par lui-même et Michel Carré, inspirée de trois contes fantastiques d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décor et lumière : Laurent Castaingt. Costumes : David Belugou. Avec : Juan Diego Flórez, Hoffmann ; Olga Peretyatko, Olympia/Antonia/Giulietta/Stella. Nicolas Courjal, Lindorf/Coppélius/Docteur Miracle/Capitaine Dapertutto. Sophie Marilley, Nicklausse ; Rodolphe Briand, Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio ; Marc Larcher, Nathanaël ; Yuri Kissin, Hermann/Schlemil ; Antoine Garcin, Luther ; Reinaldo Macias, Spalanzani ; Paata Burchuladze, Crespel ; Christine Solosse, La Mère d’Antonia. Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo (chef de chœur : Stefano Visconti). Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction : Jacques Lacombe
Événement : Juan Diego Flórez, avec un Hoffmann d'exception, voit s'ouvrir devant lui le boulevard d'un répertoire plus dramatique.
À l'instar peut-être de Jacques Offenbach lui-même qui, juste avant sa mort en 1880, souhaitait passer « aux choses sérieuses » en écrivant enfin, avec Les Contes d'Hoffmann, un véritable opéra, le célèbre ténor péruvien délaisse l'insouciance rossinienne et les démonstrations à effets, d'opus souvent dépourvus de conséquences dramatiques. Ce virage dans une carrière exceptionnelle est l'occasion d'une prise de rôle amenée à faire date dans l'histoire du chanteur mais aussi dans celle du chef-d'œuvre. La séduction du timbre alliée à une confondante aisance face à la langue française, la fougue juvénile et un certain naturel scénique en font le Hoffmann idéal, en papillon amoureux auquel le livret de Jules Barbier le condamne.
On n'en dira pas tout à fait autant d'Olga Peretyatko, bien que le plaisir immense et rare d'entendre la même chanteuse dans les quatre rôles féminins nous fasse relativiser de menues réserves. La cantatrice russe nous a semblé plus à l'aise en Olympia (vraiment bluffante dans sa capacité à passer de l'automate à la femme de chair et de sang), dont le colorature correspond mieux à celle qui fut une très belle Gilda à Bastille la saison passée. Les arrêts sur aigus produisent tout leur potentiel comique dans la résonance particulière que leur offre l'acoustique de chambre de l'Opéra de Monaco. Cette beauté vocale de type stratosphérique est un brin légère pour Antonia comme pour la sensualité sinueuse de Giulietta. Même si les syllabes sont moins précises que celles de son partenaire (ce n'est pas la « tourteralle » qui nous contredira), on salue la lumière du timbre et le spectaculaire d'une prestation sans accroc.
Quatre rôles encore pour le remarquable Nicolas Courjal, voix noirissime tellement autoritaire d'entrée que l'on en vient à douter que l'orchestre ne disparaisse derrière ce chanteur d'exception, très certainement notre méchant préféré du moment (Méphisto, Gessler, Nicanor…) et, comme dit Hitchcock : « Plus le méchant est réussi, plus le film l'est. » Ce Lindorf/Coppélius/Miracle/Dapertutto entraîne effectivement la représentation vers les sommets. Quatre rôles enfin (décidément une spécificité de cet opéra) pour l'Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio de l'excellent Rodolphe Briand. Marc Larcher n'a que Nathanaël pour faire preuve de qualités idoines, Yuri Kissin, Antoine Garcin et Reinaldo Macias s'acquittant dans un français parfait de nombreuses apparitions jamais secondaires. Si la Mère d'Antonia est entre de bonnes cordes dans l'instrument de Christine Solhosse, on ne peut qu'être interloqué par la voix ce soir en lambeaux de Paata Burchuladze et assez peu séduit par les aigreurs imprévisibles qui ternissent le Nicklausse bien jouant de Sophie Marilley. On ne dira que du bien du très bon Chœur de l'Opéra de Monte-Carlo.
Jean-Louis Grinda a-t-il eu raison de ravaler la mise en scène qu'il avait conçue en 2010 pour ces même planches ? Non, si l'on considère qu'esthétiquement, il est allé tellement loin depuis (un Rheingold hautement séduisant, un Falstaff animalier d'une revigorante audace, un superbe Tannhäuser la saison dernière…) et qu'un écrin plus mémorable eût été le bienvenu pour la venue de Juan Diego Flórez. Oui, si l'on accepte son grand dépouillement scénique assez proche des spectacles en tournées d'Opéra Éclaté ou de la toute récente Co(opéra)tive, et si l'on lui reconnaît sa lisibilité. Un cadre de scène avec pendrillons apparents. Une volée de planches inclinées vers la fosse. Un alambic entre deux rangées de chaises sous une verrière pour le Prologue. Quelques perches d'écorchés abaissées des cintres au-dessus d'un paravent d'ombres chinoises pour l'acte I. Un piano et une tombe pour l'acte II. Une toile de plastique noire qu'on retire à vue pour l'acte III. Quelques très bonnes idées aussi, telle cette reproduction de l'Opéra Garnier monégasque en fond de scène, ces étudiants-buveurs en fil rouge de trois scénarios disparates, et, sur les dernières mesures, une bouleversante chute de feuilles de papier pour dire la pérennité de l'Art qui console. C'est d'un goût parfait, à l'image des costumes d'époque. C'est simple. Trop peut-être pour l'exigence de nos yeux d'enfants gâtés. Comme la direction entre deux eaux, manquant de puissance dramatique, de Jacques Lacombe (la véhémente conclusion du III, un des sommets de la partition, est expédiée) avec le choix d'une version de 2h40 qui emprunte le meilleur de Choudens et d'Oeser, nous assure-t-on. Il est vrai que l'on ne sait jamais ce qu'on va entendre lorsqu'on prend son billet pour le grand huit lyrique qu'est Les Contes d'Hoffmann, qu'Offenbach n'a hélas pas eu le temps de caler. Rappelons quand même la fière chandelle que l'œuvre doit à Monte Carlo, première scène à avoir fait jouer, en 1904, l'Acte Vénitien.
Le bonheur de suivre Juan Diego Flórez (couronné ce soir de l'Ordre du Mérite Culturel par S.A.R. la Princesse de Hanovre) dans le tournant stylistique que l'on a dit, balaie les quelques frustrations de la soirée. Un récent disque Mozart, un Orphée de Gluck à venir à Milan. Un futur Faust aussi : l'opéra français vient de récupérer une solide recrue.
Crédits photographiques : © Alain Hanel
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Monte-Carlo. Opéra Garnier. 31-I-2018. Jacques Offenbach (1819-1880) : Les Contes d’Hoffmann, opéra fantastique en un prologue, trois actes et un épilogue sur un livret de Jules Barbier, d’après la pièce écrite par lui-même et Michel Carré, inspirée de trois contes fantastiques d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décor et lumière : Laurent Castaingt. Costumes : David Belugou. Avec : Juan Diego Flórez, Hoffmann ; Olga Peretyatko, Olympia/Antonia/Giulietta/Stella. Nicolas Courjal, Lindorf/Coppélius/Docteur Miracle/Capitaine Dapertutto. Sophie Marilley, Nicklausse ; Rodolphe Briand, Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio ; Marc Larcher, Nathanaël ; Yuri Kissin, Hermann/Schlemil ; Antoine Garcin, Luther ; Reinaldo Macias, Spalanzani ; Paata Burchuladze, Crespel ; Christine Solosse, La Mère d’Antonia. Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo (chef de chœur : Stefano Visconti). Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction : Jacques Lacombe