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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 15-XII-2017. Richard Strauss : Elektra, opéra opus 58, en version de concert, Livret de Hugo von Hofmannstahl. Avec Nina Stemme, Elektra; Waltraud Meier, Clytemnestre; Gun-Brit Berkmin, Chrysothémis; Mathias Goerne, Oreste; Norbert Ernst, Egisthe; Bonita Hyman, Yaël Raanan Vandoor, Valentine Lemercier, Lauren Michelle, Kirsi Tiihonen, les cinq jeunes filles servantes; Amélie Robins, la confidente et la surveillante; Christophe Poncet de Solages, le jeune serviteur; Ugo Rabec, le précepteur d’Oreste; Patrcik Ivorra, le vieux serviteur. Choeur de Radio-France, direction : Victor Jacob. Orchestre Philharmonique de radio-France, direction : Mikko Franck.
La Philharmonie de Paris proposait dans la grande salle Pierre Boulez, en version de concert, l'Elektra de Richard Strauss, dans une distribution vocale idéale à cette heure, sous la direction, à la fois dense et raffinée, de Mikko Franck à la tête d'un Orchestre Philharmonique de Radio France en grande forme.
Richard Strauss, dans Elektra, a sans doute atteint les limites extrêmes de son langage musical et opératique, avant un inévitable retour à plus de classicisme : tension dramatique permanente, voix utilisées aux limites de leur tessiture ou de leur expressivité (en particulier pour le rôle-titre en scène durant quasiment toute la durée du drame), langage alternant épanchements mélodiques et bribes quasi atonales, orchestre pléthorique, dynamique globale poussée à l'extrême entre climax paroxystiques et minima quasi chambristes, climat global lourd alternant indicible terreur et noire jubilation.
On connait la légende. Agamemnon de retour de la guerre de Troie est assassiné en son palais de Mycènes par sa propre épouse et l'amant de celle-ci, Egisthe. Electre, l'une des filles du couple, vit dès lors en proscrite, en appelle à la vengeance du meurtre de son père et attend le retour de son frère Oreste pour en assumer la réalisation. Le livret d'Hugo von Hofmannstahl actualise la tragédie de Sophocle par cette condamnation à la fois à l'affût et à l'inaction de l'héroïne, véritable ressort dramatique « en creux » de l'ouvrage.
Dans ce maelström musical, Mikko Franck dirige les échanges de main de maître. L'enjeu de l'ouvrage réside plus dans l'affrontement des forces en présence, vocales et orchestrales, que dans leur équilibre, sans pour autant sacrifier au spectaculaire athlétique ou à la vocifération hystérique. Aussi sa direction, pourtant plus féline et instinctive qu'analytique, dégage une impression de maîtrise totale du sujet. On ne peut que louer l'admirable engagement de tout l'orchestre, en particulier la performance des cuivres rutilants à souhait et l' implication d'une petite harmonie aussi fruitée que venimeuse.
Mais évidemment, la réussite exemplaire de cette soirée passe par un trio féminin d'exception, mené par l'impressionnante Nina Stemme, véritable incarnation vocale et (même en cette version de concert) quasi scénique du rôle-titre : la puissance vocale doublée d'une parfaite maîtrise du vibrato d'émission permet une large palette expressive par la variété des couleurs vocales et des intentions psychologiques, depuis la raucité féroce de l'intervention liminaire jusqu'à la jubilation mortifère de la scène finale en passant par la défiance coléreuse lors de la rencontre avec Clytemnestre ou par la tendresse immanente lors de la scène de la reconnaissance d'Oreste, certainement l'un des moments les plus émouvants de la soirée. Waltraud Meier, au soir de son immense carrière, et toujours en excellente forme vocale, surtout dans l'aigu, a sensiblement réduit son répertoire et ses apparitions : sa Clytemnestre d'anthologie à la fois altière et fuyante, défiante et angoissée, se veut tout en nuances dans la plus grande concentration avec ce qu'elle suppose de morgue glaçante durant l'affrontement vocal avec sa fille Elektra. Gun-Brit Barkmin est une parfaite Chysothémis, à la fois par sa souplesse vocale et par la richesse de son approche fervente et humaniste. Par sa fraîcheur faussement naïve, elle campe avec grâce et engagement ce personnage plus positif et bien moins tourmenté parfois « sacrifié » dans certaines distributions, dans l'ombre des principales protagonistes. En Oreste, Matthias Goerne, certes impressionnant vocalement mais au timbre presque trop gourmé semble presque à l'étroit dans le rôle, par la relative brièveté de son intervention pourtant déterminante. La courte apparition de Norbert Ernst en Egisthe est un modèle du genre : parfait ténor de caractère il sait capter en quelques répliques l'attention et donne une parfaite idée de la couardise et de la félonie du sinistre personnage. Les rôles secondaires sont tous excellemment distribués, notons en particulier l'impressionnante première dame de Bonita Hyman, à la tessiture grave idéalement inquiétante.
Le public réserve au terme de cette oeuvre marquante aussi suffocante que tendue une ovation longue et méritée à toute cette équipe de choc. D'interminables salves de vivats et applaudissements ponctuent une soirée mémorable tant par la qualité de l'œuvre, l'engagement quasi expressionniste de l'interprétation que par le niveau de la distribution.
Crédit photographique : Nina Stemme © Neda Navaee
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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 15-XII-2017. Richard Strauss : Elektra, opéra opus 58, en version de concert, Livret de Hugo von Hofmannstahl. Avec Nina Stemme, Elektra; Waltraud Meier, Clytemnestre; Gun-Brit Berkmin, Chrysothémis; Mathias Goerne, Oreste; Norbert Ernst, Egisthe; Bonita Hyman, Yaël Raanan Vandoor, Valentine Lemercier, Lauren Michelle, Kirsi Tiihonen, les cinq jeunes filles servantes; Amélie Robins, la confidente et la surveillante; Christophe Poncet de Solages, le jeune serviteur; Ugo Rabec, le précepteur d’Oreste; Patrcik Ivorra, le vieux serviteur. Choeur de Radio-France, direction : Victor Jacob. Orchestre Philharmonique de radio-France, direction : Mikko Franck.