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Paris. Opéra Garnier. 16-III-2017. Luca Francesconi (né en 1956) : Trompe-la-mort, opéra en deux actes ; livret du compositeur d’après Honoré de Balzac ; mise en scène Guy Cassiers, décors ; Guy Cassiers et Tim Van Steenbergen ; lumières, Caty Olive ; vidéo, Frederik Jassogne. Laurent Naouri, baryton, Trompe-la-Mort ; Julie Fuchs, soprano, Esther ; Cyrille Dubois, ténor, Lucien de Rubempré ; Marc Labonnette, baryton, le Baron de Nucingen ; IIdikó Komlósi, mezzo-soprano, Asie ; Philippe Talbot, ténor, Eugène de Rastignac ; Béatrice Uria-Monzon, mezzo-soprano, la Comtesse de Sérisy ; Christian Helmer, baryton, Le Marquis de Granville ; Chiara Skerath, soprano, Clotilde de Grandlieu ; Laurent Alvaro, baryton basse, Contenson ; François Piolino, ténor, Peyrade ; Rodolphe Briand, ténor, Corentin. Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris ; direction, Susanna Mälkki.
Après la création, à la Scala, de son opéra Quartett en 2011, le Milanais Luca Francesconi répond à la commande de l'Opéra de Paris avec Trompe-La-Mort d'après Honoré de Balzac.
S'il élabore lui-même le livret, il avoue ne pas avoir touché à l'écriture de Balzac, celle de Splendeurs et misères des courtisanes dont est tirée l'histoire de ce personnage caméléon aux quatre visages. Avec la collaboration fructueuse du metteur en scène Guy Cassiers, Francesconi met à l'œuvre la puissance d'un geste dramaturgique à la hauteur de la vision balzacienne.
« Vous brillerez, vous paraderez pendant que, courbé dans la boue des fondations, j'assurerai le brillant édifice de votre fortune » : tel est le pacte faustien établi entre les deux personnages, l'abbé espagnol Carlos Herrera, ancien forçat – alias Jacques Collin, William Barker ou encore Vautrin – et le jeune et beau Lucien de Rubempré dont il s'est follement épris. Mais Lucien tombe amoureux de l'ancienne courtisane Esther et déjoue les ambitions mondaines de son factotum. Ce dernier contraint le couple à vivre dans l'ombre et finit par vendre Esther au vieux Baron de Nucingen qui l'épouse. Esther se donne la mort, Lucien et Herrera sont accusés de meurtre et emprisonnés. On retrouve Lucien pendu dans sa cellule. Herrera révèle alors sa véritable identité et, en échange de quelques lettres compromettantes, sauve une nouvelle fois sa peau et devient… chef de la police.
Sur une trame narrative efficace et bien conduite – les deux heures de spectacle n'accusent aucune faiblesse – Francesconi élabore une dramaturgie sur quatre niveaux, à l'image des différentes strates de vérité qui s'imbriquent dans le récit balzacien : du monde de l'apparence un rien frivole à « l'esprit caché » des profondeurs de l'être où les personnages finissent par révéler leur vraie nature : « Lucien était mon âme visible » chante Jacques Collin / Trompe-La-Mort dans l' « Aria de la soutane » de la dernière scène.
Cet aller-retour des profondeurs à la lumière engagée par la dramaturgie se lit également dans la mise en scène épurée mais non moins suggestive du Belge Guy Cassiers qui offre un spectacle d'une belle unité de conception. L'espace restera nu et sombre, hormis quelques traits de lumière énigmatiques, dans les face-à-face des deux protagonistes. L'essentiel du décor réside ensuite dans le mouvement d'apparition et disparition de panneaux LED, métaphore du passage continuel d'une strate dramatique à l'autre. Ces écrans sophistiqués s'élèvent de la scène pour reconstituer, en trompe l'œil, les colonnes de marbre veinées de couleurs et autres espaces lumineux autant que luxueux du grand monde. Ils reviennent, mais brusquement ternis, pour suggérer les cellules de la prison où Lucien va se suicider. L'image forte du prologue, avec la vidéo qui projette en plein écran le visage monstrueux de Trompe-La-Mort en train de se transformer, est un premier coup de théâtre pour le moins saisissant !
Côté fosse, Francesconi déploie un talent d'orchestrateur hors norme, convoquant un dispositif instrumental somptueux (incluant piano et accordéon) dont l'important set de percussions trône dans les loges de côté. L'écriture y est ciselée et virtuose, surprenante et inventive toujours, mettant au service de la dramaturgie tous les ressorts du timbre. Susanna Mälkki, impressionnante, en restitue magnifiquement le tranchant et la plénitude, aux commandes d'une phalange prestigieuse qui donne ce soir le meilleur d'elle-même.
Comme celle de l'orchestre, l'écriture de la voix est fonction des différentes temporalités associées à chacun des « niveaux de vérité » que décline la dramaturgie. « J'ai accepté le défi d'avoir dans cette œuvre onze personnages et de traiter la narration sur plusieurs niveaux. Mais je n'ai pas nié la possibilité de faire chanter les chanteurs » déclare Francesconi; notamment à travers les arias d'une très belle facture qu'il écrit pour chacun des personnages principaux – Herrera, Lucien, Esther – mais pas seulement. La vocalité passe d'ailleurs par toutes les manifestations sonores, du cri au parlé scandé, chanté, en passant par la déclamation debussyste jusqu'aux vocalises pour le gosier des belles mondaines – truculentes Clotilde de Grandlieu/Chiara Skerath et Comtesse de Sérisy/Béatrice Uria-Monzon. Le chœur, toujours discret, semble répercuter le « caquetage » de ces dames sous forme de chuchotements étranges qui colorent le silence dans certains débuts de scène. Les voix sont dans l'ensemble remarquables, assumant sans défaillance des parties exigeantes dans un rythme scénique des plus soutenu. Si Philippe Talbot/Eugène de Rastignac manque d'un rien de tonicité dans ses répliques, Marc Labonnette/Le baron de Nucingen et Christian Helmer/Le Marquis de Grandville ont la puissance et la carrure attendues. La voix légère, ductile et joliment timbrée de Julie Fuchs/Esther, innocente victime, nous émeut dans ses deux arias. Celle de Cyrille Dubois aussi, ténor vaillant autant que lumineux, a la diction claire et les accents énamourés de Pelléas. Dans le rôle titre, Laurent Naouri est l'homme de la situation, avec l'épaisseur dramatique, l'autorité vocale et tout le rugueux du personnage laissant deviner la faille profonde de l'ancien forçat, cet amour qu'il avoue à demi-mot à la mort de Lucien.
Pour Francesconi le risque était grand de s'enliser dans le verbe labyrinthique de la Comédie humaine. Mais en fin dramaturge, qui n'en est pas à son coup d'essai, il taille au contraire un livret à sa mesure, au sujet fort, qu'il soumet à ses fins opératiques, reprenant à son compte la phrase célèbre et riche de sens du compositeur de Don Giovanni : « […] dans un opéra, la poésie doit être en fin de compte fille obéissante de la musique ».
Crédits photographiques: © Kurt Van Der Elst /Opéra national de Paris
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