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Régis Campo, entre Académie et libertés

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À tout juste 49 ans,  a été récemment élu membre de l'Académie des Beaux-Arts, succédant à Charles Chaynes. Mais les honneurs n'ont nullement ralenti son rythme de travail. En témoignent ses deux dernières créations, commandes de l'ensemble TM+, qui viennent enrichir un catalogue comptant déjà deux opéras commandés par l'Arcal (Les quatre jumelles) et l'Opéra du Rhin (Quai ouest).

RCampo« L'Académie veille à accueillir toutes les esthétiques et je m'y sens entouré de génies et de grands créateurs. »

ResMusica : Comment devient-on académicien à 49 ans ?

: Comme pour toute élection, il faut rencontrer les membres des différentes disciplines de l'Académie des beaux-arts. Cette illustre Compagnie m'avait décerné depuis 1999 trois prix prestigieux dont le prix de la fondation Simone et Cino del Luca en 2014. Les membres de la section « Composition musicale » sont tous des amis. Avec , compositeur et directeur du Conservatoire supérieur de Paris, qui succède quant à lui au compositeur Jean Prodromidès, nous sommes les benjamins de la Compagnie. Mon fauteuil a été créé en 1967 pour Olivier Messiaen. Le Président de la République, Emmanuel Macron, a ensuite approuvé par un décret officiel nos élections – Le Président étant, par tradition, le protecteur des cinq Académies dont fait partie aussi l'Académie française.

RM : En quoi va consister votre fonction ?

RC : J'assiste aux séances à l'Institut de France en attendant ma cérémonie d'installation sous la Coupole où je porterai l'épée et l'habit vert devant mes pairs. Michaël Levinas, mon confrère et ami académicien, fera le discours d'introduction et j'aurai moi-même à rendre hommage à mon défunt prédécesseur Charles Chaynes. Claude Lévi-Strauss, qui était membre de l'Académie française, disait que les cérémonies sous la coupole constituent l'un des derniers rites fondamentaux de notre civilisation.

RM : Et lorsque vous serez dans le feu de l'action ?

RC : L'Académie veille à accueillir toutes les esthétiques et je m'y sens entouré de génies et de grands créateurs. J'adore la personnalité euphorisante de Laurent Petitgirard (notre secrétaire perpétuel) et celle d'Edith Canat de Chizy, la présidente de l'Académie. Cette Compagnie a toujours su rencontrer les tendances musicales fortes de son époque, en ayant compter parmi ses membres Berlioz, Milhaud, Messiaen, Xenakis ou encore Ligeti. Debussy voulut s'y présenter mais son cancer l'a alors emporté. L'Académie est gardienne de notre grand patrimoine culturel autant que tournée vers l'avenir, à la faveur des aides financières qu'elle prodigue très largement aux créateurs et aux plus jeunes d'entre eux.

RM : Venons-en à votre actualité de compositeur. L'ensemble TM+ dirigé par Laurent Cuniot, a récemment donné deux de vos œuvres en création, Street art et Amazing grace. Le titre de la première évoque aussitôt l'une de vos œuvres fétiches, Pop art.

RC : Street art pour ensemble est en effet la grande soeur de Pop art où je pousse encore plus loin mon travail sur le timbre et le rythme. Mon style y vampirise plusieurs influences comme la musique répétitive, la saturation, la techno, l'idée de ritournelle obsessionnelle. Je voulais une musique bruyante, criarde, agressive, violente même, une musique urbaine comme celle d'un Varèse et ses sirènes dans Amériques. Grâce à mon grand ami et compositeur Bruno Letort, producteur à Radio France et directeur du festival Ars Musica, Street art sera enregistré prochainement sur disque autour de ma musique par TM+ en 2018.

« Dans Street art, mon style vampirise plusieurs influences comme la musique répétitive, la saturation, la techno, l'idée de ritournelle obsessionnelle. »

RM : La seconde œuvre, Amazing grace, est un projet plus spécifique, celui de réunir plusieurs formations, en l'occurrence un groupe de steel-drums, de très jeunes instrumentistes et l'ensemble TM+ qui les encadre.

