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Salzbourg. Haus für Mozart. 14-VIII-2017. Alban Berg (1885-1935) : Wozzeck, opéra en trois actes d’après Georg Büchner. Mise en scène : William Kentridge et Luc De Wit. Décor : Sabine Theunissen. Costumes : Greta Goiris. Avec Mathias Goerne, Wozzeck ; John Daszak, Tambour-major ; Mauro Peter, Andres ; Gerhard Siegel, Capitaine ; Jens Larsen, Docteur ; Heinz Göhrig, Idiot ; Asmik Grigorian, Marie ; Frances Pappas, Margret. Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor. Orchestre philharmonique de Vienne, direction : Vladimir Jurowski.
Plutôt que William Kentridge ou Matthias Goerne, c'est le chef et l'orchestre qui amènent cette nouvelle production au triomphe.
Entré au répertoire du Festival de Salzbourg en 1951 malgré la résistance acharnée du conservatisme politique autrichien, Wozzeck y bénéficie cette année de sa quatrième production : en 1951, sous la direction de Karl Böhm, l'opéra avait été joué devant des salles clairsemées ; en 2017, sous la direction de Vladimir Jurowski, la Haus für Mozart (où on joue, cette année, de tout sauf du Mozart) accueille un public non seulement nombreux, mais également enthousiaste. En 2014, le Festival d'Aix réunissait le pianiste Markus Hinterhäuser, le baryton Matthias Goerne et le plasticien William Kentridge autour du Voyage d'hiver de Schubert ; le premier, pour sa première saison à Salzbourg, a invité les deux autres pour une nouvelle collaboration – mais ce ne sont pas eux qui en sont réellement les pièces maîtresses.
La voix terne de Matthias Goerne, peu apte à exprimer les élans visionnaires de son personnage, se fait facilement voler la vedette par Asmik Grigorian, véritable découverte de cette production : elle chante Leonora du Trouvère ou Tatiana, mais sa Marie est à l'opposé du lyrisme que cela pourrait laisser supposer. Cette maîtrise d'un parler-chanter presque constant, pour une chanteuse dont la musique du XXe siècle n'est pas le coeur du répertoire, est proprement stupéfiante. Le reste de la distribution est également du plus haut niveau, tel que Salzbourg est en quelque sorte contraint de le proposer : Gerhard Siegel, Jens Larsen, John Daszak ne sont pas des découvertes, mais simplement des titulaires idéaux de leurs rôles, à l'aise dans leur partition et en offrant une caractérisation efficace et intelligente – juste ce qu'il faut d'apoplexie pour le capitaine, de savant fou pour le docteur, d'arrogance pour le tambour-major.
Le théâtre est dans la fosse
Pour tous ces personnages, William Kentridge et son co-metteur en scène Luc De Wit assurent une direction d'acteurs convaincante et variée, dans un décor unique où l'éclairage sait ménager des espaces de jeu divers, tantôt intimes, tantôt grandioses. Ceux qui connaissent le travail de Kentridge retrouveront avec plaisir son art du paysage sensible, son goût pour la technique désuète, et la fragilité des choses et des êtres qu'il met en lumière. Si belles que soient ces projections, pourtant, son travail reste cette fois en lisière de l'œuvre mise en scène : en situant son spectacle à l'époque de la Première guerre mondiale, Wozzeck peut faire office de projectionniste de cinéma, image pertinente de l'homme mis au service de la machine ; mais réduire cet opéra à un équivalent musical et théâtral du drame qu'a été la guerre pour Berg comme pour toute sa génération, c'est passer à côté de beaucoup d'éléments qui font la force du livret composé par Berg à partir des fragments de Büchner. Wozzeck (ou Woyzeck, pour revenir à l'orthographe de Büchner), ce ne sont pas les horreurs de la guerre, c'est l'aliénation de l'homme par les contraintes sociales, dont les institutions militaires, en temps de paix, sont une allégorie parlante : le flot d'images issues du folklore de 1914 (les barbelés, les masques à gaz, les gueules cassées) passe à côté de l'essentiel. C'est très beau, mais ce n'est pas ça.
Si on sort enthousiaste de cette représentation, c'est donc d'abord à la musique qu'on le doit. Dans la fosse, Vladimir Jurowski parvient à obtenir l'engagement total de l'Orchestre Philharmonique de Vienne (ce qui, à Salzbourg, n'est pas une mince affaire), pour une lecture très personnelle et stimulante. Sans doute, sa lecture n'a pas peur devant la modernité de Berg, qui ne recule pas devant les sonorités agressives quand cela soutient l'expression. Mais ce que Vladimir Jurowski propose ne se limite pas à cela. Écoutez le dernier interlude : il ne se limite pas à exprimer la violence de ce qui s'est passé dans les scènes précédentes, mais conserve jusque dans le plus extrême volume sonore une humanité pleine d'émotions plurielles. Écoutez la première scène de l'acte III, celle où Marie lit la Bible : la désolation, l'élégie, et plus que tout la tendresse, tout cela dans une même dynamique retenue (avec Asmik Grigorian, la scène est plus émouvante que jamais). Il y a dans cette direction un sens du théâtre admirable, du théâtre fait de vérité humaine et pas de grands gestes.
Crédits photographiques :
Salzburger Festspiele/Ruth WalzLire aussi :
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