Week-end très éclectique au festival Musica de Strasbourg
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Strasbourg. Festival Musica. 24 et 25-IX-2016
24-IX-2016. Groupe de Recherches Musicales (GRM) : Oeuvres historiques : François Bayle ; Pierre Schaeffer ; Bernard Parmegiani ; Luc Ferrari ; Gilles Racot.
Oeuvres d’aujourd’hui : Vincent-Raphaël Carinola ; eRikm ; Giuseppe Ielasi ; Daniel Teruggi.
24-IX-2016. Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Responsorio delle tenebre pour choeur mixte ; Pascal Dusapin (né en 1955) : Disputatio pour choeur mixte, ensemble de cordes, glassharmonica et percussions ; Maurice Duruflé (1902-1986) : Requiem pour choeur mixte, cordes, orgue et trompettes. Stefanie Iranyi, mezzo-soprano ; Stephan Genz, baryton ; Rias Kammerchor ; Münchener Kammerorchester ; direction, Alexander Liebreich.
25-IX-2016. György Kurtág (né en 1926) : Hommage à R.Sch. op. 15D ; Jelek, Játekok és üzenetek pour alto ; Játékok pour piano ; Robert Schumann (1810-1856) : Bunte Blätter (extrait) pour piano ; Märchenbilder op. 113 pour alto et piano ; Märchenerzählungen op. 132 pour clarinette, alto et piano ; Marco Stroppa (né en 1959) : Hommage à Gy.K pour clarinette, alto et piano. Pierre-Laurent Aimard, piano ; Mark Simpson, clarinette ; Antoine Tamestit, alto.
25-IX-2016. Ahmed Essyad (né en 1938) : Mririda, opéra de chambre sur un livret en français de Claudine Galea ; mise en scène, décors, Olivier Achard ; Video, Julien Laurenceau ; lumières, Pascal Rechtenstein. Francesca Sorteni, soprano, Mririda ; Louise Pingeot, soprano, La jeune fille ; Coline Dutilleul, mezzo-soprano, La Vieille Femme ; Diego Godoy, ténor, Le Mercenaire ; Camille Tresmontant, ténor, L’Etranger ; Antoine Foulon, baryton-basse, L’Officier. Ensemble orchestral du Conservatoire et de l’Académie supérieure de musique de Strasbourg / HEAR ; Choeur de l’Opéra national du Rhin ; direction musicale Léo Warynski.
Pour sa 34e édition, Musica de Strasbourg donne un coup de projecteur sur les musiques de support dites électroacoustiques, en affichant une nouvelle œuvre du vétéran de l'art des sons fixés, Pierre Henry. Invités également, le Groupe de Recherches Musicales (GRM) et son instrument de diffusion, l'acousmonium, ont investi la Salle de la Bourse pour deux concerts retraçant 50 ans de recherche et de création (1958-2008) initiées par Pierre Schaeffer. Musique sacrée à la Cathédrale et opéra en création mondiale bouclent un premier week-end très éclectique.
GRM : un panorama sur 50 ans
Après la projection du film « Le GRM 50 ans », belle réalisation de Franck Podguster, le premier concert acousmatique (qui donne à entendre le son à travers les haut-parleurs sans en révéler la source) remonte aux origines, en proposant les musiques de quatre pionniers de la recherche : François Bayle tout d'abord, collaborateur de Pierre Schaeffer, qui s'est attaché sa vie durant à la création électroacoustique. À la console de projection, Daniel Teruggi, actuel directeur de l'INA-GRM, donne des extraits de L'Expérience acoustique (1964-1972), une œuvre-somme (2h de musique) où François Bayle invite l'auditeur à l'expérience de l'écoute et de ses conditions multiples. De Pierre Schaeffer ensuite, Les Études aux allures et aux sons animés (1958), projetées par Philippe Dao, sont des musiques d'objets sonores, choisis pour leurs qualités singulières : une musique « qui sent l'os » assurément. L'oeil écoute de Bernard Parmegiani, interprété par Emmanuel Richier, signale l'apparition des premier synthétiseurs en 1970. S'y exercent l'art virtuose du montage et la plasticité du matériau traité en studio. Si J'ai été coupé (1960-69) de Luc Ferrari, avec François Bonnet à la console, n'est guère représentatif de l'esthétique qu'il va défendre dès les années 60 sous l'appellation de « Musique anecdotique », Anamorphées (1985) de Gilles Racot, témoigne d'une technicité de haut vol et ne laisse d'impressionner, superbement projeté par Philippe Dao dans l'espace bien sonnant de la Bourse.
