Les décors d’opéra à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle
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Même si le Palazzetto Bru Zane fête dignement depuis janvier le bicentenaire de la mort d’Étienne-Nicolas Méhul, cet évènement semble avoir été quelque peu oublié des maisons d’opéra.
Pour honorer comme il se doit celui que nous considérons comme le plus grand compositeur d’opéra en France durant la Révolution française, ResMusica a choisi de consacrer un dossier à l’opéra de cette période, étude qui mettra en exergue le rôle essentiel tenu par cet artiste, injustement déclassé au fur et à mesure des siècles passés. Assez peu travaillées par les musicologues et n’ayant pas passé la barrière du temps, ce sont des œuvres lyriques débordantes de fougue et d’inventivité que nous dépoussiérerons tout au long de ces quelques mois. Pour accéder au dossier complet : Bicentenaire Méhul
Alors qu'au début du XVIIIe siècle, les représentations d'opéras ne nécessitaient, du point de vue du décor, que quelques éléments emblématiques pour situer l'action, les artistes de la fin du XVIIIe siècle considèrent celui-ci comme un élément fondamental du spectacle et du drame.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, les acteurs jouaient dans une salle trop profonde limitant la visibilité du public, sur une scène exiguë et encore encombrée par les bancs des marquis. Les salles de spectacles manquaient également de lumière ; les chandelles qui fumaient, ne furent remplacées par des bougies qu'en 1720. La mauvaise acoustique obligeait les acteurs à jouer près de la rampe, statiques, en regardant le public de face et en déclamant très fort de façon souvent stéréotypée.
A la fin du XVIIIe siècle, les auteurs s'éloignèrent de l'écriture traditionnelle pour préférer un langage purement scénique. Cette démarche s'inscrit dans les revendications du philosophe Diderot qui réclamait ardemment l'imitation de la nature sur scène. La représentation scénique tenant une place prépondérante dans les opéras de la période révolutionnaire et de l'Empire, les décors se devaient d'être visuellement spectaculaires mais aussi, plus prosaïquement, assez imposants pour supporter le grand nombre de figurants sur scène. Cela n'était toutefois pas une innovation pour l'époque puisque dans la dernière décennie de l'Ancien Régime, les décors, les costumes et la mise en scène étaient des facteurs de nouveauté théâtrale. L'opéra de la période révolutionnaire n'aura plus qu'à accentuer les tendances amorcées et à perfectionner les aspects techniques de la représentation.
Dans Richard Cœur de Lion de Grétry (1784), les murailles du château au dernier plan représentant le lieu de séquestration du Roi Richard, rappelaient à chaque moment la quête de Blondel, même dans les instants détournés de l'action principale. Le château à l'arrière-plan était donc un élément emblématique de l'action qui se déployait sur scène.
Grâce à cette gravure de Claude Bornet, force est de constater que les décors sont désormais en relief. Alors qu'auparavant on plaçait symétriquement, de chaque côté de la scène, divers accessoires décoratifs, dorénavant, les éléments du décor sont disposés sur différents plans, créant une vision picturale désordonnée se rapprochant de la nature que voulaient tant imiter les artistes de ce siècle. Servandoni, le plus grand décorateur de ce temps, opta pour cette perspective oblique créée par Bibierra et reprise par Brunetti « suivant laquelle le ou les points de fuite d'une décoration se trouvèrent dispersés librement de part et d'autre de l'axe de la scène » (Marie-Antoinette Allevy, La mise en scène en France dans la première moitié du dix-neuvième siècle, 1938). Ce premier exemple présente tout de même une disposition binaire du plateau : à la gauche du spectateur se trouve une maison, à sa droite est disposé le banc. Cette découpe ne se trouve seulement que dans cette gravure et n'est pas indiquée dans la didascalie de Sedaine.
Ainsi, tout comme une peinture, le décor se compose de plusieurs plans : les personnages attablés et le banc se trouvent sur l'avant-scène, la maison à gauche et la tour à droite du spectateur sont au premier plan du décor, les murailles du château sont à l'arrière-plan. Techniquement, cette profondeur était créée par plusieurs moyens : l'arrière-plan devait être peint sur une toile alors que les bâtisses au premier plan paraîtraient être des éléments individuels mobiles. Ce que l'on peut remarquer également est la disposition des deux bâtiments au premier plan du décor. L'orientation de ces édifices dirige l'œil du spectateur vers l'arrière-plan. L'intrigue principale de la pièce est encore soulignée par l'organisation architecturale de ce décor.
La perspective du décor de l'acte I de Paul et Virginie de Le Sueur est moins structurée. A part une corbeille en osier, le centre du plateau est vide. Les habitations à droite et à gauche, disposées comme pour le décor de Richard Cœur de Lion, paraissent rudimentaires. La toile au fond de la scène est peu détaillée mais cela ne rend pas ce décor moins exceptionnel. Selon la maquette de Charles Percier, les arbres et les palmiers atteignaient le plafond du théâtre. De même les buissons et la composition florale semblaient luxuriants et riches de différentes sortes de variétés botaniques. Si cette iconographie est conforme au décor découvert sur scène à cette époque, le public ne pouvait être qu'époustouflé par la beauté et la qualité de ce travail.
