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La vulgarisation musicale, bienfait ou danger ?

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La notion hautement humaniste et précieuse de vulgarisation a de beaux jours devant elle. Toutefois, ne doit-elle pas se prémunir face au développement galopant de la trivialité et de l’hyper-simplification ?

La vulgarisation, noble et hautement bénéfique, résulte de la diffusion des connaissances et des pratiques dans l’optique de mettre le savoir au contact d’individus ou de collectivités qui n’ont pas l’expertise des sujets abordés. Elle est censée participer au partage de l’information, et mettre en contact le profane avec une multitude de sujets et de connaissances dont il peut ensuite s’imprégner et s’enrichir. Elle est diffusée par la relation directe avec ceux qui maîtrisent leur domaine, mais aussi par certaines émissions de télévision ou de radio, par les livres et d’une autre manière par les salles de concert, les musées, les conservatoires, les universités, les conférences et les potentialités illimitées des médias modernes.

Une autre vulgarisation, outrancièrement simplificatrice et niveleuse

Mais cette authentique avancée vers le partage démocratique se trouve de plus en plus souvent dramatiquement dévalorisée par une autre vulgarisation, outrancièrement simplificatrice et niveleuse, au point que toute difficulté, toute complexité, tout appel à la réflexion se trouve anéanti. Il s’agit d’une menace tangible, culturelle et intellectuelle, qui ravage le bon sens, la notion d’opiniâtreté, de patience et de courage.

À titre d’exemple on peut avancer que le baccalauréat pour tous a largement contribué à sa dévalorisation, comparable à un effondrement boursier de grande amplitude, et à l’appauvrissement abyssal du niveau de connaissance des étudiants. La musique est-elle menacée d’un pareil cataclysme ?

Deux formes de vulgarisation, deux mondes en fait, se côtoient et s’ignorent tant ils s’adressent à des clientèles dissemblables dans la plupart des cas.

La musique enseignée par les conservatoires impose un réel niveau d’exigence, amenant les élèves à acquérir un bagage indispensable. De même, l’étude de l’histoire de la musique, des compositeurs, des interprètes, des instruments, de l’évolution des esthétiques passe par une soif de culture et un désir de découvertes long et exigeant.

Ce cheminement généreux, source de grandes satisfactions, est de plus en plus torpillé par la généralisation des « savoirs-minutes » avancés par des personnes souvent incompétentes dont l’assurance et la morgue conduisent trop de spectateurs à s’imaginer que l’absence de toute difficulté et d’autre cheminement volontaire constitue la règle.

L’écart entre l’appel à l’intelligence et au bons sens, d’une part, et la confortable ignorance, de l’autre, se creuse chaque jour davantage.

Retirer tout le sel et le cérémonial qui conduisent à l’appréciation intime et profonde de l’art musical ne reviendrait-il pas à s’imaginer que le Graal musical est atteint dès lors qu’une œuvre magnifique, plaisante ou introvertie, n’a plus de secret une fois interprétées les trois premières mesures ? Il ne viendrait à l’esprit de personne – ou malheureusement si – de simplifier jusqu’à l’outrance la complexité de la fusion nucléaire, des mathématiques de haut niveau, des techniques spatiales, des textes philosophiques et métaphysiques les plus exigeants…

Le torpillage des « savoirs-minutes »

La musique a vocation à mettre tout en œuvre pour conduire les nouveaux venus sur un chemin exigeant une participation active, une patience à toute épreuve et une humilité profonde. Il convient de leur faire toucher du doigt ce qu’est le travail de maîtrise d’un instrument, de la composition et d’acquisition des connaissances. Non, la chose n’est ni aisée ni immédiate. Plus encore, elle se positionne en totale opposition avec l’immédiateté assurée, mensongère.

Le monde merveilleux et multiple de la musique ne doit pas dévoyer ses richesses et la batterie d’activités psychologiques et instrumentales qui les accompagnent obligatoirement. Il perdrait gros en abandonnant ses règles et ses traditions en attirant d’éventuels futurs adhérents avec des propos simplificateurs qui, finalement, risqueraient de conduire à un fiasco encore plus total.

