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La voix de Raquel Camarinha et l’orchestre de Philippe Manoury à Musica

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Strasbourg. Festival Musica
23-IX-2017. Palais de la Musique et des Congrès, salle Érasme. Philippe Manoury (né en 1952) : Ring pour grand orchestre spatialisé ; Claude Debussy (1862-1918) : Première Suite pour orchestre, 3e mouvement : Rêve, orchestration de Philippe Manoury ; Richard Strauss (1864-1949) : Don Quichotte poème symphonique pour violoncelle et grand orchestre op. 35. Edgar Moreau, violoncelle ; Nathan Braude, alto ; Gürzenich-Orchester Köln ; direction : François-Xavier Roth.
24-IX-2017 : Salle de la Bourse. Claude Debussy (1862-1918) : Ariettes oubliées, mélodies sur des poèmes de Paul Verlaine extraits des Romances sans paroles ; Kaija Saariaho (née en 1952) : Leino Songs, mélodies sur des poèmes de Eino Leino ; Thomas Adès (né en 1971) : Blanca Variations pour piano ; Life Story pour voix et piano sur un texte de Tennessee Williams ; George Crumb (né en 1929) : Apparition, Mélodies et vocalises élégiaques pour soprano et piano amplifié sur des poèmes de Walt Whitman. Raquel Camarinha, soprano; Yoan Héreau, piano.

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a-la-conquete-de-l-espace-acoustique,M169703Le compositeur avait les honneurs de Musica durant le premier week-end du festival qui mettait à l'affiche, en partenariat avec l'Opéra du Rhin, son « Thinkspiel » Kein Licht, et donnait à entendre en création française Ring, une pièce d'orchestre spectaculaire investissant l'espace de la Salle Érasme du Palais de la Musique et des Congrès. Le lendemain matin, dans l'intimité de la Salle de la Bourse, c'est la soprano Raquel Camarihna qui nous enchantait. Autre héroïne de cette édition 2017, elle incarnait déjà La Mère dans La Passion selon Marc de Michaël Levinas, affrontait Le Marquis dans La Passion selon Sade de Bussotti et tenait le devant de la scène dans un récital aux côtés du pianiste Yoan Héreau.

Bien avant , le génial visionnaire qu'était Berlioz soutenait que l'originalité d'une partition d'orchestre impliquait le renouvellement du dispositif instrumental. C'est ce qu'appelle aujourd'hui de ses vœux notre compositeur de la Trilogie Köln. Le triptyque lui a été commandé par , Generaldirektor de la ville de Cologne, dans le cadre de la résidence du compositeur auprès du prestigieux Gürzenich Orchester Köln. Après In situ donné à Musica en 2014, Ring est la deuxième partition à voir le jour, qui figurera en tête de la Trilogie.

Deux plateaux de front et trois à l'arrière du public ont été érigés en vue d'une spatialisation totale de l'orchestre – « l'anneau » suggéré par le titre – qui situe l'auditeur au cœur du son. Autre manière de bousculer le rituel du concert, mais la chose n'est pas inédite, est l'idée de mêler à la rumeur du public qui commence à s'installer le jeu semi-aléatoire des musiciens de l'orchestre, avant la prise en mains du chef, , que l'on devine aux côtés des instrumentistes, assis sur le rebord de l'estrade. Après cette « mise en bouche », il prend les commandes de l'imposante machine orchestrale, à l'œuvre durant quelques trente minutes à haute tension. Mais le rendu sonore n'est pas à la hauteur de nos attentes, l'écriture par blocs sonores souvent compacts créant paradoxalement une inertie du son. L'écriture profuse, l'utilisation sans modération des steel-drums – décidément très appréciés des compositeurs d'aujourd'hui -, les effets de « plein-jeu » très agressifs et un rien gratuits que l'on subit sans en apprécier la plénitude, déçoivent. Plus subtil et virtuose est le transfert de la pensée électronique dans l'écriture des masses orchestrales. L'ombre de Répons se profile et de beaux effets en ressortent : tels ces sons toupies très spectaculaires qui animent une dernière partie plus décantée où la matière s'hybride au contact des percussions métalliques. Les « cloches » qui résonnent dans les dernières minutes de la partition ne sont pas sans évoquer certains chefs d'œuvre de l'héritage.

