La Passion Berlioz de Bruno Messina
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Aux commandes depuis 2009 du festival lancé par Serge Baudo en 1979 à La Côte-Saint-André, la ville natale de Berlioz, le trompettiste-professeur-ethnomusicologue Bruno Messina respire la musique du grand Hector, mais aussi la musique tout court qu'il veut faire partager au plus grand nombre. À la veille de l'édition 2017, le directeur se remémore avec une paisible passion et une vibrante empathie, un parcours hors-norme qui l'a conduit à accepter en 2016, le trousseau de clefs d'une maison voisine, celle d'un autre immense compositeur français, Olivier Messiaen.
« La France semble encore ne pas savoir par quel bout prendre les visions berlioziennes. »
ResMusica : On ne peut s'empêcher de penser, lorsqu'on se rend chaque fin d'été au Festival Berlioz, que vous êtes en train de réaliser l'utopique vision du compositeur dans sa nouvelle Euphonia ou la ville musicale.
Bruno Messina : Je suis animé par le désir de réaliser les rêves de Berlioz mais je suis encore très loin de l'utopie de cette ville musicale qu'il imaginait ! Il y a effectivement dans le parti-pris du festival le souhait de prendre Berlioz à la lettre. Partir de certaines propositions que l'on a dites excentriques ou exagérées, les étudier, et se dire : « Mais voyons si au-delà de l'excentricité, de la provocation, ça marchait musicalement. » On tire donc le fil de ses déclarations, en essayant de les mettre en musique à travers les thématiques du festival. La musique de Berlioz n'admet pas l'à-peu-près. Un débutant jouant du Mozart donnera toujours à entendre quelque chose du génie de Mozart. Berlioz, pour que ça marche, il faut l'entièreté du dispositif. Les reproches qu'on a pu faire à Berlioz comme son autodidactisme sont absurdes. Il n'y a pas de hasard dans sa musique. Tout est voulu, pensé. Curieusement, la France semble encore ne pas savoir par quel bout prendre les visions berlioziennes.
RM : La passion Berlioz était-elle déjà en vous lorsqu'en 2008, vous découvriez l'annonce de l'Agence Iséroise de Diffusion Artistique (AIDA) parue dans Télérama ?
BM : Très honnêtement, elle était en-deçà de celle qui m'anime aujourd'hui, malgré une passion pour Berlioz qui remonte à l'enfance. Je viens d'un milieu modeste. Il y avait peu de disques à la maison, mais il y avait Harold en Italie par Colin Davis. Et Harold en Italie m'a fasciné par son rapport spécifique à l'orchestre, avec cet altiste solo qui n'était pas dans le rapport habituel, ce côté « coq » devant l'orchestre que je pouvais connaître avec mon instrument, la trompette. Il y avait là un dialogue, le droit pour le soliste de se taire, de réfléchir, de penser, d'aimer. Cela m'avait bouleversé mais j'étais loin d'imaginer alors que je retrouverais Berlioz de manière aussi forte beaucoup plus tard.
RM : « La musique est un langage universel et c'est ce qui me permettra de suivre mes enfants et de les accompagner très loin. » Cette déclaration de paix inter-générationnelle, issue de la bouche de votre père, semble fondatrice de votre démarche : la musique comme facteur de lien entre les hommes mais aussi entre les générations. Votre « formation pop », vos études d'ethnomusicologie, ne sont-elles pas finalement les atouts-maîtres qui vous ont permis de faire du festival Berlioz un festival populaire ? Pouvez-vous, pour les lecteurs de ResMusica, revisiter les jalons de votre parcours?
