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Hugues Dufourt, beethovénien dans l’âme

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Le week-end dernier, la Philharmonie de Paris a accueilli la 8e édition du festival Orchestres en fête, avec de nombreuses phalanges orchestrales venues célébrer la figure de Beethoven en lien avec l'exposition Le mythe Beethoven. L' et son chef ont lancé la manifestation avec la création française d'Ur-Geraüsch d', commande du Festival Beethoven de Bonn. S'agissant de cette nouvelle œuvre composée en regard de l'Eroica, le compositeur répond à nos questions.

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« Dans Ur-Geräusch, j'ai engagé un pari impossible et risqué un geste surhumain. »

ResMusica : Comment est née l'idée de cette commande du Festival Beethoven de Bonn?

: Elle est liée à la perspective du 250ème anniversaire de la mort de Beethoven que l'on fêtera en 2020. Le festival a demandé à neuf compositeurs d'écrire une oeuvre en regard de l'une des 9 symphonies de Beethoven. Etant le premier à avoir reçu la commande, j'ai eu le choix et me suis fixé sur la troisième, Eroica.

RM : Quand a eu lieu la création d'Ur-Geraüsch?

HD : Le 23 septembre dernier, à Bonn, pendant le Festival Beethoven qui s'est tenu du 9 septembre au 9 octobre. C'est l'orchestre de la WDR et qui ont assuré cette première exécution, avec un soin et une qualité d'ensemble exemplaires. J'ai cette chance, accordée à peu de compositeurs aujourd'hui, de réentendre ma pièce deux fois, à Toulouse et à la Philharmonie de Paris.

RM : Vous avez consacré bon nombre d'articles à Beethoven; citons pour exemple « Beethoven, idéologie et stratégie du sublime » dans la revue belge de musicologie en 1998. Êtes-vous un Beethovénien dans l'âme ?

HD : Assurément et depuis toujours! Beethoven a accompagné mon enfance et toute mon adolescence. Lorsque j'étudiais le piano au Conservatoire de Genève, avec mon professeur Louis Hiltbrand, élève de Dinu Lipati, j'ai beaucoup joué les Sonates. La figure de Beethoven était au centre de mon univers musical.

RM : Le titre allemand Ur-Geräusch de votre nouvelle œuvre interroge. Comment le traduire au mieux et d'où tirez-vous cette fois votre inspiration?

HD : Littéralement, Ur-Geraüsch signifie « Bruit primordial » mais je préfère « Rumeur des âges », une traduction que j'emprunte à l'un des écrits de . En1919, l'écrivain autrichien s'intéresse aux prémisses de la musique enregistrée. Ur-Geräusch fait référence au sillon où est gravé le son qui, selon Rilke, renvoie au bruit originel de l'être humain. L'idée du son qui allait naître de la technologie modifie radicalement sa conception de la musique dont il s'est beaucoup méfié auparavant. Cet ouvrage magnifie au contraire l'art du sonore qui, selon lui, sous-tend tous les autres arts. La thèse est reprise par dans son traité « Esquisse d'une nouvelle esthétique musicale » qu'il dédie à Rilke. Comme ce dernier, le musicien italien voit à travers les possibilités de l'enregistrement la musique de l'avenir et avance l'idée nietzschéenne d'une musique transcendantale, s'élevant par delà le Bien et le Mal. Dans une pensée qui les rapproche de Walter Benjamin, Busoni comme Rilke définissent une esthétique de « la tension pure » qui est aussi mon propos dans l'œuvre que j'ai composée.

« Les grandes pièces symphoniques disparaîtront d'ici une cinquantaine d'années si les compositeurs ne peuvent être soutenus dans ce travail d'envergure. »

RM : Comment s'y établit le rapport avec la musique de Beethoven?

HD : Il est très intime. Je n'ai glissé aucune citation et autre référence au texte de l'Eroica. Dans Ur-Geräusch, j'ai engagé un pari impossible et risqué un geste « surhumain » : celui d'une grande arche à soutenir durant une trentaine de minutes, avec des transformations internes de timbre. La dramaturgie y est latente mais jamais déployée.

RM : Pour quel type d'orchestre est écrit Ur-Geräusch?

HD : C'est un grand orchestre par 4 (pupitres des vents) et 40 cordes sur lesquelles je réalise un travail de détail qui m'amène à la division au 1/8ème de ton! Je pars de la note mi, en lien direct avec les Espaces acoustiques de à qui je rends également hommage dans ma pièce. Cette note Mi traverse toute la partition. J'ai procédé, avec l'ordinateur, au calcul scientifique du spectre de la note. Ainsi ai-je fixé les harmoniques au 1/8ème de ton que Grisey n'avait pu obtenir au moment de sa composition. L'autre pari dans Ur-Geräusch est de transmuter la matière des cordes en un son de synthèse presque métallique.

RM : La division micro-intervallique concerne-t-elle aussi le pupitre des vents?

HD : Il faut être très prudent avec l'écriture micro-intervallique des vents dans l'orchestre et n'exiger que ce qui est aisément réalisable pour eux. Je poursuis aujourd'hui, avec le tromboniste Dominique Delahoche, un travail d'envergure sur les nouvelles techniques de jeu des instruments à vent (à paraître chez Delatour) qui va permettre de noter très précisément les positions des sons multiphoniques. Dans Ur-Geräusch, les micro-intervalles aux vents sont rares mais judicieusement placés pour infléchir le timbre à certains moments. J'explore également les tessitures extrêmes, dans le grave notamment, avec les sons pédales de la trompette et les sub-pédales du trombone. Le pari, toujours, est d'obtenir une couleur d'orchestre unique.

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RM : Avez-vous déjà collaboré avec l'orchestre de Toulouse et ?

HD : C'est la première fois qu'ils interprètent ma musique et je regrette de ne pas avoir travailler plus tôt avec cet orchestre magnifique Je n'ai malheureusement pas pu assister aux répétitions, étant retenu par d'autres activités. Mais a fait un travail remarquable et je suis impressionné par le résultat obtenu.

RM : Quelles sont les atouts majeurs d'un tel orchestre?

HD : Je louerai d'abord leur discipline et leur concentration, des qualités qui mettent le compositeur en confiance. L'ensemble sonne de manière équilibrée, avec une qualité de timbre dans tous les pupitres. On sent au sein de la phalange une patine du son due à la longue fréquentation du grand répertoire, de Brahms à Debussy. La musique d'aujourd'hui, avec ses exigences sur le plan des couleurs, s'en trouve naturellement magnifiée.

RM : Vous vouliez, je crois, ajouter une réflexion personnelle d'ordre général, qui projette une ombre sur la toile symphonique.

HD : Comme tous mes confrères, je me pose des questions quant à la pérennité de l'oeuvre d'orchestre. Les commandes d'orchestre sont de plus en plus rares et les grandes pièces symphoniques disparaîtront d'ici une cinquantaine d'années si les compositeurs ne peuvent être soutenus dans ce travail d'envergure et de longue haleine. Permettez-moi d'exprimer mon inquiétude quant à cet état de fait.

Crédits photographiques : portrait © Astrid Karger ; à la Philharmonie © Michèle Tosi

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