Atmosphère électrique pour la reprise de l’Aida de Benedikt von Peter à Berlin
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Berlin. Deutsche Oper Berlin. 07-X-2017. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Aida, opera lirica en quatre actes. Livret d’Antonia Ghislanzoni d’après une intrigue d’Auguste-Édouard Mariette, créé au Caire le 24 décembre 1871. Mise en scène : Benedikt von Peter. Jeu de scène : Eva-Maria Abelein. Décors : Katrin Wittig. Costumes : Lene Schwind. Vidéos : Bert Zander. Dramaturgie : Dorothea Hartmann. Avec : Ante Jerkunica, Le Roi ; Anna Smirnova, Amneris ; Tatiana Serjan, Aida ; Jorge de León, Radames ; Ievgen Orlov, Ramfis ; Noel Bouley, Amonasro ; Gideon Poppe, un messager ; Meechot Marrero, une prêtresse. Chor der Deutschen Oper Berlin (chef de chœur : Jeremy Bines) ; Orchester der Deutschen Oper Berlin, direction musicale : Giampaolo Maria Bisanti.
Huée en 2015 à sa création, la production d'Aida de Benedikt von Peter triomphe cette saison pour une reprise de très haute intensité, grâce au changement de direction musicale et d'une partie de la distribution. L'orchestre magnifique en arrière-plan et le chœur incroyable, disséminé parmi le public, augmentent la qualité d'une soirée électrique dont l'auditeur ressort pétrifié.
Moins médiatisée qu'une nouvelle production, une reprise peut pourtant apporter des surprises en trouvant un meilleur équilibre que lors d'une création. C'est le cas de l'Aida du Deutsche Oper Berlin, créée sans bruit en 2015, sauf celui des huées à la fin de la représentation pour accueillir l'équipe scénique.
Cette fois, pas de metteur en scène aux saluts, et un concept global toujours discutable dans l'adaptation du livret, pour un résultat cependant incroyable de puissance, en majeure partie grâce au chœur, mais aussi à la distribution et la direction. Devant le parterre, pas de fosse, mais directement la scène, qui se prolonge au milieu afin de créer un proscenium pour les chanteurs. L'orchestre est donc au fond de la salle, derrière un rideau transparent ; il n'apparaît que lorsque les lumières des pupitres s'allument.
Dans une atmosphère sombre se dessine un unique bureau de chercheur, avec microscope, lampe et chaise, et des écrans de tubes cathodiques posés à terre, dont l'un, en hauteur, apporte en gros plans les objets de tous les jours et y insère à l'occasion des images de voyages en sépia. Omniprésent, Radames devenu explorateur moderne, cherche le fantasme d'une Aida, avec laquelle il se serait marié dans le passé, pour oublier sa vie présente avec Amneris. L'idée s'arrête ici, et les penchants psychologiques des personnages ne sont pas particulièrement bien traités, surtout par le manque de charisme naturel d'une partie de la distribution. Pourquoi le résultat passionne-t-il alors autant ? Parce que Benedikt von Peter a occulté tous les penchants grandiloquents de l'œuvre pour lui donner un caractère chambriste qui la magnifie.
Mais surtout, il utilise l'espace pour amplifier les situations. Il fait apparaître les rôles de basses exclusivement sur les balcons, donnant un parfum irréel à leurs interventions, et utilise une technique déjà connue, mais toujours aussi impressionnante, d'insertion du chœur parmi le public. L'idée surpuissante, surtout quand on ne s'y attend pas, et à condition d'être un spectateur du parterre, car les auditeurs du second balcon ne peuvent malheureusement profiter du spectacle de la même façon. Encerclé par des membres du chœur disséminés dans toute l'assemblée et les loges du premier balcon, l'arrivé du messager – excellent Gideon Poppe – et les réponses du peuple dans ses « Guerra » trouvent une incroyable violence, et laissent le public médusé autant que fasciné, d'autant qu'à quelques petits décalages évidents vu la difficulté de la mise en place, le Chor der Deutschen Oper Berlin, préparé par Jeremy Bines, signe une prestation digne des plus grands soirs d'opéra. Le chœur de femmes lors de la scène II passionne tout autant, et donne aux prêtresses un caractère mystique absolument prodigieux.
L'Orchester der Deutschen Oper Berlin mérite les mêmes éloges : pas un écart ne se fait entendre de la soirée. Les pupitres de bois, impeccables à chaque solo, s'ajustent à des cuivres chauffés à blanc, les trompettes tout particulièrement, et à une direction un rien maniériste de Giampaolo Bisanti, mais le plus souvent toute en finesse dans le traitement de la partition, ajustée au cordeau à la mise en scène et à la gestion très complexe de la spatialisation du chœur et des chanteurs. Parfois hors-style et trop germanique dans les opéras italiens, la formation berlinoise possède ce soir, grâce au chef italien, une légèreté et un caractère solaire rarement entendus.
Il fallait aussi des individualités solides pour tenir les rôles principaux, à commencer par le rôle-titre, repris par une superbe Tatiana Serjan dont la présence scénique n'atteint pas celle d'une Netrebko et la prestance vocale celle d'une Radvanovsky, mais qui impressionne toutefois dans le chant comme dans le jeu. Si elle n'atteint pas le mi bémol lors de la scène de la victoire, la soprano magnifie malgré tout nombre de ses parties, dont l'air du Nil et tout le dernier acte. Anna Smirnova est une Amnéris de grande qualité, mais il lui manque un charisme tant scénique que vocal, et bien qu'elle tienne parfaitement toutes ses parties, cela ne la hisse pas au niveau des plus grandes dans le rôle.
Le Roi d'Ante Jerkunica laisse s'épancher ses beaux graves et dépasse d'abord largement l'Amonastro de Noel Bouley dans la chaleur du timbre, même si celui-ci se réchauffe tout au long de la soirée. Ievgen Orlov campe une basse idéale pour Ramfis, encore plus profond dans le grave que les deux autres, et qui ajoute par la couleur un attribut mystique à ses interventions. Le héros est pourtant ailleurs : nous avions certes suivi la carrière de Jorge de León ces dernières années, et savions qu'il avait déjà triomphé en Radames à Milan ou Vienne ; mais nous n'avions pas évalué à quel niveau le ténor était arrivé, tant sur la puissance que sur la tenue héroïque d'une voix parfaitement placée, qui ressort de tous les ensembles et magnifie les arias, à commencer par le plus célèbre, Celeste Aida !
Crédits photographiques © Marcus Lieberenz
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Berlin. Deutsche Oper Berlin. 07-X-2017. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Aida, opera lirica en quatre actes. Livret d’Antonia Ghislanzoni d’après une intrigue d’Auguste-Édouard Mariette, créé au Caire le 24 décembre 1871. Mise en scène : Benedikt von Peter. Jeu de scène : Eva-Maria Abelein. Décors : Katrin Wittig. Costumes : Lene Schwind. Vidéos : Bert Zander. Dramaturgie : Dorothea Hartmann. Avec : Ante Jerkunica, Le Roi ; Anna Smirnova, Amneris ; Tatiana Serjan, Aida ; Jorge de León, Radames ; Ievgen Orlov, Ramfis ; Noel Bouley, Amonasro ; Gideon Poppe, un messager ; Meechot Marrero, une prêtresse. Chor der Deutschen Oper Berlin (chef de chœur : Jeremy Bines) ; Orchester der Deutschen Oper Berlin, direction musicale : Giampaolo Maria Bisanti.