BM : Je viens d'une famille d'immigrés croyant en la musique comme moyen d'intégration et d'émancipation. C'était la seule richesse (mais quelle chance !) que mes parents avaient à partager : « Là on peut vous suivre ! » disaient-ils. Ma grand-mère, comme mes oncles et parfois mon père, chantaient les chansons napolitaines et siciliennes. Ce dernier était clarinettiste, musicien amateur à l'harmonie de Nice. J'y ai commencé moi-aussi, vers 11 ou 12 ans, au cornet à pistons. Mes parents ont fait le pari de la musique en nous accompagnant au Conservatoire : aujourd'hui mon frère Patrick est clarinette-solo à l'Orchestre National de France, ma sœur Carine enseigne la flûte dans la région de Nice et je dirige le festival Berlioz. Au départ, mon père a tenu à ce que nous commencions de façon assez académique, par le piano, pour avoir une vision harmonique de la musique. Je suis ensuite allé vers la trompette, d'abord dans un contexte classique avant d'évoluer plus tard vers d'autres esthétiques. Sorti du Conservatoire de Paris encore « incomplet » musicalement (j'y étais entré à 16 ans), j'y suis retourné pour fréquenter la classe de jazz qui venait d'ouvrir (c'était dans les années 90). Puis ce fut la variété, un peu par hasard, mais j'ai eu beaucoup de plaisir à m'investir sur ce terrain-là… Enfin, une heureuse rencontre m'a permis de représenter la France en Indonésie lors d'un événement musical organisé par le Sultan de Yogyakarta. Ce fut un immense choc esthétique, qui a totalement bouleversé mon parcours. Je suis rentré animé d'une seule idée : retourner à Java ! Et ce fut le cas dans le cadre du prix Villa Médicis hors-les-murs qui m'a permis d'y résider et faire les recherches musicales que je souhaitais. A mon retour, j'ai repris la trompette, puis les études et j'ai rejoint Paris-Sorbonne où j'ai pu accomplir, en parallèle à des cours à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, un parcours en ethnomusicologie jusqu'à la formation doctorale…
L'ethnomusicologie m'a fait voir et penser la musique autrement. La dimension anthropologique et sociale de la musique était trop souvent mise à l'écart dans le parcours du musicien. J'ai commencé à appliquer cette idée dans le champ de la direction artistique, par petites touches d'abord à la Maison de la Musique de Nanterre, puis de manière revendiquée en arrivant au festival Berlioz. En considérant Berlioz avec les outils de l'ethnomusicologie, comme un Indien dans son village, je recomposais le paysage berliozien (un peu à la manière des travaux de Corbin) en y intégrant des éléments que l'Histoire de la Musique considère souvent comme anecdotiques, et y découvrant de passionnantes possibilités programmatiques. Je m'aperçus ainsi que Berlioz est tout autant un vrai Dauphinois amoureux de ses terres qu'un grand compositeur, voyageur et Européen avant l'heure ; que le contexte ethnologique et fantastique du Dauphiné (contes, légendes, médecine traditionnelle et même sorcellerie) constituait probablement davantage la matrice de la Symphonie Fantastique que le milieu romantique parisien à venir. M'apparut alors un Berlioz vivant davantage du produit de ses fermes que de ses productions musicales. Un Berlioz plus complexe et étrange encore que je ne l'imaginais !
« La dimension anthropologique et sociale de la musique était trop souvent mise à l'écart dans le parcours du musicien. »
RM : Au-delà d'une seule ville (La Côte-Saint-André), c'est tout un département que vous inondez de musique. On est vraiment très loin de tout entre-soi musical. Pouvez-vous expliquer à tous ceux pour qui AIDA n'est qu'un célèbre opéra, ce qu'est votre AIDA, ce qu'elle était avant votre arrivée, ce qu'elle est aujourd'hui ?
BM : L'AIDA, pour Agence Iséroise de Diffusion Artistique, est un établissement public de coopération culturelle souhaité par le département de l'Isère. C'est une structure exceptionnelle dans le paysage culturel français. Le navire amiral en est le festival Berlioz autour duquel s'agrègent d'autres activités. La spécificité de l'établissement est d'être sans murs, sans salles. Nous sommes donc amenés à intervenir dans des lieux au départ non dédiés à la musique : cours de châteaux, musées, églises, granges, maisons de particuliers… Nous portons aussi le Jeune Orchestre Hector Berlioz (le JOEHB, orchestre-académie sur instruments d'époque) et la direction artistique du Musée Hector-Berlioz à La Côte-Saint-André. Il y a aussi « A travers chants » (un titre emprunté à Berlioz, disant à la fois la musique et la ruralité) qui est dédié à l'apprentissage du chant dans les territoires les plus éloignés des structures musicales : des centaines d'enfants sont ainsi concernés ; ou encore « Les Allées chantent », une programmation itinérante de 80 concerts par an, toutes esthétiques confondues, dans les musées du département et des lieux remarquables. Ajoutons enfin à toutes ces activités la Maison Messiaen, résidence d'artistes en Matheysine où Messiaen a composé la quasi-totalité de son œuvre.
