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Dimitri Chamblas, danseur, chorégraphe du duo À bras le corps créé avec Boris Charmatz en 1992, mais aussi producteur et ancien directeur artistique de la 3ème Scène, prendra à la rentrée 2017 la direction de la Sharon Disney Lund School of Dance, au sein du California Institute of the Arts à Los Angeles. Il nous en dit plus sur son projet éducatif et artistique.
« Je suis aussi un enfant de la danse américaine ! »
ResMusica : Que s'est-il passé dans votre carrière entre À bras le corps et la 3ème Scène ?
Dimitri Chamblas : À bras le corps a été un projet pour la vie. Lors de sa création, Boris Charmatz et moi, nous nous sommes toujours dit que nous continuerions à le danser quels que soient nos corps, notre fatigue, nos carrières. Je danse aussi dans la nouvelle création de Boris Charmatz, 1000 gestes, créée à la Volksbühne de Berlin et qui se donnera au Théâtre de Chaillot en octobre 2017. Pour redanser, j'ai entrepris un travail de six mois pendant lequel j'ai perdu du poids, pris des classes tous les jours, couru, changé d'alimentation. Cela me permet d'être un artiste présent, un artiste augmenté pouvant être créatif et d'une grande force de proposition.
RM : Pourquoi vous être tourné vers la production de films publicitaires ?
DC : Après À bras le corps, j'ai dansé comme interprète avec Mathilde Monnier ou avec le Ballet Atlantique de Régine Chopinot. C'est à cette époque que j'ai commencé à faire des films. J'étais au Ballet Royal de Suède à Stockholm pour faire un film lorsque que j'ai eu un accident au dos qui m'a contraint à arrêter la danse. J'avais beaucoup d'amis vidéastes ou cinéastes et je trouvais très laborieuse la manière avec laquelle les films se montaient. Je voulais trouver le temps juste pour chaque projet grâce à la liberté acquise par la danse. Pour cela, il fallait de l'argent. C'est pourquoi, j'ai monté une société de production à Paris dans laquelle j'ai dirigé jusqu'à 27 réalisateurs pour produire des films de publicité. Avec cet argent, j'ai commencé à monter des films avec Xavier Veilhan, Gisèle Vienne ou Olivier Saillard. Toute la réflexion sur l'articulation entre le financement public et le financement privé que j'ai menée alors était une première réponse à ce type de questionnement.
RM : Vous avez vécu une première fois aux Etats-Unis, dans quel cadre ?
DC : Je me suis associé à une société américaine très prestigieuse afin de faire grossir ma société de films. J'ai alors habité à Los Angeles de 2013 à 2015. Pourtant, au bout de huit ou neuf ans dans l'univers de la production, j'ai ressenti le besoin d'un retour à la danse. Ces sociétés avaient pris trop de place dans ma vie et ne me convenaient plus. J'ai arrêté brutalement, tout comme j'avais arrêté nettement la danse. J'aime être remis dans une sorte de vide et ne pas être enfermé dans une transition qui n'en finit pas. Je dispose alors d'un espace que je vais remplir de tout ce que je suis aujourd'hui. J'ai quitté mes parents à 10 ans pour devenir petit rat à l'Opéra de Paris. Ce choix initial a donné une tonalité à l'ensemble de ma vie. Ce n'est pas pour faire quelque chose de tiède ensuite…
« J'aime être remis dans une sorte de vide et ne pas être enfermé dans une transition qui n'en finit pas. »
RM : C'est à ce moment que vous avez lancé la 3ème Scène…
DC : Quand Stéphane Lissner a été nommé à la direction de l'Opéra de Paris, Benjamin Millepied s'est rapproché de moi pour imaginer la 3ème Scène. Nous y avons mélangé techno, littérature, cinéma et Internet. Comment, dans un même espace, pouvaient cohabiter des objets aussi différents ? Très rapidement, les institutions, comme la Cinémathèque ou le Musée du Louvre, nous ont appelés pour proposer de montrer le film de Julien Prévieux ou de Mathieu Amalric. Tous ces objets sont partis comme en tournée pour exister sur des territoires sur lesquels l'Opéra de Paris n'allait pas. La 3ème Scène a apporté à l'Opéra de Paris une satisfaction à la fois en termes de visibilité et de fréquentation, pour des publics auprès desquels il n'était pas présent, alors que toutes les institutions se posent la question de l'archivage, de la documentation, du patrimoine. C'est une réponse tout à fait artistique qui sera encore accessible dans 30 ans. C'est aussi une très belle façon de documenter ce qu'est le répertoire d'une maison à un moment donné. J'ai fait cela, pendant un an et demi, ce qui a généré une trentaine de projets différents et des accords signés avec toutes ces institutions. J'ai adoré ça, mais je ne cherchais pas un job. Je cherchais un projet avec une pensée. C'était très clair dès le début du mandat de Stéphane Lissner que je ne ferais pas l'entièreté de son mandat. La 3ème Scène pouvait être dirigée par des personnes différentes, avec une rotation plus rapide. En fait, c'est l'anti-scène de spécialistes !
