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Paris. Théâtre de Chaillot. Salle Jean Vilar. 9-VI-2017. Last Work. Chorégraphie: Ohad Naharin. Lumières: Avi Yona Bueno. Son : Maxim Warratt. Musique originale: Grischz Lichtenberg. Scénographie: Zohar Shoef. Costumes: Eri Nakamura. Musique: Sagat, Hysterics, MPIA3, Monkey, Luminox, Lullabies-of-Europe, Clara Rockmore. Avec William Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Omri Drumlevich, Bret Easterling, Hsin-Yi Hsiang, Chunwoong Kim, Rani Lebzelter, Eri Nakamura, Ori Moshe Ofri, Nitzan Ressler, Or Meir Schreiber, Maayan Sheinfeld, Yoni Simon, Amalia Smith, Bobbi Jene Smith, Zina (Natalia) Zinchenko.
Pièce engagée, sombre, Last Work, dernière née du chorégraphe israélien, exprime avec toute la richesse du langage inventé par Ohad Naharin la détresse d'un art menacé.
Ohad Naharin a inventé beaucoup plus qu'un style de danse. Un nouveau langage corporel, avec des lignes uniques, des mouvements que seule la technique gaga mise au point par le chorégraphe israélien permet à un corps humain normalement constitué d'effectuer. Cette technique, les danseurs de la Batsheva dance company la maîtrisent jusqu'au bout des ongles. Les ondulations du bras et de la jambe du premier danseur qui entre sur scène semblent celles d'un corps désarticulé. Les danseurs passent sans heurt ni transition de la position verticale au sol, rampent, couchés, à genoux ou à quatre pattes. Il y a quelque chose d'animal et d'organique dans ces mouvements, totalement intériorisés par les danseurs.
Dans Last Work, le rythme, donné par une musique composée par Naharin lui-même sous le pseudonyme de Maxim Warratt, est lent, mais le mouvement jamais ne s'arrête. Une femme en bleu au fond d'une scène dépouillée court sur un tapis. Cette course immobile durera pendant tout le spectacle, énervante parfois, intrigante toujours.
Les corps tressaillent, vibrent, se contorsionnent, les genoux se plient, les bras se tordent. Les postures s'étendent à l'infini, comme cette danseuse dont la jambe s'élève comme si l'articulation de sa hanche n'avait pas de limite mécanique. Les danseurs se retrouvent, forment un groupe, comme une mêlée au rugby et une femme est propulsée hors de cette masse de corps qui s'empoignent et se bousculent. Solo et duo s'enchainent, les mêmes mouvements répétés en même temps comme si l'une des danseuses était un double de l'autre. Les danseurs se déshabillent, corps à moitié nus en fond de scène. Les uns revêtent des habits blancs, les autres des longues robes noires; l'une porte un tutu blanc. L'un des hommes en robe noire aux allures de soutane s'adonne sans retenue aux plaisirs de la chair avec une femme parcourue de pulsions physiques. On retrouve tant bien que mal les trois images qu'Ohad Naharin, qui travaille beaucoup sur l'improvisation, a demandé à ses danseurs d'incarner : bébés, ballerines et bourreaux. Mais tout n'est pas si simple et les images sont polysémiques. Les robes noires évoquent autant les bourreaux que les prêtres. Faut-il y voir une intention du chorégraphe ? Les culottes blanches peuvent faire penser aux bébés, tout comme l'image des danseurs allongés sur le dos qui agitent les jambes en l'air. Mais le mouvement, de plus en plus rapide, fait davantage penser à un homme-machine qu'à des enfants.
Après cette première partie sur un rythme lent, ponctué de musiques traditionnelles, les mouvements s'emballent sur une musique techno. Les corps entrent en transe. La musique va crescendo, comme dans une rave party, dans le monde de la fête de la jeunesse de Tel-Aviv. Sauf que, là encore Naharin bascule dans un registre beaucoup plus sombre. La scène de fête prend une tout autre dimension lorsqu'un homme assis de dos se retourne et l'on constate que le geste de va-et-vient, évoquant la masturbation, qu'il était en train d'accomplir, est en fait celui d'astiquer sa carabine. Les coups partent. La musique soudain s'arrête et les danseurs s'immobilisent sur scène. Le chanteur a enveloppé son micro d'adhésif marron, tissant comme une toile d'araignée. Dans le silence, il enroule un à un, sans ménagement, les danseurs dans le scotch, les enfermant dans sa toile. Il s'approche de la femme qui court, enserre également sa taille et lui met dans les mains un drapeau blanc, qu'elle tend à bout de bras, comme si elle implorait une trêve. Les danseurs assis, dansent avec leurs bras qui seuls sont libres de bouger, avant que le noir ne se fasse.
Les images, fortes et marquantes, font écho à une actualité peuplée d'atrocités. Corps étendus sur le sol comme morts, sexe, violence symbolique et physique, emprisonnement et mise en péril de la liberté d'expression.
Last Work est un brillant avertissement d'un homme qui, dans un pays où les tensions sont exacerbées, se bat au quotidien pour continuer à exercer son art. Même à Paris, la sécurité a été renforcée comme jamais pour permettre au spectacle de se dérouler sans encombres. L'on espère que, malgré ce que suggère le titre, ce n'est pas la dernière pièce qu'il nous sera donnée de voir une œuvre d'un chorégraphe qui a fait de la danse un langage percutant.
Crédits photographiques: © Gadi Dagon
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Paris. Théâtre de Chaillot. Salle Jean Vilar. 9-VI-2017. Last Work. Chorégraphie: Ohad Naharin. Lumières: Avi Yona Bueno. Son : Maxim Warratt. Musique originale: Grischz Lichtenberg. Scénographie: Zohar Shoef. Costumes: Eri Nakamura. Musique: Sagat, Hysterics, MPIA3, Monkey, Luminox, Lullabies-of-Europe, Clara Rockmore. Avec William Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Omri Drumlevich, Bret Easterling, Hsin-Yi Hsiang, Chunwoong Kim, Rani Lebzelter, Eri Nakamura, Ori Moshe Ofri, Nitzan Ressler, Or Meir Schreiber, Maayan Sheinfeld, Yoni Simon, Amalia Smith, Bobbi Jene Smith, Zina (Natalia) Zinchenko.