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RM : On vous a donc confié les clefs de la Maison Messiaen. Quelles y seront les grandes lignes de votre action?
BM : La Maison Messiaen est un vœu formulé du vivant du compositeur. A sa mort en 1992, son épouse Yvonne Loriod crée une fondation destinée à faire vivre l'héritage d'Olivier Messiaen. Il va falloir 20 ans pour que le projet porté par la Fondation de France, qui héberge la Fondation Messiaen, se réalise enfin. Claude Samuel, Catherine Massip ou encore Roger Muraro, membres de la Fondation Messiaen, en ont été les principaux soutiens. La maison est ainsi redevenue une résidence d'artistes qui est ouverte à tous les arts, du moment qu'un lien existe avec l'œuvre de Messiaen : musique évidemment mais aussi arts plastiques, poésie (la mère d'Olivier Messiaen, Cécile Sauvage était une grande poétesse), voire… ornithologie ! Comme Berlioz, Messiaen a adoré le Dauphiné. Il passait toutes ses vacances dans sa maison, en Isère, mais il se rendait aussi en retraite à La Meije, dans les Hautes-Alpes, là où se trouve aujourd'hui le beau festival dirigé par Gaëtan Puaud. Ce dernier m'a proposé un rapprochement qui verra la première journée du festival Messiaen au Pays de la Meije 2017 se dérouler en Isère, autour de la Maison Messiaen.
RM : L'évidence de la filiation géographique Berlioz/Messiaen se retrouve-t'elle au plan musical ?
BM : Au premier abord, non. Berlioz n'est pas un personnage très sage. Il se moque un peu de tous et de tout, dont la religion dès les premières lignes de ses Mémoires… Messiaen apparaît au contraire comme extrêmement sage, extrêmement croyant, on dit qu'il allait tous les jours dans la petite église de Saint-Théoffrey, près de sa maison en Isère. La matrice d'inspiration de l'un et de l'autre s'inscrit en revanche dans les mêmes lieux, ce Dauphiné, avec ses paysages forts et beaux : c'est dit par Berlioz, et c'est aussi confirmé par Messiaen lorsqu'il avoue le lien à son aîné. Il existe aussi une lignée revendiquée par Messiaen du point de vue compositionnel. Messiaen se pose en héritier de Berlioz avec sa manière de déployer l'orchestre dans une œuvre comme la Turangalîla-Symphonie. Tout comme Berlioz, Messiaen n'hésitait pas à introduire des instruments nouveaux comme les fameuses Ondes Martenot.
« Imposer l'idée que la musique était, davantage qu'une affaire de distinctions, une affaire de cœur, que tout le monde y a droit et accès. »
RM : John Eliot Gardiner… François-Xavier Roth… Isabelle Druet… La fine fleur berliozienne a aujourd'hui rendez-vous à La Côte Saint-André. Avez-vous conscience que vous parachevez le formidable travail pionnier des Anglais en réhabilitant définitivement Hector Berlioz auprès de ses compatriotes ?
BM : J'en ai le souci constant mais c'était une des difficultés à mon arrivée. On connaît l'adage : « Nul n'est prophète en son pays. » Je trouvais la dimension de l'amour et de la compréhension pour Berlioz proportionnels à la distance de son lieu de naissance. Quittez la France et vous verrez combien il est aimé ! Il y avait d'autre part chez certains Côtois de l'incompréhension vis-à-vis du milieu de la musique classique. Beaucoup pensaient que le festival Berlioz ne les concernait pas, qu'il était réservé à une élite rassemblée chaque été à La Côte-Saint-André. Et les mélomanes de la région gardaient jalousement le secret et s'accommodaient plutôt bien de cette idée d'un Berlioz qui leur serait réservé. Alors nous avons vraiment beaucoup travaillé à imposer l'idée que la musique était, davantage qu'une affaire de distinctions, une affaire de cœur, que tout le monde y a droit et accès. Sous le balcon d'Hector est un rendez-vous que j'ai proposé dès mon arrivée au festival et qui rencontre un grand succès tous les ans auprès du public local. Ces concerts ont lieu tous les soirs à 19h dans le jardin de la maison natale de Berlioz, et sont proposés en entrée libre.