RM : Comment avez-vous rencontré Benjamin Millepied ?
DC : J'étais petit rat à l'Opéra de Paris avec Boris Charmatz. À la recherche d'un enseignement en contemporain, nous avons tous les deux intégré le Conservatoire national supérieur de danse de Lyon où nous avons rencontré Benjamin Millepied. Depuis lors, nous sommes amis ! J'ai même été membre du board du LA Dance Project pendant des années. Benjamin Millepied est affilié à la Gloria Kaufmann School of Dance, William Forsythe enseigne à l'University of Southern California. Leur présence à Los Angeles m'a motivé pour postuler à la Sharon Disney Lund School of Dance. Nous aimons faire des choses ensemble tous les trois, même si nous avons des territoires assez chargés. Nous voulons travailler sur la danse à Los Angeles pour que cette ville devienne la ville de la danse aux États-Unis. Nous avons la force, l'expérience et les idées pour que cette ville se transforme en ce sens. Comme toute cette génération de danseurs, je suis aussi un enfant de la danse américaine, puisque tous les chorégraphes américains ont été accueillis par la France. Quand je pense aux États-Unis, l'une des premières choses à faire selon moi, c'est qu'un Français, un Européen, leur dise à quel point ils ont un patrimoine formidable. Ces chorégraphes ont vécu en France, monté leur travail en France. Parfois, seul un étranger peut réinviter, mettre un coup de projecteur et donner de la connaissance. Ce sont des artistes qui m'ont beaucoup inspiré dans mon parcours. J'ai envie qu'ils soient là et qu'ils puissent enseigner dans mon département.
RM : Quel est votre projet pour la Sharon Lund Disney School of Dance ?
DC : Il y a des universités qui forment des gens qui réfléchissent sur la danse et d'autres qui forment à la technique. À CAL arts, les étudiants n'ont pas à choisir entre la technique et la pensée. C'est une université pluridisciplinaire qui compte un département de cinéma, un département d'animation, un autre d'art contemporain ou de critical studies, qui collaborent ensemble. Cela m'a semblé très singulier. Depuis que je danse, j'entends qu'aux États-Unis il n'y a pas de travail pour les danseurs. Cela voudrait dire que je vais former des gens qui vont payer cher leur cursus universitaire et qui n'auront pas un bon job au bout ? C'est pourquoi je veux former des danseurs à être des danseurs entrepreneurs, des artistes à part entière : créateur, pédagogue, théoricien, curateur. Lors de mon audition, une question m'a été posée par les syndicats des étudiants : « Comment voyez-vous la transition entre l'université et le milieu professionnel ? » Je leur ai répondu que l'université en danse devait être complètement intégrée au milieu professionnel. On doit commencer à créer, à monter des projets, à entreprendre à l'université. C'est à ce moment-là que les étudiants ont l'opportunité de profiter de ce que l'université peut leur offrir : des moyens, des connexions. Le matin, il y aura des cours techniques. L'après-midi, le temps sera consacré à la pensée et à l'entreprenariat, en lien avec la danse. Par exemple, nous proposerons des cours de danse en ligne ou nous développerons un projet de danse avec la réalité virtuelle.
« Quand je pense aux États-Unis, l'une des premières choses à faire selon moi, c'est qu'un Français, un Européen, leur dise à quel point ils ont un patrimoine formidable. »
RM : Pourquoi vous êtes-vous porté candidat à ce poste ?
DC : Cette université m'intriguait par la pluralité de ses départements et la manière dont ils savent travailler ensemble. Elle compte d'anciens élèves prestigieux, comme Sofia Coppola, Brad Pitt ou Tim Burton. C'est un campus sublime datant des années 60 qui n'a jamais voulu grossir par la taille. J'ai été attiré par le fait de pouvoir bâtir un projet entre différents arts, comme ce que j'avais fait avec ma société de production ou la 3ème Scène. C'est une université qui a toujours su inventer des formes nouvelles. Dans ma lettre de candidature, j'ai vraiment pu écrire le projet que j'avais envie de faire. Ils ont adoré ! Ils ont conscience que l'Europe est un endroit essentiel pour la danse, avec de grands artistes, de grandes structures et des moyens. Je vais aussi être un facilitateur pour créer des projets entre l'Europe et les États-Unis grâce à mon réseau international d'artistes. Je veux créer une grande plate-forme digitale en danse, avec des live, des cours et des publications. Je veux investir la ville en rouvrant le campus. Je vais faire une partie de la programmation d'un théâtre à Downtown LA en faisant venir des artistes pour un projet complet et élaboré. Je veux y remettre du mouvement et créer une dynamique.