Plus de détails
Paris. Opéra Comique. 26-IV-2017. Marin Marais (1656-1728) : Alcione, tragédie lyrique en cinq actes et un prologue sur un livret d’Antoine Houdar de La Motte. Mise en scène : Louise Moaty. Scénographie : Tristan Baudoin, Louise Moaty. Costumes : Alain Blanchot. Chorégraphie : Raphaëlle Boitel. Lumières : Arnaud Lavisse. Avec : Lea Desandre, Alcione ; Cyril Auvity, Ceix ; Marc Mauillon, Pélée ; Lisandro Abadie, Pan et Phorbas ; Antonio Abete, Tmole, le prêtre de l’hymen et Neptune ; Hasnaa Bennani, Ismène, 1ère Matelote ; Hanna Bayodi-Hirt, une bergère, 2ème Matelote, Junon ; Sebastian Monti, Apollon, Le Sommeil ; Maud Gnidzaz, Doris, confidente d’Alcione ; Lise Viricel, Céphise, confidente d’Alcione ; Maria Chiara Gallo, Aeglé, confidente d’Alcione ; Yannis François, Le chef des matelots ; Gabriel Jublin, Phosphore, père de Ceix ; Benoit-Joseph Meier, un suivant de Ceix. Danseurs et circassiens : Pauline Journe, Tarek Aitmeddour, Alba Faivre, Cyril Combes, Emily Zuckerman, Valentin Bellot, Mikael Fau, Maud Payen. Chœur et orchestre Le Concert des Nations, direction : Jordi Savall.
Jordi Savall a eu raison de persévérer pour faire de nouveau résonner l'Alcione de Marin Marais à Paris : cette tragédie lyrique est un véritable petit bijou. Portée par un sublime orchestre et un trio vocal de haute tenue avec Lea Desandre, Cyril Auvity et Marc Mauillon, c'est du côté de la mise en scène et des costumes que la déception est grande, alors que l'implication de circassiens et la vision contemporaine de Louise Moaty et de Raphaëlle Boitel auraient pu être du plus brillant effet.
« Ça vole, ça saute, ça danse, ça respire… » Voilà comment nous a été présenté Alcione dans un récent entretien pour ResMusica par Lea Desandre, détentrice du rôle-titre dans cette nouvelle production proposée pour la réouverture de l'Opéra Comique par Jordi Savall (direction musicale), Louise Moaty (mise en scène) et Raphaëlle Boitel (chorégraphie). Et effectivement, dès le concours de voix entre Pan (Lisandro Abadie) et Apollon (Sebastian Monti) qui débute l'opéra de Marin Marais, ça virevolte dans tous les sens, jusqu'au point de nous donner le mal de mer ! Mais cette scénographie très sombre, centrée principalement sur le milieu marin, semble bien nue entre quelques caisses de bois où siègent fièrement les deux protagonistes, un échafaudage en fond de scène, et le nombre incalculable de cordes destinées à la manipulation de quelques accessoires (les vagues de la mer ou le palais de Ceix) et aux acrobaties des circassiens. Nous comprenons vite que cette mise en scène sera tournée essentiellement vers ces artistes. Mais traité avec plus de parcimonie, ce parti-pris aurait gagné en attrait et en magie. Bien que cette idée soit originale, ce foisonnement de pirouettes (toutes impressionnantes de maîtrise au demeurant) lasse quelque peu. Les costumes d'Alain Blanchot sont notre plus grande déception : de coupes contemporaines, proches du style des années seventies, la multitude de couleurs et le choix des matières, même si tout cela donne du pep's à un visuel qui en a effectivement besoin, ne paraissent pas très raffinés (exception faite de la couronne d'Alcione au premier acte, d'une délicatesse sans pareil sur le superbe port de tête de Lea Desandre) et dénaturent le merveilleux typiquement baroque apprécié dans ce répertoire. Et ce n'est pas l'énorme collier en forme de soleil de Sebastian Monti (le rôle d'Apollon était tenu initialement par Louis XIV) qui donne une impression positive. La transparence de la jupe d'Alcione et le dos échancré de cette dernière, bien que nous percevions l'aspect aérien que cela doit dévoiler (quoi de plus opportun pour la fille du dieu du vent !) suscitent chez nous quelques petites frayeurs… Seule la scène des démons au deuxième acte et l'écroulement du palais de Ceix marque notre esprit : ce tableau parfaitement exécuté mêle astucieusement toutes les forces des choix opérés dans cette mise en scène. Mais malheureusement, la scène du sommeil perd considérablement de son ampleur en raison de collerettes en dentelles faisant glousser quelques spectateurs dans la salle, et de l'apparition de Morphée sous les traits de Ceix dans un lit à la verticale perché à plusieurs mètres du sol tout aussi cocasse. La fameuse scène de la Tempête paraît également sous-exploitée, les artistes évoluant à contre-jour derrière les voiles du mât du bateau. Dommage… Mais ce qui est sûr, c'est que l'on ne peut pas reprocher à Louise Moaty et à Raphaëlle Boitel un manque d'engagement personnel. Et alors que cette approche contemporaine de cette tragédie lyrique paraît bien à propos, elle laisse malgré tout sur notre faim.