Il me fallait aussi montrer aux gens d'ici, et ce fut pour certains une grande surprise, que Berlioz était leur semblable, qu'il avait vécu les 18 premières années de sa vie au village et que, même monté à Paris, il garderait toujours des liens avec La Côte-Saint-André. Berlioz, qui se préoccupait des bénéfices de sa vigne, de ses blés, de ses pommes de terre, a rêvé, aimé, composé dans ces lieux qui leur sont familiers. J'ai même découvert, en faisant des recherches sur la fameuse scène de la Marche au supplice dans la Symphonie Fantastique, qu'il y eut un procès de l'arrière-grand-père de Berlioz avec le fameux Mandrin, notre Robin des bois, autre gloire locale et dernier grand supplicié de l'Histoire de France.
RM : En invitant, depuis plusieurs saisons, la figure tutélaire de Beethoven à La Côte, sous les doigts de François-Frédéric Guy, voulez-vous souligner combien Berlioz apparaît comme l'équivalent français du compositeur allemand ?
BM : Certes, mais je veux d'abord souligner combien Berlioz se réclame comme le continuateur de Beethoven. Beethoven est cité, commenté partout dans son œuvre littéraire. Il place Beethoven au plus haut dans un Panthéon qui abrite aussi Gluck. Et cela n'a rien d'étonnant, Beethoven étant le dernier classique et le premier romantique, Berlioz va compléter ce que Beethoven a commencé. Notamment au niveau des grandes formes, je pourrais presque dire que Berlioz complète la Neuvième… J'ai donc à cœur de faire entendre aussi ceux qui ont inspiré Berlioz.
RM : À l'automne 2016, on vous a remis un autre trousseau de clefs, celles du Musée Hector-Berlioz. Comment voyez-vous l'avenir de ce lieu, déjà très vivant en période festivalière?
BM : L'équipe formée reste en place mais s'y adjoint dorénavant une direction artistique voulue par le département, soucieuse de donner une cohérence et une force accrues aux deux entités différentes qu'étaient jusque-là le festival et le Musée. Ainsi, les expositions temporaires viennent faire écho au programme du festival. En 2017, la thématique Berlioz à Londres au temps des expositions universelles se décline aussi en documents, tableaux et autres objets exposés au Musée, comme les instruments d'Adolphe Sax que Berlioz a défendu, avec force, lors de cette Exposition Universelle de 1851, ou encore le contrat original du premier engagement de Berlioz en Angleterre ! Il y aura de nouveaux rendez-vous musicaux : « Tea Time » pendant le festival ou alors « Ateliers romantiques » hors saison, avec des étudiants du CNSMD de Lyon, sur le piano ayant appartenu à la famille Berlioz…
RM : Benvenuto Cellini n'eut droit qu'à une version de concert à La Côte lors de l'édition 2016. Cela n'engendre-t'il pas quelques regrets ?
BM : La Damnation a été donnée à La Côte-Saint-André pour la première fois il y a bien longtemps (Paul Claudel en fut, en 1935, un des spectateurs), et nous l'avons redonnée en 2015, et nous la redonnerons cette année encore avec John Eliot Gardiner, mais Benvenuto comme Béatrice et Bénédict n'avaient jamais été joués à La Côte-Saint-André. Or nous l'avons fait. 27 000 spectateurs dans un bourg d'à peine 5 000 âmes aux capacités hôtelières limitées, ce n'est déjà pas rien, mais le reste appartient pour l'heure au domaine du rêve. Comme celui qui me taraude d'une nouvelle production des Troyens. Mon souhait le plus cher étant bien sûr de présenter l'entièreté de l'œuvre de Berlioz, exhaustivement, des chefs-d'œuvre aux mini-trésors cachés de sa production parmi les essais de jeunesse. Une manière de boucler la boucle.
