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Bâle. Theater Basel. 31-X-2016. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Force du destin, opéra en 4 actes sur un livret de Francesco Maria Piave et Antonio Ghislanzoni. Mise en scène : Sebastian Baumgarten. Décor : Barbara Ehnes. Lumières : Guido Hölzer. Costumes : Marysol del Castillo . Vidéo : Chris Kondek. Chorégraphie : Kinsun Chan. Avec : Pavel Kudinov, Marchese di Calatrava ; Elena Stikhina, Leonora di Vargas ; Evez Abdulla, Don Carlo di Vargas ; Aquiles Machado, Don Alvaro ; Evgeny Stavinsky, Padre Guardiano ; Andrew Murphy, Fra Melitone ; Anaïk Morel, Preziosilla ; Karl-Heinz Brandt, Mastro Trabuco; Valentina Marghinotti, Curra ; Vivian Zatta, Un Alcade ; Vahan Markaryan, Un Chirurgo. Chor, Extrachor, Statisterie du Theater Basel (chef de choeur Henryk Polus), et Sinfonieorchester Basel, direction : Ainars Rubikis.
Courageux pari que celui de monter La Force du destin. Bâle, qui n'a décidément pas froid aux yeux cette saison, fait appel à Sebastian Baumgarten. Etait-ce le bon choix ?
1861 : à Saint-Pétersbourg, la créatrice du rôle de Leonora tombe malade. 1862 : sa remplaçante se voit privée à jamais de scène au lendemain de la première. 1960 : à New York, le baryton américain Leonard Warren meurt avant d'entrer en scène. 1971 : à Toulouse, Michel Plasson reçoit le rideau de scène sur la tête. 1975 : à Paris, un figurant tombe dans la fosse et un Christ en croix de 6 mètres s'effondre en pleine répétition. à Buenos Aires, 6 morts sous un lustre effondré. Cette avalanche de catastrophes en écho au titre de l'œuvre, cette Force du destin aux trois morts, que Verdi composa après avoir été lui-même frappé trois fois dans sa vie familiale par la camarde, pourrait décourager plus d'un artiste. Plus encore, écartelé entre religion et militarisme, un livret bavard et alambiqué (inspiré pour partie, à l'instar de certain Trouvère, des romantiques espagnols, le reste venant de Schiller) saute à cloche-pied par-dessus les années (Acte II 18 mois après le I, Acte III des années après le II, Acte IV 5 ans plus tard !) faisant comme rarement fi de tout concept d'unité de temps et de lieu. Et même si Verdi a mis dans le festival de rebondissements et de fausses identités de cet opéra de sa maturité quelques-unes de ses plus belles pages, même si après une version française pour Paris, il le remania substantiellement, La Force du destin est loin d'égaler le titre qui suivra, Don Carlos. À moins qu'au chevet du malade, un metteur en scène de poids ne soit d'un grand secours. Déplorons-le d'emblée : ce n'est pas le cas à Bâle.
Sebastian Baumgarten, fort de moult mises en scène tant de théâtre que d'opéras, a surtout le titre de gloire d'être parvenu, de 2011 à 2014, avec la station d'épuration de son Tannhäuser, à libérer quelques fauteuils du Neues neues Bayreuth. C'est également devant un Theater Basel plus clairsemé qu'à l'accoutumée qu'il exhibe sa première mise en scène d'un opéra de Verdi.