Rien à voir, bien au contraire, avec la mise en place des concerts éducatifs pour les plus jeunes. Quel intérêt y a-t-il de faire croire qu’il suffirait d’entendre les quatre notes du Destin de la Symphonie n° 5 de Beethoven pour qu’on se targue de connaître l’œuvre symphonique du grand maître allemand ?

Il ne nous semble pas déraisonnable de penser qu’une authentique vulgarisation de la musique devrait servir de starter à l’appréhension et à l’approfondissement de ses trésors, tant au plan de l’interprétation instrumentale qu’à celui de l’écoute.

Il en est de même à propos de l’histoire de la musique et de l’écoute musicale. Ainsi, cet homme d’un âge déjà avancé qui, après avoir entendu son enfant lui dire combien la découverte de l’œuvre de Jean Sibelius le fascinait, ricana d’un air suffisant : « Mais bien sûr, on connaît la Valse triste. Enfin ! »

Il convient d’insuffler une forte dose de modestie, d’humilité et de respect dans notre approche de tout domaine culturel – et autres –, auquel les meilleurs ont consacré une grande part de leur énergie et de leur talent. Ne faut-il pas avoir la sagesse de se convaincre que toute simplification outrancière ne peut conduire qu’à des dommages sérieux où règnent en maître une prétention insupportable et une propension au ridicule ?

En ce qui concerne le monde de la musique, tout contact raisonnable engendre des myriades de joies intenses et de satisfactions merveilleuses. Mais l’on aboutirait à une contre-production dommageable en éliminant de manière factice les difficultés et embûches qui se dressent naturellement sur le chemin du savoir.

 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la rédaction.

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6 commentaires sur “La vulgarisation musicale, bienfait ou danger ?”

  • Philippe RAMEZ dit :

    Bonjour Mr Caron.
    J’ai lu votre article avec beaucoup d’attention, mais je reste dubitatif…et songeur.
    Je possède des centaines d’enregistrements de musique dite « classique » – même si je n’aime pas ce mot – sur vinyles, CDs, DVDs, dématérialisés… Je suis abonné sur Internet et sur papier à tout ce qui peut se lire sur la « Grande Musique » comme on disait dans les années soixante… J’ai assisté à des concerts prestigieux des orchestres symphoniques et philharmoniques de Paris, New York, Radio Bavaroise, Monte Carlo, London Symphony, Berlin avec lequel j’ai un flux permanent en 4K via le web… je suis raide dingue de musique sous toutes ses formes.
    Et savez-vous comment tout ceci a commencé ?
    Je ne suis absolument pas d’une famille de musiciens. Mes parents étaient plutôt de condition très modeste mais mon père ramenait parfois à la maison des disques de musique qu’on lui pretait intitulés  » Petites Pages de la Grande Musique ». Je les regardais tourner, hypnotisé et fasciné par les mélodies que j’entendais…
    À l’école maternelle, mon institutrice nous passait en boucle le Young People Guide For The Orchestra de Benjamin Britten dirigé et commenté en français par le Maestro Lorin Maazel à la tête du National de France et dans Pierre et Le Loup de Prokoviev.
    Plus tard, je regardais à la télévision sur la toute nouvelle chaine TF1 à 20h30 – encore en noir et blanc pour nous ! – le même Maazel diriger les symphonies de Beethoven !
    Voilà comment a commencé pour moi cette passion pour la musique qui ne m’a jamais laché, pauvre petit gars de Paris né en 1963 et biberonné à la musique vulgarisée que vous qualifieriez sans aucun doute de bas étage, au vu de votre article qui me laisse malgré tout un goût bien amer…
    Très cordialement
    Philippe RAMEZ
    Les Arcs Bourg Saint Maurice

    • ResMusica dit :