RM: Les wagnériens trouvent à Bayreuth un espace dédié aux mises en scène des opéras de Wagner. Un espace similaire consacré aux mises en scène déjà nombreuses des opéras de Berlioz manque encore au Musée (qui est le Wahnfried des berlioziens)…
BM : Et ce serait rendre justice à Berlioz, qui initia l'idée même de Festival bien avant Wagner. Lui manqueront hélas les moyens de la concrétiser… Bien sûr il faudrait réussir à mettre en scène les opéras de Berlioz au Festival. Nous avons tenté quelques mises en espace dans ce joli lieu encore trop inadapté pour en faire davantage : la conque érigée dans la cour du Château Louis XI, , encore améliorée cette année, ne peut prétendre à devenir salle d'opéra. Ce n'est d'ailleurs pas non plus le même type de budget. On se console alors en trouvant des points communs entre les difficultés de notre entreprise et celles jalonnant le parcours de Berlioz. Pour nous aider, il faudrait qu'une volonté nationale vienne relayer une politique locale déjà très engagée. On espère que 2019 ( soit les 150 ans de la mort de Berlioz) autorisera un bilan sur l'héritage berliozien et permettra de lui donner la place majeure qu'il mérite.
RM : En mars dernier, Béatrice et Bénédict était présenté au Palais Garnier en version semi-scénique. La critique saluait ce compromis comme ce qui pouvait arriver de mieux à cet opéra, tout en titrant paradoxalement : « Faire confiance à Berlioz » ! On se souvient qu'en 1989, l'ouverture en fanfare de l'Opéra Bastille se faisait avec des Troyens mutilés par Myung Wung Chung et Pizzi, alors que, 2 ans plus tôt, le festival Berlioz délocalisé à Lyon, réussissait de mémorables Troyens archi-intégraux, et scéniquement les plus réussis de l'histoire de l'œuvre (Leiser/Caurier). On en vient peu à peu à se dire que Paris ne fait peut-être pas appel aux bonnes personnes. Ne rongez-vous pas votre frein ? Ne seriez-vous pas LA personne qu'attendent les vrais « music lovers » de Berlioz ? Bref, importer dans la capitale ce que votre passion pour Berlioz vous a permis de si bien réussir à La Côte-Saint-André ?
BM : Quand on réussit quelque chose en province, Paris nous regarde toujours avec une distance qui n'est pas que géographique. Il peut m'arriver de pester, un peu comme pestait Berlioz, contre ce milieu et ces deux ou trois barons parisiens pas même musiciens qui gèrent non seulement la vie musicale à Paris mais voudraient imposer leurs modèles au reste du pays en étouffant les différences et particularités. J'essaie à La Côte d'offrir à Berlioz l'hommage le plus honnête et le plus beau possible. C'est une grande fête qui mérite d'être vécue ici. L'on craignait autour de moi que la modestie du festival n'empêchât la venue, il y a 4 ans, de John Eliot Gardiner et du LSO. Or, John Eliot sera là pour la quatrième fois consécutive cet été (La Damnation de Faust avec son Orchestre Révolutionnaire et Romantique et une distribution extraordinaire) ! Beaucoup d'artistes habitués des plus grandes scènes du monde considèrent qu'il y a du sens à être ici, à La Côte-Saint-André. Je pense par exemple au formidable chef François-Xavier Roth présent depuis 8 ans sans exception ! C'est une belle aventure et je suis très heureux d'être ici, empli de bonheur autant musical qu'humain.
« Quand on réussit quelque chose en province, Paris nous regarde toujours avec une distance qui n'est pas que géographique. »
RM : Un avant-goût de l'édition 2017 du festival, intitulé malicieusement « So british » ?