L'éblouissement et le réalisme, voilà les attentes des amateurs du théâtre lyrique du XVIIIe siècle. Ces différents exemples en témoignent, mais les critiques de spécialistes comme de spectateurs avertis sont des documents encore moins contestables. Comme en atteste cet article du Journal des théâtres du 30 frimaire de l'an III, Elisa ou les Glaciers du Mont Saint-Bernard de Cherubini (1794) était reconnu autant pour ses décors que pour son intrigue et sa musique : « les décorations de cette pièce sont du plus grand effet ; l'avalanche est rendue avec une vérité frappante. Aucun de nos théâtres n'avait présenté jusqu'à présent, un tableau aussi fidèle des plus grands phénomènes de la nature […] On avait aussi demandé le machiniste ; Juliet a amené le citoyen Boulet, ci-devant attaché à l'opéra. Le public a couvert cet artiste, d'un talent si rare, des plus justes et des plus nombreux applaudissements. Pour faire sentir combien il le méritait, nous dirons que la décoration du théâtre ne consiste pas seulement en des châssis de côté ; mais que la scène est entièrement couverte par des ponts, des glaces, des précipices et des torrents. »
Au-delà d'une émotion suscitée par ces compositions majestueuses, les artistes devaient obligatoirement créer des décors imposants pouvant soutenir un nombre important d'acteurs. Au moment des scènes de batailles, les figurants incarnaient souvent une armée entière. Pour le troisième acte de Richard Cœur de Lion, en mettant en parallèle la didascalie de Sedaine et la gravure de Bornet, il peut être constaté que l'action et le décor vont dans le sens d'une même verticalité avec la présence des forteresses, des échelles, des escaliers et la destruction des fortifications (« la brèche tombe avec fracas »). Les troupes qui grimpent les murailles du château par l'escalier et les échelles, Blondel qui se « jette à genoux » et Marguerite qui s'évanouit, tout cela représente une action brutale, efficace voire choquante par son aspect prosaïque, au regard du « beau geste » dramatique.
« Le théâtre change et représente la forteresse déjà attaquée, Blondel en habit d'aveugle et Williams encourageant les assiégeants, cependant comme Blondel s'aperçoit que les assiégés reçoivent un renfort et semblent l'emporter, il se dépouille de ses habits d'aveugle, se trouve habillé en chevalier, il court dans la coulisse et en sort incontinent à la tête d'une troupe de Pionniers avec laquelle il va attaquer l'endroit faible dont il a parlé dans la pièce, pendant que Blondel travaille à faire une brèche. On voit paraître sur le haut de la forteresse le roi Richard sans armes qui fait des efforts terribles pour se débarrasser de trois hommes armés ; dans cet instant la brèche tombe avec fracas. Blondel court auprès du roi, perce un des soldats, lui arrache son sabre qu'il présente au roi. Ils ont bientôt mis en fuite ce qui reste de soldats dans la forteresse, alors Blondel se jette aux genoux de son maître qui l'embrasse, c'est dans ce moment que le chœur chante, « vive Richard », une fanfare très éclatante, c'est dans ce moment aussi que Marguerite suivie de tout le peuple paraît sur le théâtre, c'est dans ce moment qu'elle aperçoit son bien-aimé délivré de ses ennemis et ramené par Blondel, elle tombe sans force dans les bras de ses femmes qui la remettent à Richard. » (Didascalie de Sedaine)
Les décors, les costumes et la mise en scène sont liés à une même cause : la volonté d'éblouir et d'émouvoir le public. Cette exigence amène à faire évoluer l'opéra, est surtout l'opéra-comique, comme un art complet.
Première image : Lodoïska, aquarelle anonyme (s.d.). Bibliothèque nationale de France, Musée de l'Opéra.
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Même si le Palazzetto Bru Zane fête dignement depuis janvier le bicentenaire de la mort d’Étienne-Nicolas Méhul, cet évènement semble avoir été quelque peu oublié des maisons d’opéra.
Pour honorer comme il se doit celui que nous considérons comme le plus grand compositeur d’opéra en France durant la Révolution française, ResMusica a choisi de consacrer un dossier à l’opéra de cette période, étude qui mettra en exergue le rôle essentiel tenu par cet artiste, injustement déclassé au fur et à mesure des siècles passés. Assez peu travaillées par les musicologues et n’ayant pas passé la barrière du temps, ce sont des œuvres lyriques débordantes de fougue et d’inventivité que nous dépoussiérerons tout au long de ces quelques mois. Pour accéder au dossier complet : Bicentenaire Méhul