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Depuis 2010, Alain Mercier est directeur de l'Opéra de Limoges. Il a accepté d'accorder un entretien à ResMusica pour nous parler de son travail et de son ambition de transformer cette salle de province en laboratoire lyrique et symphonique ouvert à une plus grande diversité de publics. L'audace et le grand intérêt des programmations qui s'y succèdent témoignent d'un beau dynamisme des institutions lyriques de province auxquelles nous ne pouvions rester insensibles.
« Le modèle ancien qui était grosso modo, « je décline ce qui se passe dans les grandes maisons », c'est terminé. »
Resmusica : Pouvez-vous nous dire ce qu'était l'Opéra de Limoges il y a une dizaine d'années avant votre prise de fonction ?
Alain Mercier : J'ai été recruté officiellement en 2008 et après un tuilage de deux ans avec mon prédécesseur, Guy Condette, je suis effectivement devenu directeur alors que j'y avais travaillé auparavant comme administrateur. Cette maison ne prenait pas le chemin que je lui donne aujourd'hui mais elle avait au moins un mérite : Guy Condette avait consolidé les structures de base de la maison, notamment l'orchestre. Progressivement, pendant ma période de tuilage, on a commencé à reconstruire les fondements de l'outil de production, à savoir l'atelier de costumes, l'atelier de décors, etc. On a amélioré l'outil de recrutement en allant chercher des professionnels du spectacle vivant et de l'opéra et en améliorant les conditions d'offres des postes et la sélection par concours des artistes du chœur, des musiciens… En prenant mes fonctions, je savais où étaient les forces et les faiblesses de la maison mais la structure était en cours de reconfiguration. J'ai pris un outil qui avait besoin d'une autre ligne artistique mais qui avait déjà des fondations solides.
RM : Dans un contexte budgétaire contraint, quelle a été votre priorité ?
AM : Le contexte budgétaire quand j'ai été nommé n'était pas tout à fait le même qu'aujourd'hui, même s'il était déjà un peu serré. La première décision qui m'a semblé importante était stratégique. J'ai proposé de réintégrer l'orchestre dans le giron de l'Opéra car il avait alors une double tutelle, celle de l'Opéra et celle de la région. Une double tête de gestion ne facilitait pas l'efficacité de la prise de décision. J'ai ensuite décidé de mettre fin au projet danse. Il y avait un embryon de ballet avec des productions de ballet classique une fois par an mais j'ai considéré que l'on ne pouvait pas courir correctement deux lièvres à la fois et qu'il fallait d'abord renforcer l'institution lyrique car nous n'avions pas les moyens de porter le ballet à un plus haut niveau. Je me suis inspiré en cela d'autres institutions car je voulais que la maison avance en gardant le meilleur de ce qu'elle pouvait produire.
RM : Finalement, ce contexte a suscité des innovations de la part des maisons de province, une sorte d'élan de projets, ce qui les conduit peut-être à faire ce que les grandes maisons ne font plus ou moins, à savoir la découverte de talents et de nouveaux répertoires. Quel est votre point de vue sur cette question ?
AM : Vous avez raison et de notre côté, nous nous positionnons de cette manière, parti pris que je revendique totalement. C'est ma huitième saison et on doit en être à la 36e production avec 60 % de titres nouveaux, chose impensable il y a quelques années. Et tout cela a été fait sans forcément perdre notre public, sauf peut-être la première année qui a été plus complexe. Le modèle ancien qui était grosso modo, « je décline ce qui se passe dans les grandes maisons », c'est terminé. Le public a fini par accepter que chaque maison joue sa carte avec sa masse critique. Dans tous les cas, c'est ce vers quoi je souhaitais tendre. Bien évidemment, on garde un pied dans le répertoire, mais en l'explorant différemment. On comble des déficits de programmation qui n'avaient pas été traités par le passé. Le nombre de compositeurs mis à l'affiche en lyrique a été largement étendu.
Je défends en ce point les directeurs généralistes car, ne mettant pas en scène et ne dirigeant pas musicalement les œuvres, ils sont moins impliqués émotionnellement. Du coup, ils ont une vision un peu plus ouverte et sont aussi plus réceptifs aux projets des autres. Les chefs d'orchestres, qui dirigeaient beaucoup les maisons d'opéras à la fin du siècle dernier, étaient souvent arc-boutés sur leurs choix musicaux et leurs envies et ils étaient moins ouverts aux choix des autres.
La coproduction s'est également beaucoup développée. On met aussi progressivement en place une stratégie en commun avec Bordeaux que ce soit sur le plan du numérique ou éducative… Et puis, il y aussi l'apparition de nouveaux acteurs dans le secteur, comme par exemple le Palazzetto Bru Zane qui s'intéresse à un répertoire bien spécifique qu'il tente de promouvoir et de produire en s'appuyant sur un collectif de maisons ou des compagnies. C'est intéressant, car cela favorise des formats de spectacles qui sont plus adaptés à l'exercice de la tournée. Il y a aussi la production déléguée par les scènes nationales, des coopératives de productions…
Enfin, on essaye aussi de pratiquer le croisement des disciplines autour de créations contemporaines où plusieurs acteurs peuvent s'investir comme le festival des francophonies, les arts du cirque, une compagnie lyrique. Chacun y met ce qu'il sait mettre et le spectacle peut ensuite partir en tournée. On sait produire mais on ne sait pas souvent diffuser dans les maisons d'opéra, mais elles s'allient, se bougent et ça marche.