Le second concert à 18 heures offre un très/trop bref panorama de la composition acousmatique des dix dernières années, témoignant de la sophistication des outils et de la diversité des esthétiques. Si Cielo vivo (2006) de l'Espagnol Vincent-Raphaël Carinola n'est autre qu'une étude aux allures « avec tout le confort moderne », dans Draugalimur, membre fantôme, une pièce de belle envergure projetée en 8 pistes, le Français eRikm choisit la voix et le récit comme trame de sa toile électronique. Plus abstraite et plus « grise », Untitled, January (2013) de l'Italien Giuseppe Ielasi ne séduit ni ne convainc. Daniel Teruggi est aux manettes pour donner à entendre sa pièce Springtime (2013), sorte de « voyage dans sa tête multiple » où le compositeur a enregistré et traité sa propre voix qui vient colorer de multiples manières les différentes phases du parcours.
Sciarrino, Dusapin et Duruflé
En soirée, une foule immense se presse aux portes de la Cathédrale, assez rarement fréquentée par Musica, pour un concert de musique sacrée. À l'affiche, outre le Requiem de Duruflé inscrit en seconde partie, l'œuvre attendue de Pascal Dusapin, Disputatio (2014) convoque le Rias Kammerchor et le Münchener Kammerorchester sous la direction de son chef titulaire Alexander Liebreich. En avant-propos, comme une sorte d'antienne a capella, c'est Responsorio delle Tenebre (2001) de Salvatore Sciarrino qui est chanté par l'excellent ensemble vocal allemand Rias Kammerchor dans le bas-côté de la Cathédrale. À la ligne grégorienne psalmodiée fait écho la souple vocalité sciarrinienne, dans la plus pure tradition du chant responsorial.
Le dispositif pour Disputacio, donné dans le chœur de l'édifice, s'étage sur quatre niveaux. Au sommet, un quatuor de voix féminines précédé par un glassharmonica. Le chœur mixte est placé derrière l'ensemble des cordes. S'y ajoutent, au premier plan, quelques percussions, résonnantes elles-aussi (cloches-plaques, gong en sourdine, timbales et sonneries de crotales). Le texte en latin, choisi par le compositeur, est celui d'Alcuin, extrait du manuscrit de Salisbury. La disputatio est un exercice de dialogue maître-élève, en l'occurrence le jeune prince royal Pépin (fils de Charlemagne) avec le maître Albinus. Ces échanges vont servir de trame dramaturgique à Dusapin qui élabore un travail extrêmement fin sur le texte : en diversifiant les modes d'énonciation, du strict syllabisme aux trames vocales très étirées dont les cordes comme les percussions soulignent la dimension expressive. À la litanie des quatre sopranos font écho les résonances célestes du glassharmonica. Les crotales dans les mains expertes du percussionniste viennent rythmer les phases de ce dialogue dont on aurait aimer pouvoir lire la traduction, absente des notes de programme. Mais l'ensemble a belle allure dans l'acoustique généreuse de la Cathédrale, à la faveur d'interprètes (instrumentistes, chœur et solistes) irréprochables sous la conduite rayonnante d'Alexander Liebreich.
Les interprètes excellent tout autant dans le Requiem de Maurice Duruflé donné ce soir dans sa version pour solistes, chœur mixte, orgue, harpe, quintette à cordes et trois trompettes. Sur le modèle fauréen, c'est une autre « berceuse de la mort » qu'écrit Duruflé, en écartant le Dies irae et toute vision effrayante du passage dans l'Au-delà. On y apprécie la qualité vocale de chaque pupitre et l'énergie d'une direction instaurant un parfait équilibre au sein des forces en présence.
Un « théâtre de son »
Autre doyen du monde musical contemporain, György Kurtág fête cette année ses 90 ans. Comme Elliott Carter au même âge, le compositeur hongrois est en passe de terminer son premier opéra… Pierre-Laurent Aimard, qui a beaucoup travaillé à ses côtés et peut témoigner de l'exigence du maître, lui-même pianiste, lui rend hommage à l'Auditorium de France3 Alsace, avec deux partenaires de choix, le clarinettiste Mark Simpson et l'altiste Antoine Tamestit.
Toujours concis et pertinent dans son propos, Pierre-Laurent Aimard présente le concert conçu autour du trio Hommage à R.Sch. op.15d écrit en 1990 par celui qui, sa vie durant, a pratiqué le culte de l'hommage. En amont, le trio de Schumann, Märchenbilder, en aval celui de Marco Stroppa, Hommage à Gy.K. En interstice, quelques pièces isolées des deux protagonistes, Schumann et Kurtág, dont les univers semblent parfois se rejoindre.
Excepté l'Adieu final (Maitre Raro découvre Machaut), le temps est compté et le geste acéré dans les six pièces de l'Hommage à R. Sch. qui débute le concert. Les trois musiciens en dessinent les contours avec l'acuité sonore et la finesse du détail qu'exige l'écriture du maître hongrois. Jelek (pour alto), Játékok (pour piano) et Märchenbilder (pour alto et piano) sont autant de perles magnifiquement jouées par deux interprètes aussi inspirés que concentrés, avant l'étonnant trio de Marco Stroppa. Le compositeur italien emprunte son matériau à Kurtág et Schumann et recherche le mouvement du son dans l'espace en modifiant la position des interprètes pour chacune des pièces de son cycle. Il fait naître une palette de timbres inouïs par fusion ou hybridation des trois spectres instrumentaux. Des sonorités liminales, inscrites sur la résonance de la plaque métallique mise en vibration par le pianiste, referment ce « théâtre de sons » dans une atmosphère raréfiée et hypnotique : de « l'infra-Kurtág » dirions-nous.
