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Aix-en-Provence. Théâtre de l’Archevêché. 06-VII-2017. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, dramma giocoso en 2 actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. Mise en scène : Jean-François Sivadier. Collaboratrice aux mouvements : Johanne Saunier. Décors : Alexandre de Dardel. Costumes : Virginie Gervaise. Maquillage, coiffure : Cécile Kretschmar. Lumières : Philippe Berthomé. Avec : Philippe Sly, Don Giovanni ; Nahuel di Pierro, Leporello ; Eleonora Buratto, Donna Anna ; Pavol Breslik, Don Ottavio ; Isabel Leonard, Donna Elvira ; Julie Fuchs, Zerlina ; Krzysztof Bączyk, Masetto ; David Leigh, Il Commendatore. Chœur English Voices (chef de chœur : Tim Brown). Orchestre Le Cercle de l’Harmonie, direction : Jérémie Rhorer.
Après les élucubrations de Dmitri Therniakov, reprises avec plus de parcimonie en 2013, les festivaliers d'Aix-en-Provence retrouvent cette année une nouvelle production de Don Giovanni (la huitième du festival).
Magnifiée par le regard juste de Jean-François Sivadier à la mise en scène, et grâce à la baguette du mozartien Jérémie Rhorer à la tête du Cercle de l'Harmonie, cette distribution vocale particulièrement jeune se révèle pleine de fougue et de talent, offrant ainsi aux spectateurs une première représentation brillante de ce pilier de la programmation aixoise.
« Mettre en scène la musique » : c'est qu'en tant que chanteur, il faut être de taille face à la démarche de Jean-François Sivadier à laquelle tous les amoureux de Mozart (et les autres !) ne peuvent qu'adhérer. « Je cherche avant tout un espace qui va exposer les chanteurs, qui sera toujours relatif à leur présence, un espace qui les attend. » Force est de constater que la vision du comédien fonctionne à merveille, et alors que l'on regrette souvent des mises en scène autocentrées, celle-ci cherche avant toute chose à faire la part belle aux talents vocaux présents sur scène. Dans ce formidable écrin, et grâce à une distribution vocale particulièrement exaltante soutenue par le chœur English Voices à la hauteur de sa tâche, le duo Don Giovanni-Leporello exulte, chaque trouble des femmes du séducteur rayonne, alors que les rôles secondaires de Masetto, de Don Ottavio et du Commandeur prennent de l'ampleur.
Après son entrée à l'Opéra National de Paris en début d'année avec Cosí fan tutte, Philippe Sly fait cet été ses débuts sur la scène du Théâtre de l'Archevêché dans le rôle-titre. Ne cherchons pas à comprendre comment il a eu le temps de faire succomber autant de femmes vu son physique de jeune premier, l'énergie furieuse du baryton-basse autant que sa présence scénique brute et immédiate fascinent tout au long de la soirée, dans les instants légers où la transgression semble être le maître-mot, comme face à la mort que le jeune homme défit par une désinvolture (une inconscience ?) déroutante. Don Giovanni n'a pas de consistance psychologique, bien au contraire, il ne se construit qu'à travers le regard des autres : il « n'est que le révélateur des personnages qu'il rencontre, le fusible de leur humanité. » (Jean-François Sivadier) Preuve en est avec son air Fin ch'han dal vino où seul le plaisir fait foi, sans que la profondeur du personnage ne se révèle à aucun instant. Philippe Sly s'y conforme avec une belle once de second degré dans sa canzonetta Deh vieni alla finestra, o moi tesoro, soutenue par l'excellent jeu de mandoline de Brian Dean, et une fourberie sans pareille dans l'air Metà di voi qua vadano. Ici, la descente dans les flammes des enfers se transforme en une mise à nu presque totale où au sextuor conclusif, debout mais mort (!), Don Giovanni se contorsionne tel un pantin désarticulé, toujours aux prises de ceux qui l'entourent.