RC : C'est un peu une gageure mais j'avais déjà écrit pour de jeunes musiciens. L'expérience est riche d'enseignement et la pièce fonctionne très bien. C'est le pianiste Jay Gottlieb qui m'en a suggéré le titre, amusing jouant avec la proximité de amazing.

RM : Les steel-drums sont des instruments très populaires. Quelle relation entretenez-vous avec les musiques de tradition orale ?

RC : Je les intègre volontiers à mon écriture, à la manière d'un Stravinski, d'un Berio ou d'un Ligeti. Ce sont des portes ouvertes sur d'autres sonorités, d'autres temporalités et intonations. Mari Kodama et Momo Kodama créeront la version pour deux pianos d'Amazing grace. Cette œuvre avec Street art (et notamment mon trio Swag ! ou Steamy punk composée pour la flûtiste Mihi Kim) symbolisent deux années extrêmement fécondes et euphoriques, composée de moments parfois surréalistes et remplies de magnifiques rencontres.

RM : Vous avez été l'élève de au CNSM de Paris, l'un des pionniers du courant spectral. Avez-vous été tenté de suivre sa voie ?

RC : J'ai toujours évité de rentrer dans une catégorie et mon professeur me reprochait implicitement de ne pas composer dans sa direction. Ma conception horizontale et très mélodique de la musique l'insupportait. A l'issue du concert des prix de composition où je présentais mon oeuvre Commedia pour orchestre, Grisey a eu cette phrase pleine de sous-entendus : « Vous savez que l'on peut composer à deux voix aussi ? »

RM : Inclassable donc, vous semblez aussi épris de liberté.

RC : De liberté perpétuelle. Comment vous dire ? Je cherche toujours un nouveau coin d'oreiller frais !

RM : Ce qui ne vous interdit pas de vous nourrir de toutes les ressources que vous offre l'héritage musical.

RC : Je convoite cet héritage comme un mille-feuille esthétique mais je tâche de placer cette gourmandise au rayon de la pâtisserie fine.

RM : S'agissant de goût précisément, quelles sont les musiques que vous n'aimez pas?

RC : Précisément tout ce qui est un peu gras et difficile à digérer. La musique de John Adams par exemple l'est devenu avec le temps. Je déteste également l'attitude pantouflarde de certains compositeurs dont l'écriture anachronique nous ramène en arrière. Ou encore le ressentiment d'un Michel Legrand crachant son venin sur Pierre Boulez ou même sur les jeunes compositeurs de musique de film. Cela me navre même si je n'ai pas une très grande passion pour la musique de Boulez. Aujourd'hui, les jeunes compositeurs n'ont rien à faire avec Legrand ou Boulez ! Il faut toujours s'ouvrir aux nouvelles générations : heureusement, Henri Dutilleux, Olivier Messiaen, Maurice Ohana ou bien Nadia Boulanger étaient toujours entourés de jeunes créateurs.

RM : L'opéra semble concentrer tous vos espoirs.

RC : L'opéra connait une nouvelle jeunesse et semble s'être régénéré. Prenez Angels in America de Peter Eötvös ou les opéras géniaux de Michaël Levinas ou de … Mon rapport à l'opéra, à la voix chantée, est d'ordre viscéral, charnel et obsessionnel. J'y exclus résolument la voix parlée. J'aime le chant pur, sans artifice ni amplification.

« Mon rapport à l'opéra, à la voix chantée, est d'ordre viscéral, charnel et obsessionnel. »

RM : Comment s'est fait le choix du livret de vos opéras ?

RC : J'ai choisi et adapté moi-même celui des Quatre jumelles à partir de la pièce de Copi. Ce ne fut pas le cas pour Quai ouest mais j'ai adoré cette proposition de porter une pièce de Koltès à l'opéra.

RM : Et les chanteurs dans tout cela ?

RC : Ils sont tout pour moi ! Ils sont souvent ballottés entre les exigences d'un metteur en scène, du compositeur ou du chef d'orchestre. Le travail scénique engendre certes des tensions et des frictions d'egos, mais je l'assimile à un grand jeu d'équipe qui devient rite de passage (un mois de travail avant la première!) vers une expérience sacrée, la création de l'ouvrage lyrique proprement dit. La première d'un opéra est alors tellement intense et magique !

Crédit photographique : Patricia Quinard

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