Sur la célèbre Sinfonia d'ouverture, l'utilisation virtuose d'une vidéo surlignant les arêtes de ce qui sera le décor (procédé fascinant qui fonctionne à plein régime dans l'impressionnant Don Giovanni de Kasper Holten) où une main (divine ?) affiche quelques injonctions de type biblique, intrigue. Comme ses prédécesseurs cette saison, Baumgarten utilise le plateau tournant mais si ce procédé fonctionnait à plein dans la récente Tote Stadt, ici il semble tourner en rond. L'œil navigue entre le glauque (dans l'auberge, baptisée Playmate Ranch, une clientèle aux costumes d'une rare laideur, menée par des entraîneuses en pagne, se trémousse devant un mur de guerriers nus portant haut arme et sexe en érection) et le confus. Direction d'acteurs en berne, Baumgarten semble se soucier comme d'une guigne de révéler une œuvre problématique. Le décor, lorsqu'il n'est pas habillé de vidéo, révèle un bricolage qui jure avec la beauté de la partition. Si l'on comprend et partage bien évidemment la charge anti-militariste du metteur en scène (le père de Leonora est un marchand d'armes), l'on reste plus circonspect sur ce qu'il fait des longues scènes intimistes et des scènes de couvent (il ne suffit pas de munir les moines de néons au lieu de cierges pour faire moderne) très proches de la poussière d'une tradition que l'on croyait révolue. Les chorégraphies des choristes sont d'une lourdeur rythmique très approximative : le moment le plus impressionnant, à ce niveau, et qui aurait pu servir de modèle, est le Rataplan où pour la première fois, le lent balancement de gauche à droite des choristes contrepointe plus efficacement le rythme musical. Signalons aussi des flashs éblouissant la salle, indéchiffrables à la première vision : probablement panneaux indicateur de moments où le destin se met en marche…
« Qu'est-ce qui a vraiment plu dans La Force du destin? Une ballade, une romance, deux duos… » se lamente Verdi à la reprise milanaise de 1869 en réalisant avec horreur que le public était passé à côté de la force structurelle de l'œuvre. La malédiction se reproduit à Bâle en 2016 où le spectateur est contraint de trouver son bonheur dans une partie musicale fort heureusement plus gratifiante. Tous les hommes s'en sortent avec les honneurs : le Marquis et l'Alcade sans histoire de Pavel Kudinov et Vivian Zatta, le pétulant Trabuco de Karl-Heinz Brandt, le Melitone dignement truculent d'Andrew Murphy, le Padre Guardiano plein de noblesse d'Evgeny Stavinsky, le formidable Carlos d'Evez Abdulla, l'Alvaro spectaculaire d'Aquiles Machado imposant peu à peu une grisante italianita après une première apparition au comique involontaire, le costume et la coiffure déclenchant une certaine hilarité dans la salle. Si la Preziosilla d'Anaïk Morel, peu gâtée elle aussi par ses costumes de punko-vamp est parfois couverte par l'orchestre, ce n'est absolument pas le cas pour la Leonora très affirmée d'Elena Stikhina, dont la tendance fâcheuse à produire du son s'atténue au fil de la représentation jusqu'à un triomphe mérité à l'applaudimètre.
La direction très souple d'Ainars Rubikis, un peu délestée d'effets dans un opéra qui n'en manque pas, dans la version révisée de 1868, s'attache davantage à faire ressortir ses beautés instrumentales (la harpe chante particulièrement). Le chœur est aux ordres : débraillé scéniquement et précis musicalement.
Si tous les opéras de Wagner ont eu droit à leur metteur en scène, Verdi devra attendre encore un peu pour sa Force du Destin.
Crédits photographiques: © Sandra Then
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Bâle. Theater Basel. 31-X-2016. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Force du destin, opéra en 4 actes sur un livret de Francesco Maria Piave et Antonio Ghislanzoni. Mise en scène : Sebastian Baumgarten. Décor : Barbara Ehnes. Lumières : Guido Hölzer. Costumes : Marysol del Castillo . Vidéo : Chris Kondek. Chorégraphie : Kinsun Chan. Avec : Pavel Kudinov, Marchese di Calatrava ; Elena Stikhina, Leonora di Vargas ; Evez Abdulla, Don Carlo di Vargas ; Aquiles Machado, Don Alvaro ; Evgeny Stavinsky, Padre Guardiano ; Andrew Murphy, Fra Melitone ; Anaïk Morel, Preziosilla ; Karl-Heinz Brandt, Mastro Trabuco; Valentina Marghinotti, Curra ; Vivian Zatta, Un Alcade ; Vahan Markaryan, Un Chirurgo. Chor, Extrachor, Statisterie du Theater Basel (chef de choeur Henryk Polus), et Sinfonieorchester Basel, direction : Ainars Rubikis.