Le public de l’opéra à Paris durant la Révolution française
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Même si le Palazzetto Bru Zane fête dignement depuis janvier le bicentenaire de la mort d’Étienne-Nicolas Méhul, cet évènement semble avoir été quelque peu oublié des maisons d’opéra.
Pour honorer comme il se doit celui que nous considérons comme le plus grand compositeur d’opéra en France durant la Révolution française, ResMusica a choisi de consacrer un dossier à l’opéra de cette période, étude qui mettra en exergue le rôle essentiel tenu par cet artiste, injustement déclassé au fur et à mesure des siècles passés. Assez peu travaillés par les musicologues et n’ayant pas passé la barrière du temps, ce sont des œuvres lyriques débordantes de fougue et d’inventivité que nous dépoussiérerons tout au long de ces quelques mois. Pour accéder au dossier complet : Bicentenaire Méhul
L’opéra, et surtout l’opéra-comique, faisait partie de la consommation culturelle habituelle de nombreux parisiens. La prolifération des salles de spectacle dans la capitale à cette époque en atteste. Son succès s’explique surtout par le fait qu’il n’était pas destiné à une seule classe mais à l’ensemble du corps social. Le fait de se déplacer pour venir au théâtre, confère à la représentation une dimension autre que celle du simple divertissement. Ces spectateurs avaient ainsi de nombreuses exigences.
Au début de la Révolution, les spectateurs des théâtres lyriques semblent être ceux de l’Ancien Régime. Ce sont des nobles et des grands bourgeois cultivés qui connaissent la musique et la pratiquent. En 1789, la vague d’émigration de certains aristocrates à l’étranger fait baisser quantitativement le nombre de locations de ces loges. Mais l’affluence au théâtre reste toujours importante. Le public se renouvelle et se transforme. Les salles de théâtre voient donc arriver à la fin du XVIIIe siècle un nouveau public qui se compose de très peu de connaisseurs. Les auteurs et compositeurs d’opéras s’adaptent naturellement à celui-ci par la simplicité de leurs intrigues et l’efficacité de leurs musiques.
Alors que les différences sociales sont de plus en plus diffuses sur la scène lyrique, la salle de spectacle reste quant à elle divisée. Les loges, les galeries, l’amphithéâtre, le paradis et le parterre marquent les différences entre les spectateurs et leur appartenance à diverses catégories sociales, ce qui ne signifie toutefois pas que cela les empêche de communiquer avant, pendant et après la représentation. Les loges de l’avant-scène sont ainsi traditionnellement occupées par les soupirants et les amants des actrices qui vont jouer. Ceux qui louent les autres loges, le plus généralement des aristocrates, vont au théâtre pour être vus. Leur présence est indispensable à leur notoriété. À l’orchestre et au parterre prennent place les hommes du peuple et les petits bourgeois qui sont là pour s’imprégner de la culture aristocratique. Aux galeries s’installent les artisans, les commerçants et les servantes venant s’initier à la culture. Les gens les plus démunis s’installent au paradis (Julia Pryzbos, L’entreprise mélodramatique). À la fois riche et pauvre, bourgeois ou ouvrier, le public de cette époque se mêle dans ces salles.
