L’oeuvre d’orchestre de Dutilleux par le Seattle Symphony et Ludovic Morlot
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Célébrant en 2016 le centenaire de la naissance d'Henri Dutilleux, ce luxueux coffret états-unien réunit en trois disques la quasi totalité de la musique d'orchestre du compositeur. Seul en piste, l'Orchestre de Seattle sous la baguette de son chef français Ludovic Morlot confère à l'écriture de Dutilleux une incomparable somptuosité.
Dès son arrivée au Seattle Symphony, Ludovic Morlot avait annoncé qu'il ferait jouer Dutilleux à cet orchestre (lire notre entretien à Seattle avec le chef). Quatre ans plus tard, le résultat est là. Si le premier volume de cette quasi-intégrale (il ne manque que les deux dernières compositions du maître, Correspondances et Le temps l'horloge écrites respectivement pour les voix de Dawn Upshaw et Renée Fleming) débute par la Symphonie n°1, l'ordre des pièces n'est pas ici chronologique mais répond davantage à un souci d'équilibre et de diversité dans la présentation. Les concertos pour violoncelle et violon apparaissent au centre des deux premiers volumes.
C'est le violoncelle de Xavier Phillips, incisif et fougueux, qui est au-devant de l'orchestre dans Tout un monde lointain (vol.1), une des partitions les plus inventives et risquées de Dutilleux (1970) dont les protagonistes servent l'étrange beauté avec un sens du détail et une alchimie de couleurs qui étreignent. L'Arbre des Songes (1985) met en vedette le violoniste Augustin Hadelich et son lumineux Stradivarius d'une ampleur et d'une flexibilité souveraines. Le mouvement lent est d'une singulière élégance.
La Symphonie n°2 Le double (1959) qui lui succède (vol.2) révèle puissance de l'écriture et nervosité du trait sous la conduite acérée de Ludovic Morlot. Dans le même volume, Métaboles (1965) brille de tous ses feux, par la plénitude des timbres de l'orchestre et un certain sensualisme de la matière sonore qui séduit. La prise de son restituant la profondeur de l'espace autorise un confort d'écoute optimal. On mesure le savoir-faire et la sophistication du travail d'orchestre dans Shadows of time (1997) rarement entendu avec une telle projection du son et magnifié par la qualité de l'exécution (vol.2).
On retrouve Augustin Hadelich et son intensité expressive dans Sur le même accord (2002) qui débute le volume 3 : un « Nocturne » tel que le définit le compositeur qui l'a écrit pour Anne-Sophie Mutter.
Curieusement, c'est le diptyque Les citations, oeuvre de musique de chambre pour hautbois, clavecin, contrebasse et percussion qui précède, pour des raisons de timing peut-être, les deux dernières pièces d'orchestre de cette intégrale, deux chefs d'oeuvre absolus écrits par un compositeur au faîte de son art. Composé à la demande de Paul Sacher (qui attendra plus de 15 ans les fruits de sa commande!) Mystère de l'instant (1989) pour 24 cordes, cymbalum et percussion est une succession d'instantanés, musique éphémère et insaisissable où s'exercent le raffinement de l'écriture et le génie coloriste de Dutilleux. Le rendu de la matière, son grain et ses moirures est une splendeur sous les archets du Seattle Orchestra malgré la présence un rien envahissante du cymbalum. Timbres, espace, mouvement (ou « La nuit étoilée ») d'après Van Gogh (1978) est porté du début à la fin par le génie orchestral du compositeur qui élabore ici un espace sonore en trois dimensions. La virtuosité des interprètes – celle des vents particulièrement sollicités – servie par une prise de sons étonnante revêt de tout son éclat une des pièces les plus complexes du catalogue Dutilleux. Maître d'oeuvre exemplaire, Ludovic Morlot en restitue tout à la fois la splendeur et l'onirisme.