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Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché. 7-VII-2017. Igor Stravinski (1882-1971) : The Rake’s Progress, opéra en 3 actes sur un livret de Wystan Hugh Auden et Chester Simon Kallman d’après William Hogarth. Mise en scène : Simon McBurney. Dramaturgie : Gerard McBurney. Décors : Michael Levine. Costumes : Christina Cunningham. Lumières : Paul Anderson. Vidéo : Will Duke. Avec : Julia Bullock, Ann Trulove ; Paul Appleby, Tom Rakewell ; Kyle Ketelsen, Nick Shadow ; David Pittsinger, Trulove ; Hilary Summers, Mother Goose ; Andrew Watts, Baba la Turque ; Alan Oke, Sellem ; Evan Hughes, Keeper of the Madhouse, Nick Shadow 2. Chœur English Voices. Orchestre de Paris, direction : Eivind Gullberg Jensen.
Après Œdipus Rex en 2016 par Peter Sellars et Esa-Pekka Salonen présenté au Grand Théâtre de Provence, le Festival d'Aix reprogramme un opéra de Stravinsky dans son théâtre en plein air, avec The Rake's Progress.
Bien que la partition présente peu de difficultés pour l'orchestre comme pour les chanteurs alors qu'il est plus délicat de le représenter sur scène – le compositeur lui-même l'avait souligné quelques années après sa création – c'est étonnamment le travail du metteur en scène britannique Simon McBurney qui vise juste, à l'inverse des autres composantes de cette nouvelle production se révélant plutôt bien exécutées, mais un peu trop fades pour nous embarquer pleinement dans l'univers stravinskien.
Écrit entre 1948 et 1951, soit un peu avant le Canticum Sacrum qui marque les débuts de Stravinsky dans le système sériel, The Rake's Progress est souvent considéré comme la fin et peut-être l'apothéose de sa période « néo-classique », étiquette à laquelle le musicien ne souhaitait pas cataloguer son opéra : « le pas en arrière supposé du Rake's Progress prend l'apparence d'un regard radical vers l'avant quand je le compare à certains récents opéras progressistes. » Par le biais d'une mosaïque de références allant de Haendel à Beethoven, de Bach à Broadway, de la musique de la Renaissance à Haydn ou Tchaïkovski, sans oublier Mozart, le choix d'un système tonal délibérément diatonique, donne à Stravinsky la perspective d'un langage musical contrasté et violent, justifié par les différents conflits du livret, eux-mêmes organisés selon le modèle de l'opéra du XVIIIe siècle qui alterne entre numéros et récitatifs accompagnés au clavecin. Pour défendre ce parti-pris, l'Orchestre de Paris semble bien en retrait sous la baguette d'Eivind Gullberg Jensen qui a remplacé Daniel Harding juste avant les premières répétitions, le chef d'orchestre britannique s'étant blessé au poignet. Même si Eivind Gullberg Jensen connaît parfaitement la partition, son choix semble se tourner ce soir vers une certaine mesure et surtout la sécurité, ce qui l'éloigne indubitablement de la fougue et de la force pénétrante que le climat stravinskien devrait normalement installer. L'Orchestre de Paris manque de vigueur, de tempérament voire d'agressivité à certains instants. Qu'avait véritablement en tête son directeur musical en choisissant de participer à cette aventure ? Malheureusement, les obstacles rencontrés pour mettre sur pied cette nouvelle production ne nous permettront pas (encore) d'entendre une vision plus radicale de la phalange.
Sur le plateau, les artistes prennent vocalement le même chemin. Et même si la netteté des voyelles et la course des accents toniques propres à la langue anglaise, chantée le plus souvent en vers et parfois en prose selon les situations, sont rondement menées par l'ensemble de la distribution, Julia Bullock (Ann Trulove) ne suscite pas de compassion particulière, même si la soprano américaine déploie de parfaits sons filés et des aigus lumineux ; Paul Appleby (Tom Rakewell) paraît bien fade dans la peau de ce campagnard en quête d'argent et noyé dans la démesure alors que, de son côté, Kyle Ketelsen (Nick Shadow) incarne plutôt un jeune commercial à dents longues au lieu de la figure diabolique foudroyante à laquelle nous nous attendions. Dans les seconds rôles, David Pittsinger (Trulove) convainc dans son incarnation de figure paternelle autoritaire sans tout de même marquer les esprits, à l'inverse du contre-ténor Andrew Watts en Baba la turque qui ne manque pas d'éclat tout en suscitant la pitié que cette femme si entourée mais si seule engendre. La fougue tant attendue, c'est le chœur English Voices qui l'esquisse. Grâce à une direction d'acteurs impeccable et une sonorité d'ensemble nette comme un couperet et forte comme un coup de poing, chaque choriste bascule sans retenue dans un libertinage exacerbé et malsain.
Mais alors que ces premières lignes pourraient refroidir des spectateurs déjà un peu récalcitrants pour découvrir ou retrouver un opéra du XXe siècle pas si facile d'accès, l'intérêt de cette nouvelle production se situe dans le travail de Simon McBurney, cette mise en scène pouvant être à elle seule la raison d'une venue au Théâtre de l'Archevêché. Tel une page blanche, le décor unique immaculé déroute au premier abord. Bucoliques au début du premier acte par la projection d'un paysage printanier qui prend poétiquement de la couleur sous le geste de la main d'Ann, ces larges pans de papier se déchirent au fur et à mesure de l'intrigue, soit par l'intrusion d'un personnage, soit par l'apparition de divers accessoires, symboles de la perte du héros. Ces multiples cicatrices qui ne pourront être rafistolées par le simple scotch de Tom enfermé dans son asile, laissent tout de même apparaître sur les cinq parois de cette structure des vidéos en mouvements frénétiques dans les rues londoniennes, ou statiques lorsqu'Ann vient rejoindre son bien-aimé en ville, la projection d'une rue lugubre détonnant avec la vie de bureau frénétique de Rakewell. Les selfies et autres vidéos effectués en direct et certainement destinés aux réseaux sociaux projetés à foison par Will Duke sur les parois de cette prison de tous les excès, révèlent le narcissisme du jeune homme et de la société dans laquelle il évolue désormais, nous renvoyant fatalement à celle que nous connaissons nous-mêmes. Mais alors que cette composition en fil rouge pourrait se révéler redondante ou faire poindre l'ennui, Simon McBurney, tout en gardant une cohérence indéniable, la renouvelle sans cesse avec une superbe vigueur et une vitalité turbulente. Subversive sans être vulgaire, cocasse sans tomber dans le grotesque, sentimentale ou âpre, cette mise en scène assume sans complexe les brillants contrastes de l'ouvrage, sans chercher à jouer trop sérieusement sur le réalisme de cette fable morale.
Crédits photographiques : The Rake's Progress mis en scène par Simon McBurney au Festival d'Aix-en-Provence © Pascal Victor
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