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Toulon. Opéra. 20-IV-2017. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : L’Enlèvement au sérail, singspiel en trois actes sur un livret de Johann Gottlieb Stephanie Jr. Mise en scène : Tom Ryser. Décor : David Belogou. Costumes : Jean-Michel Angays, Stéphane Laverne. Lumières : Marc Delamézière. Avec : Aleksandra Kubas-Kruk, Constance ; Jeanette Vecchione, Blonde ; Oleksij Palchykov, Belmonte ; Keith Bernard Stonum, Pedrillo ; Taras Konoschenko, Osmin ; Tom Ryser, Sélim. Chœur (chef de choeur : Christophe Bernollin) et Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction : Jurjen Hempel.
Au terme d'un voyage qui l'aura vu faire escale à Fribourg, Lausanne, Tours et Toulouse, L'enlèvement au sérail pétillant et mélancolique imaginé par Tom Ryser aborde à Toulon au son d'une partie musicale une fois encore entièrement renouvelée.
L'on avait beaucoup goûté la façon dont le metteur en scène suisse nous avait révélé l'improbable Jésus-Christ superstar la saison dernière à Bâle. En passant aux « choses sérieuses » (quoique) avec ce singspiel trop souvent écouté d'une oreille, coincé qu'il est entre les deux chefs-d'œuvre que sont Idoménée et Les Noces de Figaro, Tom Ryser fait preuve, comme pour l'opéra-rock de Lloyd Webber, d'une évidente empathie avec une œuvre dont il a à coeur d'extraire les facettes cachées sous la séduction d'une musique apparemment légère.
L'Orient ayant pris une telle place dans le quotidien de l'Occident, l'on ne peut plus se contenter de monter L'enlèvement au sérail comme la simple comédie que l'on nous a longtemps mal vendue. À Aix 2015, la production-coup de poing de Martin Kusej, bien qu'inaboutie, inaugura un difficile retour en arrière. Celle de Tom Ryser, moins radicale (il est vrai que celle de Kusej succédait à l'attentat de Charlie), ne pointe pas moins les questionnements très modernes du livret de Johann Gottlieb Stephanie Jr : comme chez Kusej, Osmin troque le costume de pancione contre celui de chef de guerre (le texte de ses interventions l'y autorisent tout à fait) et l'on s'interroge légitimement sur la place des femmes au sérail. À cet effet, Ryser trouve un biais dont la mélancolie fait mouche dès l'Ouverture : au-delà des mers, le pacha Sélim s'adonne à la valse des regrets en visionnant un film en super 8 où apparaît celle dont l'on apprendra in fine qu'il a été privé par son ennemi juré. Les femmes de son harem ne sont que des clones déceptifs de cet amour évanoui, Constance représentant le nouvel espoir d'un énième emballement amoureux. Ce judicieux parti-pris a le mérite de souligner d'emblée la grandeur d'âme de ce Pacha hors tous les canons machistes (« Il est un plaisir beaucoup plus grand de rendre une injustice subie par un bienfait »), celle qui le mènera en toute logique au pardon final.
C'est l'atout d'un spectacle quasi chorégraphié, qu'une inventive (quoique parfois un peu raide) direction d'acteurs mène à son terme au travers d'un décor ultra-léger de David Belogou, où le végétal et la pierre dialoguent autour d'oniriques moucharabiehs. Si les lumières sont variées autant que soignées, cet environnement scénique aurait bénéficié d'un esthétisme plus prégnant, le second acte, qui donne moins que ce que le premier promettait, souffrant particulièrement de l'omniprésence de la toile la moins inspirée. On lorgne avec bonheur vers la comédie musicale pour le quatuor du II tandis qu'au III, on souligne avec audace et malice les effets impromptus du vin chez ceux que le fait religieux a trop voulu contraindre. On ne s'ennuie jamais, jusqu'à la très belle dernière image, qu'on aurait toutefois souhaitée réservée à l'unique Sélim, celui qui ne chante pas étant devenu personnage principal.
Musicalement, on perd progressivement l'espoir que la fosse s'accorde à l'énergie de la scène, la direction de Jurjen Hempel, d'une sagesse réveillée de temps à autre par l'accent judicieusement mis sur certaines trouvailles orchestrales (le Schleich nur saüberlich du dernier air d'Osmin), manquant par trop de ligne directrice. On est en revanche captivé d'emblée par la beauté du timbre et la réserve sans fond du souffle du Belmonte d'Oleksiy Palchykov, les seuls aigus forcés de Ich baue ganz auf deine Stärke ternissant brièvement l'aisance et la juvénilité bondissante d'une incarnation remarquable. C'est tout le contraire qui se produit avec la Constanze d'Aleksandra Kubas-Kruk : d'un Ach ich liebte au legato fluctuant (d'étranges aigus aux allures de trous d'air), elle passe à un Martern aller Arten confondant de virtuosité au-delà duquel elle fait montre d'une assurance idoine. La Blonde décomplexée de Jeanette Vecchione est fiable de bout en bout, ravie d'asséner à la gent masculine ses aigus bien sertis. Le Pedrillo de Keith Bernard Stonum, quelque peu en difficulté sur Frich zum Kampfe, est fort sympathique. On louera pour finir l'Osmin sans reproche de Taras Konoschenko, le Chœur efficace de l'Opéra de Toulon ainsi que le Sélim séduisant incarné par…Tom Ryser, auteur de ce spectacle qui donne finalement la sympathique impression d'avoir été tourné lui aussi en super 8.
Crédits photographiques: © Frédéric Stephan
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Toulon. Opéra. 20-IV-2017. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : L’Enlèvement au sérail, singspiel en trois actes sur un livret de Johann Gottlieb Stephanie Jr. Mise en scène : Tom Ryser. Décor : David Belogou. Costumes : Jean-Michel Angays, Stéphane Laverne. Lumières : Marc Delamézière. Avec : Aleksandra Kubas-Kruk, Constance ; Jeanette Vecchione, Blonde ; Oleksij Palchykov, Belmonte ; Keith Bernard Stonum, Pedrillo ; Taras Konoschenko, Osmin ; Tom Ryser, Sélim. Chœur (chef de choeur : Christophe Bernollin) et Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction : Jurjen Hempel.