RM : Comment prépare-t-on une saison ? Quels sont les enjeux ?
AM : Pour moi, une saison d'opéra n'est pas l'addition d'un certain nombre de titres. J'essaye de créer des liens entre une œuvre centrale, un compositeur ou une époque, avec une déclinaison symphonique, chorégraphique, cinématographique… La première saison, c'est vrai que le public a été décontenancé mais finalement cela fonctionne à Limoges. Ce qu'il y a de bien c'est que quand on ne connaît pas l'opéra, on peut commencer par une chose plus simple, plus courte… C'est une méthode pédagogique qui essaye de faire découvrir une grande variété de créations.
RM : Vous avez une visibilité sur le renouvellement de votre public ?
AM : Cette question est toujours compliquée car les opéras n'ont pas forcément les meilleurs outils pour le mesurer. Ceci étant dit, on a quand même quelques indications en partant d'une étude sérieuse menée par la réunion des Opéras de France en 2001 qui avait sorti un panorama intéressant dont on a actualisé quelques items. Ce que l'on voit, c'est que l'on a renforcé la fréquentation des jeunes de moins de 28 ans (hors scolaires). Avant, nous avions un corps de public divisés en deux grands groupes : les abonnés experts de plus de 60 ans et le public d'opérette car Limoges avait cette tradition que Guy Condette avait commencé de désinvestir progressivement. Aujourd'hui, la majorité du public se situe entre 35 et 65 ans. La manière de traiter les œuvres et de les accompagner y a sans doute fait pour beaucoup.
« Mon ambition pour les années à venir est de travailler sur des formes nouvelles qui questionnent l'opéra. »
RM : Limoges commence a attirer quelques têtes d'affiches comme par exemple Christophe Rousset. Comment est-ce que l'on s'y prend pour faire venir ces artistes et comment perçoivent-ils votre démarche ?
AM : C'est de moins en moins compliqué de faire venir ces artistes même si au début, ça a été difficile. On a beaucoup travaillé sur les projets de mises en scène en allant sur des gammes de metteurs en scène et des programmations d'œuvres plus exigeantes. Très vite, on a eu Mariame Clément, Richard Brunel, Jean-François Sivadier, Gilbert Deflo, Stéphane Braunschweig… Quand ils repartent d'ici, ils ont plutôt envie de revenir, ce qui est bon signe. Concernant les distributions, c'est là où je pense que l'on a le plus progressé. Je me suis attaché les services d'une conseillère artistique qui a eu du nez et nous a ouvert des réseaux. Elle nous a permis d'attirer Venera Gimadieva qui est venu chanter la Traviata ici avec un immense succès, et qui depuis accompli une carrière internationale considérable. Avec notre nouveau conseiller, Josquin Macarez, on continue dans cette voie. Pour les chefs, après une direction de 25 ans de Guy Condette qui était très impliqué, on a diversifié la direction de l'orchestre en invitant régulièrement des chefs plus repérés et cela a aussi été le résultat des coproductions et des projets. Christophe Rousset, la première fois qu'on lui a fait une proposition, c'était pour diriger les opéras de Germaine Tailleferre. On souhaitait un chef qui traite cette musique avec raffinement et élégance. Il a rapidement accepté et on en a fait un DVD. Grâce à cette expérience, il revient la saison prochaine dans La Flûte enchantée. Peut-être que si on l'avait abordé tout de suite avec Mozart, cela aurait plus compliqué… On leur apporte à eux aussi de la nouveauté et de la diversité et c'est ce qui les intéresse. J'essaye toujours de voir avec eux les choses qu'ils n'ont pas faites. Finalement, le financier n'est pas toujours un obstacle. Et puis, par exemple, on a eu Gilbert Deflo pour Le Trouvère il y a quelques années. Avec sa faconde incroyable, il a passé quatre semaines à parler avec tout le monde dans la maison sans aucune distinction, de la femme de ménage à l'agent de sécurité en passant par le plateau. Il a vraiment transmis quelque chose ici. Ces rencontres sont essentielles pour insuffler une énergie à une maison.
RM : Quelle est votre ambition pour les années à venir ?
AM : De travailler sur des formes nouvelles qui questionnent l'opéra. Il y a l'ambition de passer des commandes, de créer, d'avoir des artistes en résidence, d'avoir des compositeurs associés, de continuer le croisement avec d'autres formes de spectacles… Nous allons faire de la recherche sur le handicap sensoriel et l'audio-description notamment. Et puis nous allons engager une plateforme éducative vocale avec pour vocation de recevoir des enfants qui viendront de tous les quartiers de Limoges et que le personnel parrainera et… voilà… c'est déjà pas si mal, non ? (rires)
Intéressant. Effectivement cette puissante tradition a besoin de renouveau. Des nouvelles œuvres, des interrogations du genre. ça donne envie !