Dans la peau de son double et de son contraire, Nahuel di Pierro brûle littéralement les planches en Leporello. La présence du chanteur argentin est incontestable, entre la puissance de sa sublime voix profonde, et le jeu comique qu'il installe sans jamais frôler la caricature. L'air du catalogue reste un grand moment de l'opéra, mais c'est dans son air Ah pietà, signori miei que le chanteur démontre une parfaite maîtrise de la langue italienne à travers une débit vertigineusement rapide qui n'impacte pourtant pas la qualité de diction de l'artiste. A travers ce valet voué à une vénération sans borne mais non dénuée de toute ambition, qui garde tout de même une certaine distance face aux frasques du don juan, Nahuel di Pierro met en lumière la multiplicité du rôle bien trop souvent limité à une simple approche comique. Le chanteur sait parfaitement calibrer ces différents aspects tout en créant une complicité franche et directe avec les spectateurs, fort d'un naturel certain.
Eleonora Buratto campe vocalement une Donna Anna d'une grande dignité malgré la haine qu'elle voue à l'assassin de son père et son besoin de vengeance. La noblesse et la complexité de ses sentiments sont déployées avec une belle ampleur, la victorieuse détermination étant formidablement soulignée par la force de l'incarnation de la soprano italienne. La Donna Elvira d'Isabel Leonard est touchante sans excessivité, éloignant son air Ah chi mi dice mai du ridicule que sa sincérité pourrait engendrer, sentiment renforcé par la solennité de son deuxième air Ah fuggi il traditor. Empreinte d'une agréable sensualité, la piquante Julie Fuchs en Zerlina dévoile quant à elle un bas médium solidement ancré. La prestation de Krzysztof Bączyk se caractérise par la qualité de cette basse robuste dans ce rôle quelque peu limité de Masetto. Et même si David Leigh n'en a pas l'âge, il assure sans défaut la prestance caverneuse d'un Commandeur jamais dépourvu de l'autorité nécessaire pour convaincre.
Du côté de l'orchestre, le Cercle de l'Harmonie et ses instruments d'époque déversent toute la verve nécessaire à cette partition, à travers une texture sonore authentique et un équilibre naturel proche de la perfection entre la fosse et le plateau que seule une formation mozartienne peut atteindre. Contributrice incontournable de l'expression dramaturgique de l'ouvrage, la lecture de la partie orchestrale de Jérémie Rhorer déploie une énergie dramatique admirablement amenée et dosée tout au long des deux actes de ce dramma giocoso.
Enfin, la mise en scène se compose des fondamentaux de la « patte » de Jean-François Sivadier : on retrouve ainsi le plateau incliné qui concourt au théâtre dans le théâtre et aux formidables jeux d'ombres et de lumières de Philippe Berthomé enrichissant intelligemment la lecture de l'œuvre et la portée de certaines scènes comme particulièrement lors de la mort du Commandeur ; les rideaux, qui délimitent l'espace scénique, participent à l'action ou intensifient les apparitions de certains personnages ; un spectacle avant le spectacle en début de représentation tout autant qu'à la fin de l'entracte alors que le public s'installe ; ou encore ce quatrième mur brisé dès l'entrée de Donna Elvira qui cherche le célèbre séducteur parmi le public…
Entre l'Italie et l'Espagne, l'homme de théâtre ne choisit pas : les ampoules en verre coloré de Murano (que l'on peut retrouver exposées à la sortie du spectacle) symbolisant les conquêtes de Don Giovanni, répondent aux éléments de costumes traditionnels espagnols de Virginie Gervaise telle que la mantille de Zerlina ou la tenue populaire madrilène portée par les hommes. Visuellement, aucun point de repère temporel n'est donné : les costumes traditionnels côtoient les tenues de ville de notre époque sans que l'on soit interpellé par le basculement entre l'un et l'autre. C'est le même traitement qui est opéré pour la notion de lieu, le décor sobre et unique d'Alexandre de Dardel n'en donnant tout simplement pas : « les décors suggérés par Da Ponte n'ont pas de véritable incidence sur l'action. […] En revanche, le livret et la musique ne cessent de mettre en scène le surgissement, la disparition, l'interruption, dans une danse générale où le rythme de chacun vient sans cesse contredire celui des autres. Tout cela peut suggérer un espace exposé, une arène, un ring, une piste de cirque, la scène d'un théâtre où l'on peut entrer et sortir, sans aucune autre motivation que celle de se jeter dans l'action ou d'aller en coulisses pour reprendre des forces avant de revenir au combat. »
Crédits photographiques : Don Giovanni mis en scène par Jean-François Sivadier au Festival d'Aix-en-Provence © Pascal Victor / Art Compress
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