C'est à toujours que l'on doit la partition d'orchestre de Rêve donnée en début de seconde partie de concert sous le geste fringant de . Il s'agit du troisième mouvement de la Première Suite d'orchestre du tout jeune Debussy (1882-84) dont les Éditions Durand ne possédaient que la version pour piano à quatre mains. Si le traitement des cordes un rien incisives surprend, les bois ondoyants, la diversité des plans sonores et les traits de lumière fulgurants enchantent une écriture qui n'a pas encore trouvé sa temporalité singulière.

est un compositeur haut placé dans le panthéon manourien. De fait, le concert s'achève avec les Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque du Don Quichotte, invitant le violoncelle solo d' secondé par l'alto de Nathan Brande, super soliste du « Gürzenich ». L'orchestre luxuriant émaillé de trouvailles sonores et autres touches pittoresques (la machine à vent), qui conte les aventures du chevalier à la triste figure, s'éploie dans toute sa splendeur sous la direction magnétique de François-Xavier Roth. Si le violoncelle d' est plus lyrique qu'éloquent, on est séduit par la beauté du timbre et la sonorité généreuse qu'il tire de son bel instrument. Plus théâtral et incisif est l'alto de Nathan Brande, révélant une personnalité très affirmée. L'énergie circule ce soir dans les rangs de cette magnifique phalange allemande pour faire flamboyer les couleurs straussiennes dans un poème symphonique qui fut créé par ce même orchestre, à Cologne, en 1898.

Les matinées de Musica

131096Ce que les chanteurs font très rarement (chanter à onze du matin !), l'assume quant à elle avec un naturel confondant, partageant la scène avec l'excellent pianiste Yoan Héreau, partenaire à la ville comme à la scène.

Anticipant de quelques mois la célébration du centenaire de la mort de Debussy, la soprano débute par les six mélodies des Ariettes oubliées, avec une voix gracile au médium soyeux qui sert idéalement l'arabesque debussyste et la délicatesse du verbe poétique. La diction est parfaite et la voix très homogène dans un équilibre bien senti entre chant et piano. L'émotion affleure toujours, plus intense encore dans Green (redonné en bis), cette « offrande » à laquelle la soprano confère une fraicheur et un ensoleillement merveilleux. Les quatre mélodies de , Leino songs, qu'elle interprète ensuite, sont en finnois, écrites sur les poèmes de Eino Leino. Intégrant une partie de piano très volubile, elles semblent solliciter une « grande voix », avec plus d'épaisseur et de profondeur que n'en confère , du moins dans les trois premières. En revanche, Prière du soir est une splendeur, chantée sotto voce dans les deux premières strophes avant que le voile ne se déchire. La soprano en souligne le relief dramatique, emmenée par le piano très évocateur de Yoan Héreau.

Le pianiste est seul à son instrument dans les Blanca Variations de (2015), une pièce de concours d'une insolente virtuosité qu'aime déployer le compositeur et pianiste britannique. Force est de constater qu'elle est aussi très séduisante dans l'interprétation de Yoan Héreau, qui confère à l'écriture son caractère ludique, étrange et presque improvisée … des aspects qui se retrouvent dans sa Life Story ( a rejoint son pianiste) sur un texte de Tennessee Williams. La manière y est un rien vulgaire et le texte volontairement trivial. La soprano s'y soumet avec un talent scénique et une gouaille ad hoc. C'est avec Apparition (1979) de l'Américain qu'elle termine son récital. Narrative et aventurière comme toute sa musique, mais néanmoins profonde voire métaphysique, l'œuvre – la première du catalogue de Crumb pour voix solo et piano – s'articule en six séquences portées par des textes de Walt Whitman. La voix de la soprano y est tour à tour fragile, joueuse et enjôleuse, imitant parfois le chant des oiseaux (« Song of the Nightbird ») sous les résonances d'un piano/harpe ou tampura, Yoan Héreau jouant autant sur le clavier que dans les cordes de son instrument : bel hommage rendu par nos deux interprètes à ce pionnier du son-bruit qui explore toujours plus avant l'univers sonore en transgressant les genres, les styles et les habitudes de jeu.

Crédits photographiques : Philippe Manoury © Olivier Roller ; Raquel Camarinha et Yohan Héreau © Paul Montag

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24-IX-2017 : Salle de la Bourse. Claude Debussy (1862-1918) : Ariettes oubliées, mélodies sur des poèmes de Paul Verlaine extraits des Romances sans paroles ; Kaija Saariaho (née en 1952) : Leino Songs, mélodies sur des poèmes de Eino Leino ; Thomas Adès (né en 1971) : Blanca Variations pour piano ; Life Story pour voix et piano sur un texte de Tennessee Williams ; George Crumb (né en 1929) : Apparition, Mélodies et vocalises élégiaques pour soprano et piano amplifié sur des poèmes de Walt Whitman. Raquel Camarinha, soprano; Yoan Héreau, piano.

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