Dès les premières notes à l'orchestre, l'évidence est là : avec Jordi Savall au gouvernail, on est parti pour une soirée mémorable ! Dès le prélude, Le Concert des Nations déploie une sublime sonorité orchestrale, tout en rondeur, en solidité et en équilibre. Le chef avait enregistré la suite instrumentale d'Alcione juste après avoir réalisé la bande originale du film Tous les matins du monde, sans susciter un quelconque intérêt auprès des institutions. Mais 27 ans après, à force de persévérance, la qualité de cette direction (comme celle de la partition), nous interroge : qui de mieux que ce musicien pour magnifier au mieux cette renaissance d'Alcione à Paris ? Il faut dire que le chef sait s'entourer : entre les envoûtants Marc Hantaï et Charles Zebley dont les flûtes traversières sont associées au personnage d'Alcione, et Thomas Dunford, luthiste désormais incontournable savamment mis en lumière dans le dernier Orfeo des Arts Florissants, les interventions dans la fosse ne peuvent qu'être enchanteresses, soutenues par un continuo particulièrement inspiré.
Sur le plateau, cette direction musicale fait également merveille. Chaque ornement vocal – sons filés, gonflés, jetés, vibratos – est au service de l'expression et de la poésie. Dans la peau de Pélée, Marc Mauillon est celui qui délivre le chant le plus aérien. Son dernier enregistrement qui avait d'ailleurs obtenu une clef ResMusica, nous l'avait attesté : c'est à un sublime artiste tout en charme et en authenticité auquel nous avons à faire ! Dans une parfaite projection, chaque dynamique qui compose son personnage haut en couleur (certainement le plus intéressant de l'œuvre) a été minutieusement travaillée. Mais le reste du trio amoureux n'est pas en reste. La complicité entre Cyril Auvity et Lea Desandre est évidente, même si la prestation du ténor est bien moins intense que sa dernière incarnation d'Orphée. Les qualités de tragédienne de la mezzo, dont l'artiste elle-même doutait un peu malgré une performance remarquée dans son rôle de la Messagère chez Monteverdi, sont étonnantes pour une si jeune artiste. Séparée de son amant, inconsolable face à Pelée, les sanglots s'entendent dans chacune de ses notes. Scéniquement élégante et majestueuse, la clarté de sa voix donne un bel aspect juvénile au personnage, tout en révélant parfaitement les sombres émotions de l'héroïne (poussée au suicide après avoir appris la mort de son aimé ), grâce à de subtils vibratos, des ornementations bien calibrées, et des intentions tout à fait maîtrisées.
Alors que la déclamation poétique fait mouche du côté du triangle amoureux, la diction du français pour le chanteur italien Antonio Abete semble moins évidente. Alors qu'il rencontre quelques difficultés pour assurer les aigus nécessaires lors de sa dernière intervention dans la peau de Neptune, ce sont les basses qui font défaut à un Lisandro Abadie pas suffisamment noir dans son incarnation de Phorbas pour véritablement convaincre. Le reste de la distribution est à la hauteur de l'ensemble et plusieurs pépites se révèlent : la sérénité et la prestance de Sebastian Monti en Apollon ainsi que la fougue de Yannis François en chef des matelots, qui enchaînent pas de danse et chant avec la même ardeur et la même aptitude (ancien membre de la compagnie de Maurice Béjart tout de même !), nous donnent envie de suivre plus précisément la carrière de ces deux derniers artistes.