Ainsi, tout l’ensemble du corps social va au théâtre alors que durant la Terreur, le quotidien était loin d’être facile pour les Parisiens. La nouvelle d’Alexandre Dumas, La femme au collier de velours, offre une peinture réaliste de la vie « ordinaire » dans la capitale au printemps 1793 en mettant en évidence le profond décalage entre l’horreur des journées et les soirées sublimes dans les théâtres : « Quelle étrange époque, que cette époque, où, dans une même journée, on pouvait voir condamner le matin, voir exécuter à quatre heures, voire danser le soir, et où l’on courait la chance d’être arrêté soi-même en revenant de toutes ces émotions ! »
Durant la Révolution, le spectateur devient pleinement acteur en exerçant un pouvoir parfois souverain dans les salles de spectacles en n’hésitant pas à faire connaître, parfois de manière violente, son accord ou son désappointement. Des applaudissements au milieu d’un couplet, des allers et venues permanents, des conspuassions prolongées, des huées incessantes ou le recours aux sifflets étaient largement répandus lors des représentations théâtrales. Alors que les acteurs étaient en train de jouer, le spectateur se permettait de fredonner, taper la mesure avec sa canne ou bien encore discuter avec son voisin. À cause de cette censure immédiate imposée par le public d’un soir, les chanteurs devaient se plier aux différentes demandes d’une assistance à conquérir à chaque représentation. L’explication de cette conduite coutumière est d’ordre social puisque la salle de théâtre se trouvait être le seul endroit où le peuple pouvait complètement prendre position et s’exprimer : « Abandonné à lui-même, n’étant plus contenu par la présence des baïonnettes (car l’intérieur de nos salles est aujourd’hui le seul lieu public où l’on n’en aperçoive pas), il est rentré à cet égard dans la plénitude d’une liberté illimitée. » (Le censeur dramatique, an V). Sous l’Empire, l’ordre sera rétabli grâce à l’autorité de Napoléon.
C’est principalement le parterre qui s’arrogeait le droit d’interrompre une représentation et de réclamer à la place du programme proposé une autre œuvre du répertoire. Régulièrement, les spectateurs jetaient sur scène des papiers destinés à être lus à haute voix immédiatement. Interrompant le spectacle, cette lecture provoquait bien évidemment des manifestations bruyantes parfois difficiles à contenir. De même, l’orchestre devait fréquemment jouer des hymnes patriotiques sous la menace de piques. L’une des représentations des Évènements imprévus de Grétry se termina même dans une violence extrême. Alors que Marie-Antoinette et le Dauphin se trouvaient dans une des loges du théâtre, la chanteuse Madame Dugazon se tourna vers la reine pour lui déclamer ces vers : « J’aime mon maître tendrement, Ah ! Combien j’aime ma maîtresse. » Les jacobins présents réagirent alors férocement. C’est à la suite de cela que Madame Dugazon fut exclue de la scène durant deux ans (Arthur Pougin, L’Opéra-Comique durant la Révolution de 1788 à 1801).
Mais qu’espérait cet auditoire en allant voir un opéra ? Force est de constater que ce nouveau public avait des attentes bien différentes de celui du milieu du XVIIIe siècle. Le spectateur de ce temps était avide de sensations fortes et de grand spectacle. Le citoyen français souhaitait également se divertir et s’instruire en allant au théâtre. Les autorités révolutionnaires avaient quant à elles pour objectif de faire des salles de spectacle « de grandes écoles nationales ouvertes à tous les citoyens par l’attrait du plaisir » et considéraient le théâtre comme une « partie morale essentielle d’instruction publique. » (La vie musicale en France au temps de la Révolution d’Adélaïde de Place, 1989.) La censure et la propagande étaient ainsi toujours d’actualité.
Le théâtre, lors de cette période révolutionnaire, devient donc bien une tribune politique et est le reflet de la vie sociale tant sur scène que dans la salle. L’idéologie républicaine et les grands principes égalitaires de la Révolution française ont ouvert la voie à une véritable démocratisation de l’opéra et de son public : « [il] se développe dans les débats républicains une véritable glorification du peuple […]. Certaines personnalités politiques se plaisent même à démontrer, preuves à l’appui, que seul le public populaire est capable de ressentir les vraies émotions artistiques et de distinguer les chefs-d’œuvre des ouvrages mineurs dont se contente, en masse, le public riche et blasé. » (Frédérique Patureau, Le Palais Garnier dans la société parisienne, 1875-1914)
Image libre de droit : Durant une représentation à la Comédie-Française, Victor Louis (1790)
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Même si le Palazzetto Bru Zane fête dignement depuis janvier le bicentenaire de la mort d’Étienne-Nicolas Méhul, cet évènement semble avoir été quelque peu oublié des maisons d’opéra.
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