      Cher Monsieur,
      Le sens de mon propos vous a peut-être échappé, je le regrette !
      Votre parcours ressemble étrangement à celui que j’ai connu dans ma
      jeunesse. Nous avons pu nous enrichir grâce à ce genre de vulgarisation.
      La bonne pour moi. Pour autant nous avions encore
      un long chemin pour prétendre à une connaissance large… car on a
      évité de nous faire croire que nous n’avions plus rien à apprendre à ce
      moment-là. Il y a bien deux types de vulgarisation.
      Musicalement vôtre.
      Jean-Luc Caron

      • Philippe RAMEZ dit :

        Merci pour votre réponse Monsieur Caron.
        Je vous ai juste trouvé bien alarmiste, plus qu’il ne faut…
        Je pense vraiment que les personnes ouvertes et curieuses d’esprit sauront passer de Richard Clayderman à Martha Argerich avec le temps. Ou des Trois Ténors à Puccini. Ou de Jean Claude Borelly à Maurice André. Ou de Andreas Bocelli à Jonas Kaufmann. Ou de Rondo Veneziano au Quatuor Ysaye…
        Je crois aussi beaucoup au Cross Over de qualité et au mélange des genres. C’est enrichissant et stimulant. Pavarotti et Barry White…et alors ? Renée Fleming, Joyce Di Donato, Jessie Norman sont allées avec panache sur les terres du Jazz et de la Comedie musicale… Et si quelqu’un vient à Beethoven par la 5e symphonie version disco comme on peut l’entendre dans Saturday Night Fever, alors tant mieux: il pourra finir par écouter Carlos Kleiber diriger le Philharmonique de Vienne dans cette oeuvre…Et que dire de Simon Rattle qui dirige le Philharmonique de Berlin au Waldbühne 2015 dans Tom et Jerry, Star Wars, Ben Hur et Indiana Jones avec le Concerto pour Piano de Grieg au milieu ?
        On peut comprendre votre crainte, mais à mon sens, elle n’est pas justifiée. Aucune personne sensée parmi ces publics variés ne viendra douter ni remettre en cause le niveau d’exigence et de travail demandé à l’execution de ces oeuvres !
        Allez, on respire un grand coup et on se détend. Il vaut mieux maintenir grandes ouvertes les fenêtres du vaste monde de la musique que mariner dans le formol et la naphtaline en redoutant la  » menace  » de la vilaine vulgarisation.
        Vous souhaitant les meilleures choses.
        Philippe.

        • grimaldi d dit :

          cet edito est a rapprocher des récents propos de Ch Dutoit qui explique très bien le nécessaire cheminement des ( grands – ceux qui vous « transportent » à coup sûr -) interprètes dans leur appréhension des oeuvres qui fait que leur interprétation est unique, processus mis en danger par l offre de solutions toutes faites pléthoriquement disponible avec la technique numérique. Reproduire du Gould nous ôtes peut être ( sûrement à mon humble avis) la chance d en générer un nouveau, différent. Pour les mélomanes avertis dont visiblement vous êtes un exemple, celà se traduit par la recherche incessantes de nouvelles productions . En revanche on ne peut nier que les occasions d entendre de la belle ( je n aime pas le terme de Grande bien qu il soit le plus approprié ) musique , meme dans les circonstances les plus triviales ait des effets bénéfiques ! Pour preuve ce que raconte Lang Lang : sa decouverte de Liszt s est produite lorsque gamin il a entendu sa musique dans un dessin animé ( Tom et Jerry je crois) quand on voit les conséquences !…….
          Cordialement

          • Philippe RAMEZ dit :

            Nous serions faits pour nous entendre… Merci pour votre avis partagé. C’est curieux ce que vous dites à propos de Lang Lang: le concert du Waldbühne 2015 dont je parle avec Rattle dirigeant les Berliner Philharmoniker dans Tom et Jerry, Ben Hur, Star Wars, E.T., Indiana Jones avait aussi au programme le Concerto pour piano de Grieg par… Lang Lang !
            Excellente soirée.

  • Watteau dit :

    Quel charabias ! La novlangue a de beaux jours devant elle.

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