Crédits photographiques : Apollon (Sebastian Monti), Alba Faivre et Maud Payen © Vincent Pontet ; Proserpine (Pauline Journe), danseurs et choristes © Vincent Pontet ; Alcione (Lea Desandre), Ceix (Cyril Auvity) et Pélée (Marc Mauillon) © Vincent Pontet
Plus de détails
Paris. Opéra Comique. 26-IV-2017. Marin Marais (1656-1728) : Alcione, tragédie lyrique en cinq actes et un prologue sur un livret d’Antoine Houdar de La Motte. Mise en scène : Louise Moaty. Scénographie : Tristan Baudoin, Louise Moaty. Costumes : Alain Blanchot. Chorégraphie : Raphaëlle Boitel. Lumières : Arnaud Lavisse. Avec : Lea Desandre, Alcione ; Cyril Auvity, Ceix ; Marc Mauillon, Pélée ; Lisandro Abadie, Pan et Phorbas ; Antonio Abete, Tmole, le prêtre de l’hymen et Neptune ; Hasnaa Bennani, Ismène, 1ère Matelote ; Hanna Bayodi-Hirt, une bergère, 2ème Matelote, Junon ; Sebastian Monti, Apollon, Le Sommeil ; Maud Gnidzaz, Doris, confidente d’Alcione ; Lise Viricel, Céphise, confidente d’Alcione ; Maria Chiara Gallo, Aeglé, confidente d’Alcione ; Yannis François, Le chef des matelots ; Gabriel Jublin, Phosphore, père de Ceix ; Benoit-Joseph Meier, un suivant de Ceix. Danseurs et circassiens : Pauline Journe, Tarek Aitmeddour, Alba Faivre, Cyril Combes, Emily Zuckerman, Valentin Bellot, Mikael Fau, Maud Payen. Chœur et orchestre Le Concert des Nations, direction : Jordi Savall.
Quelle déception !
Non, pas à propos de la musique, que j’étais heureusement
surprise de découvrir. Marin Marais ne m’a – en fait – jamais déçue, ni Jordi
Savall et son Concert des Nations, qui ont superbement interprété cette œuvre
superbe.
Côté chanteurs, une petite réserve pour Cyril Auvity (qui
parfois pousse et donc fausse sa voix), et pour Lisandro Abadie et Antonio
Abete, moins convainquants. Par contre, tant Léa Desandre que Marc Mauillon
furent pour moi une réelle découverte. Quel jeu, quelle sensibilité exprimée
dans la voix !
La déception, grande, omniprésente, ce fut la mise en scène
!
J’en ai pourtant déjà vues, des mises en scènes
« originales » d’oeuvres très « classiques », et qui m’avaient
cependant plu ! (le Jules César en Egypte à Salzbourg, Monsieur de
Pourceaugnac, récemment, à Versailles, entre autres …)
Mais celle-ci, est complètement inadaptée, à mon sens. Cela
m’a vraiment dérangée et a même gâché en partie le plaisir apporté par le
spectacle !
Dans la 1ère partie, ces grappes de personnages,
ces incessantes voltiges finissent par donner le tournis, et distraient le
spectateur de la sublime beauté musicale et vocale de l’interprétation.
L’idée, en soi, ne serait pas mauvaise, mais pour de courts
passages. Notamment pour figurer l’enfer ou la destruction du palais. Mais
c’est continuel, et trop long, beaucoup trop long.
Hommage aux solistes qui évoluent dans ces entrelacs de
cordes et de personnages volants …
En 2ème partie, l’orage derrière les voiles était
mieux figuré, avec les acrobaties seulement en contre-jour, suggérées et donc
moins dérangeantes par rapport au propos. Vint ensuite « la mer »,
piteusement actionnée par un mécanisme aussi lourd et inesthétique,
qu’inefficace. Et, tout du long, ces acrobaties qui – bien que démontrant un
réel talent – n’ont que faire ici.
J’ai rêvé, pendant tout le spectacle, du plaisir qu’aurait
pu être de voir évoluer une troupe de danseurs, avec une VRAIE chorégraphie (à
quoi le chorégraphe a-t-il servi, ici ?). Même de style moderne ou
contemporain, la grâce du mouvement apportée par la danse aurait été en
harmonie avec les rythmes et l’harmonie de la musique baroque.
Au lieu de cela, une cacophonie gestuelle constante en
rupture totale avec l’œuvre elle-même !
Dernière déception : les sièges de cette salle, cependant
récemment rénovée, ne sont pas disposés en quinconce. Voilà donc beaucoup de
spectateurs (sauf les « grands ») contraints de balancer d’un côté à
l’autre, pour apercevoir ce qui se passe sur le 1/3 de scène masqué par la tête
du spectateur du rang précédent.
En conclusion, ce fut musicalement une soirée réussie, mais
franchement ratée à tous autres points de vue.
Dommage.