BM : Nos intitulés, qui participent à rendre Berlioz accessible au grand public, sont à chaque fois de grandes aventures (Les révolutions industrielles, Napoléon, Les sorcières…) et de petites thèses issues de mes travaux sur le sujet. Cette année, c'est la relation de Berlioz à l'Angleterre : d'abord le choc foudroyant de Shakespeare en 1827 à l'Odéon, concomitant du choc amoureux pour la comédienne Harriet Smithson ; puis, 20 ans plus tard, le premier voyage de Berlioz en Angleterre, alors qu'il n'est déjà plus avec Harriet avec qui il s'était marié entre-temps. Arrivé le jour de la mort de son ami Mendelssohn, si aimé des Anglais, Berlioz voit là un signe et se dit qu'il va peut-être enfin être reconnu, connaître les succès espérés. Ce ne sera pas aussi simple mais ce sera le début d'une relation extraordinaire qui continue jusqu'à nos jours, les grands chefs anglais, de Colin Davis à Gardiner, suivis par la nouvelle génération (Ticciati, Collon, etc.), adorant défendre Berlioz. Cette édition « So British » montrera Berlioz compositeur mais aussi Berlioz chef d'orchestre, car c'est d'abord en tant que chef qu'il est allé en Angleterre, et Berlioz journaliste et critique, relatant l'Exposition Universelle avec une précision humoristico-ethnographique. Je suis fier aussi de pouvoir proposer un rêve de Berlioz avec Le Concert Shakespearien, et donner, sur le modèle de ces concerts-monstres qui l'avaient fasciné en Angleterre, une grande fête musicale avec le flamboyant Hervé Niquet portant les Water et Fireworks Musics de Haendel dans le parc d'un château que Berlioz, à l'instar de Lamartine, a peut-être fréquenté. Nous aurons beaucoup de chefs britanniques : outre John Eliot Gardiner, Roger Norrington, Robert King et son King's consort, Paul Daniel, Gerry Cornelius, Douglas Boyd, et la révélation Nicholas Collon avec son orchestre Aurora… On entendra aussi le dynamique Orchestre des Jeunes de Grande-Bretagne, le fidèle Orchestre National de Lyon, les incontournables amis de l'Orchestre Les Siècles, une première avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France, la compagnie musicale La Tempête, l'Orchestre des Pays de Savoie, le Baroque Nomade, l'Orchestre d'Auvergne… De plus, avec l'Orchestre de chambre de Paris, j'ai de nouveau sollicité Arthur Lavandier pour un arrangement du recueil Irlande de Berlioz, assemblage composite de ses mélodies d'après Thomas Moore, qui pourra ainsi être donné à la manière des Nuits d'été… Je ne peux évidemment résumer ici tout ce qui sera décliné dans le cadre de cette thématique mais je veux ajouter que certains amis musiciens et mélomanes anglais se sont dit enchantés de ce formidable « Festival anti-Brexit » ! Ce n'est pas en ces termes que je l'avais pensé mais je me réjouis qu'il rattrape l'actualité. Une manière de rappeler que la musique va bien au-delà de toutes les frontières. Une manière de rendre hommage à l'Angleterre qui, en servant Berlioz, a aussi fantastiquement servi la France !
Ce qu’il y a d’extraordinaire dans le « cas Berlioz », c’est le fait que Paris continue à le bouder … lors qu’il est célébré partout ailleurs en Europe et dans le Monde !!! C’est que Berlioz est TROP GRAND pour Paris dont l’attitude « hautaine » à l’égard de tout ce qui n’est pas « de la capitale » masque un VRAI complexe d’infériorité (le si détestable esprit « parigot-bobo ») !!! Et il s’illusionnait lui-même quand il envoyait d’Allemagne, d’Angleterre, de Russie même, des bulletins triomphaux … « pour que la France le sache » … Cela ne faisait qu’attiser la hargne chauvine nationale à son endroit … lors qu’il est, musicalement sinon politiquement (« légitimiste », « orléaniste », « bonapartiste », ne fulminera-t-il pas le « choléra républicain » en 1848 … ce qui lui a lointainement valu qu’on lui refuse en 2003 – HEUREUSEMENT d’ailleurs ! – l’accès au Panthéon qu’il n’aurait sûrement pas voulu), l’héritier de la Révolution française !!!
Extraordinaire aussi le fait que les « gens du métier » (de son vivant comme après sa mort ), n’ont cessé de stigmatiser ses « maladresses » et « gaucheries » d’écriture, ses formes « de guingois » … jusqu’à son orchestration … lors que, 1er Grand Prix de Rome (on ne couronnait pas d’une telle distinction tout qui ne témoignait pas de « soumission » à « l’académisme scolaire » – Ravel en saura quelque chose !), il est le GENIAL auteur du « Traité d’instrumentation et d’orchestration moderne » par lequel la jeune école russe s’est formée et qui fourmille d’idées fertiles relativement à la conduite d’une mélodie, l’enchaînement d’accords, la rythmique et la forme musicale !!! Ses contempteurs et même les plus grands (Debussy, Boulez … ce qui est tout de même un comble !) n’ont pas compris que pensant orchestre (comme maints peintres pense « couleurs »), il faisait plier les sacro saintes orthographe et grammaire musicales à son imaginaire musical TRES EN AVANCE sur son temps !!!