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Paris. Théâtre national de Chaillot. 15-XII-2016. Roméo et Juliette. Chorégraphie : Angelin Preljocaj. Décor : Enki Bilal. Costumes : Enki Bilal, Fred Sathal. Musique: Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev. Création sonore: Goran Vejvoda. Lumières: Jacques Chatelet. Pièce remontée par Youri Aharon Van den Bosch. Avec Juliette: Virginie Caussin, Roméo: Redi Shtylla. Tybalt: Marius Delcourt, Mercutio: Fran Sanchez, Benvolio: Jean-Charles Jousni et les danseurs du Ballet Preljocaj.
Pour la soirée du gala annuel du Théâtre national de Chaillot, Didier Deschamps présente Roméo et Juliette d'Angelin Preljocaj dans une version remaniée pour les danseurs du Pavillon noir. Un chef d'œuvre à la beauté sombre et somptueuse !
Le discours est sombre, mais la pièce intense et lumineuse. Preljocaj conduit son Roméo et Juliette de la belle Vérone aux rives torturées d'un univers carcéral et dictatorial. Le décor métallique d'Enki Bilal nous transporte dans un monde futuriste et agressif qui rappelle celui des contre-utopies bien connues comme 1984, que Preljocaj relisait lorsqu'il créa le ballet en 1990 pour l'Opéra de Lyon.
La famille de Juliette est celle des hommes de l'ordre, soldats bottés, vêtus d'uniformes noirs, qui évoquent les périodes les plus sombres de l'Histoire. Ils imposent leurs lois aux sans-abris, dont est issu Roméo. C'est donc dans un conflit de classe que Preljocaj nous plonge d'emblée. Le trio impertinent et joyeux formé par Roméo, Mercutio et Benvolio apporte un peu d'humanité, de rire et de dérision dans un monde répressif qui en est totalement dépourvu.
La musique de Prokofiev, complétée par la création sonore de Goran Vejvoda, vient sublimer cet univers aseptisé et lui apporter des accents lyriques. Les motifs musicaux sont clairement associés à chaque personnage. Preljocaj accentue cette caractérisation en appliquant à chaque monde un motif chorégraphique qui permette de le distinguer. Les nourrices de Juliette se déplacent avec la même combinaison de pas, l'air très sérieux, ce qui permet une distanciation comique. La danse du clan Capulet – clan de la classe dominante – est dure, anguleuse, rythmée, tout en lignes droites, alors que les danseurs du clan Montaigu semblent plutôt montés sur ressorts. Ils sautent, roulent, tournoient, se jettent sur le sol, se relèvent dans des combinaisons d'une rapidité époustouflante. Preljocaj impose un rythme infernal à ses danseurs, dont les capacités physiques sont mises à rude épreuve, notamment dans les scènes de combat. L'intrigue est resserrée, concentrée sur l'essentiel.
La rencontre entre Roméo et Juliette, comme dans la version de Noureev, relève du coup de foudre, de l'évidence d'une attraction immédiate et irréversible. Plus sensuelle et immédiatement physique que dans la version classique. Les duos d'amour, conçus comme une entorse aux règles dictatoriales, sont d'une beauté brute et vraie. Virginie Caussin incarne une Juliette moins naïve et insouciante que dans la version classique mais conserve la fraîcheur et le naturel du personnage. Preljocaj ne s'embarrasse pas de motiver l'attraction d'une fille de dictateur pour un va-nu-pied qu'elle ne connaît pas. Mais cette immédiateté de la rencontre amoureuse tient avant tout du Fatum qui conduit le destin tragique des amants. La connexion entre les deux danseurs Virginie Caussin et Redi Shtylla est sans faille. Chacun des gestes dégage une sensualité forte et animale, jamais vulgaire.
La scène finale de la mort des amants est admirable de justesse et d'émotion. Incapable d'accepter la mort de sa bien-aimée, Roméo danse avec le corps de Juliette, essayant vainement de jeter ses bras inanimés autour de son cou, dans une étreinte molle. La spirale du désespoir se resserrant, la danse s'accélère ; Juliette, comme un pauvre pantin, se laisse ballotter par son amant abruti de douleur et de rage. Son corps choit sur le sol et Roméo n'a plus qu'à se donner la mort sur le corps de sa bien-aimée. Juliette se réveille et, dans une symétrie ironique et tragique, répète les mêmes gestes avec le corps mort de son amant. La prouesse technique de cette danse doit être soulignée. Rien de plus difficile que de danser avec un corps non tenu, d'autant plus dans un duo, où le partenaire doit supporter le poids du corps abandonné.
Preljocaj réussit le tour de force de transposer le drame shakespearien dans un univers sombre, marqué historiquement et idéologiquement, sans pour autant perdre l'universalité du discours amoureux et la force émotionnelle qui confèrent sa luminosité à la pièce. Un chef d'œuvre intemporel qui prend un sens tout particulier de nos jours.
Crédits photographiques: © Jean-Claude Carbonne
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Paris. Théâtre national de Chaillot. 15-XII-2016. Roméo et Juliette. Chorégraphie : Angelin Preljocaj. Décor : Enki Bilal. Costumes : Enki Bilal, Fred Sathal. Musique: Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev. Création sonore: Goran Vejvoda. Lumières: Jacques Chatelet. Pièce remontée par Youri Aharon Van den Bosch. Avec Juliette: Virginie Caussin, Roméo: Redi Shtylla. Tybalt: Marius Delcourt, Mercutio: Fran Sanchez, Benvolio: Jean-Charles Jousni et les danseurs du Ballet Preljocaj.