Jaroussky et le Concert de la Loge chez Bach et Telemann
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 03-XII-2016. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : cantate Der am Ölberg zagende Jesus TWV 1:364 ; cantate Jesus liegt in letzten Zügen TWV 1:983 ; Suite pour cordes TWV 55:B8 (ouverture) ; Passion selon saint Matthieu TWV 5:53 (ouverture) ; Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suite en si mineur pour flûte et cordes BWV 1067 ; cantate Ich habe genug BWV 82. Philippe Jaroussky, contre-ténor. Le Concert de la Loge, Julien Chauvin : violon et direction.
Le Théâtre des Champs-Élysées était le témoin d'une triple rencontre, celle de Philippe Jaroussky, du Concert de la Loge et d'un répertoire que l'un et l'autre ont jusqu'alors peu fréquenté : la musique religieuse des deux grands maîtres du baroque allemand du XVIIIe siècle, Bach et Telemann.
Si l'on ne présente plus la musique instrumentale de Telemann, il est étonnant de constater à quel point sa musique vocale (opéras, oratorios, cantates…) représente encore un continent largement inexploré. Ce n'est pas le moindre mérite de l'année Telemann qui s'ouvre que d'inciter à la redécouverte de ces œuvres, notamment des cantates (1 700 au catalogue !), comme on a pu le voir récemment à Munich. Philippe Jaroussky apporte sa pierre à l'édifice, avec la sortie récente d'un disque chez Erato (avec le Freiburger Barockorchester) dont le concert de ce soir reprend grosso modo le programme.
La soirée s'ouvre avec… une ouverture (à la française bien sûr) de Telemann, celle d'une suite pour cordes avec hautbois. Avec son effectif très fourni et une basse continue pléthorique (clavecin, contrebasse, deux violoncelles et basson), le Concert de la Loge déploie un son ample, mais avec précision et vivacité. Puis Philippe Jaroussky fait son entrée pour la cantate Der am Ölberg zagende Jesus, incarnant tour à tour un narrateur et le Christ en proie au doute sur le Mont des Oliviers. La partition est de très bonne facture. Le style opératique est favorable à la voix du contre-ténor, très intelligible face à l'orchestre. Des tenues émouvantes dans le premier air « Ich bin betrübt bis in den Tod » au morceau de bravoure du dernier, « Kommet her, ihr Menschenkinder », qui offre une intensité toute haendelienne, Philippe Jaroussky déploie avec aisance et sensibilité toute la palette des sentiments prescrits par le texte.
On retrouve les mêmes qualités dans la seconde cantate, la suite en quelque sorte puisqu'elle se situe à l'agonie du Christ (heureusement, rien n'interdit de donner des cantates de la Passion en décembre, quand toutes les églises et les salles de concert résonnent du Messie et de l'Oratorio de Noël !). Telemann se permet les petites facéties dont il est coutumier, mais les accents dramatiques du début sont aussi convaincants que chez son ami Bach. L'air central, « Mein liebster Heiland », où le chanteur est en trio avec un hautbois et le violon solo, est un des sommets du concert. Cette première partie de haute volée se clôt avec un dernier air très animé exprimant la joie, dans lequel Philippe Jaroussky, s'imposant pleinement face à l'orchestre, fait preuve de son agilité proverbiale.
La deuxième partie, consacrée à Bach, commence avec la fameuse suite en si mineur pour flûte et orchestre. La soliste Tami Krausz s'en sort honorablement, du moins dans les parties solistes. Mais, en tutti, que peut un traverso face à dix violons, deux altos et un continuo fourni ? La flûte est quasiment inaudible dans le Menuet et la Badinerie, et quand l'orchestre pense à lui laisser la place dans la Sarabande, le résultat est pour le moins évanescent.
Enfin vient la célèbre cantate Ich habe genug, écrite à l'origine pour basse mais transcrite par Bach lui-même pour soprano. En matière d'interprétation par un contre-ténor, Andreas Scholl a déjà placé la barre très haut. Les intentions de Philippe Jaroussky sont excellentes dès le premier air : son magnifique et habité, phrasé remarquable, diction impeccable. Mais la partition est assez exigeante en termes de graves, et oblige à des sauts de voix de tête en voix de gorge pas toujours parfaits, quand ils ne sont pas évités par un discret passage à l'octave. Dans le fameux air « Schlummert ein », quelques rares pointes de maniérisme affleurent, mais c'est surtout l'aspect aérien qui peut laisser dubitatif, notamment quand la basse ne suit pas l'intention du chanteur en étant trop présente. Heureusement, l'air final « Ich freue mich auf meinen Tod », animé et jubilatoire, est très réussi.
Crédits photographiques : Philippe Jaroussky © Marc Ribes ; Le Concert de la Loge © Franck Juery
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 03-XII-2016. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : cantate Der am Ölberg zagende Jesus TWV 1:364 ; cantate Jesus liegt in letzten Zügen TWV 1:983 ; Suite pour cordes TWV 55:B8 (ouverture) ; Passion selon saint Matthieu TWV 5:53 (ouverture) ; Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suite en si mineur pour flûte et cordes BWV 1067 ; cantate Ich habe genug BWV 82. Philippe Jaroussky, contre-ténor. Le Concert de la Loge, Julien Chauvin : violon et direction.