Le nouvel opéra d'Ahmed Essyad en création mondiale
Commande de l'Opéra du Rhin, Mririda, le septième ouvrage lyrique du compositeur franco-marocain Ahmed Essyad, est donné en création mondiale sur le plateau de la Cité de la musique dans le cadre de Musica. L'idée de mettre en scène le personnage de Mririda, poétesse berbère hétaïre ayant vécu dans le haut-Atlas Marocain au début du siècle dernier, a muri durant de longues années dans la tête du compositeur. C'est Claudine Galea, sa fidèle collaboratrice, qui en écrit le livret. Il s'articule en 14 scènes, où, sur fond de guerre, trois générations de femmes, « vivantes et résistantes », s'affranchissent des doctrines fondamentalistes pour revendiquer la liberté de leur corps et le plaisir de la vie.
Mririda est également un projet pédagogique ambitieux, réunissant les jeunes chanteurs de l'Opéra Studio de Strasbourg et l'ensemble orchestral du Conservatoire rejoint par l'Académie supérieure de musique de Strasbourg, tous emmenés par l'énergie de leur chef Léo Warynski.
« Riche de mes connaissances des musiques amazigh du Maroc », écrit le compositeur dans sa note d'intention, « ma musique, ici, invente ses modes et s'inscrit dans la distance […]». Si l'on y décèle quelques courbes mélodiques et empreintes rythmiques issues de la tradition, la partition d'Essyad relève davantage de l'héritage légué par son maître et disciple de Schoenberg, Max Deutsch. L'écriture orchestrale exigeante – un sérieux challenge pour ces jeunes pré-professionnels ! – y est pointilliste et virtuose, dans un espace sonore souvent éclaté que cimente la présence permanente du piano. De beaux interludes donnent la mesure de cette marqueterie sonore. C'est de la fosse également que nous viennent les voix du chœur – celui de l'Opéra national du Rhin, irréprochable – lié très intimement à la dramaturgie. Sur scène, le décor minimal d'Olivier Achard, qui signe également la mise en scène, consiste en un jeu de voiles transparents modifiant la profondeur de l'espace où se profilent en noir et blanc des images de guerre et de destruction. Le parlé-chanté souvent tendu qui domine l'écriture vocale laisse peu de répit aux chanteurs, contribuant au fil du spectacle à une surenchère sonore un rien dommageable. La voix longue et chaleureuse de Francesca Sorteni dans le rôle titre séduit même si la diction de l'artiste italienne reste perfectible. L'éclat et le mordant du soprano de Louise Pingeot/ La Jeune Fille servent les ambitions du personnage, tout comme la ductilité du timbre, homogène et plus posé, de la mezzo Coline Dutilleul incarnant la Vieille Femme. Côté messieurs, il manque encore aux voix vaillantes et bien projetées de Diego Godoy/Le Mercenaire, Camille Tresmontant/L'Etranger et Antoine Foulon/L'Officier une véritable dimension dramatique. Gageons qu'une véritable direction d'acteurs, qui a manqué à la mise en scène d'Olivier Achard, aurait pu donner sur le plateau le relief et la vitalité qui émanaient de la fosse.
Crédits photographiques : GRM (c) INA ; Alexander Liebreich (c) Sammy Hart ; Pierre-Laurent Aimard (c) Marc Borggreve ; Mririda (c) Alain Kaiser
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Strasbourg. Festival Musica. 24 et 25-IX-2016
24-IX-2016. Groupe de Recherches Musicales (GRM) : Oeuvres historiques : François Bayle ; Pierre Schaeffer ; Bernard Parmegiani ; Luc Ferrari ; Gilles Racot.
Oeuvres d’aujourd’hui : Vincent-Raphaël Carinola ; eRikm ; Giuseppe Ielasi ; Daniel Teruggi.
24-IX-2016. Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Responsorio delle tenebre pour choeur mixte ; Pascal Dusapin (né en 1955) : Disputatio pour choeur mixte, ensemble de cordes, glassharmonica et percussions ; Maurice Duruflé (1902-1986) : Requiem pour choeur mixte, cordes, orgue et trompettes. Stefanie Iranyi, mezzo-soprano ; Stephan Genz, baryton ; Rias Kammerchor ; Münchener Kammerorchester ; direction, Alexander Liebreich.
25-IX-2016. György Kurtág (né en 1926) : Hommage à R.Sch. op. 15D ; Jelek, Játekok és üzenetek pour alto ; Játékok pour piano ; Robert Schumann (1810-1856) : Bunte Blätter (extrait) pour piano ; Märchenbilder op. 113 pour alto et piano ; Märchenerzählungen op. 132 pour clarinette, alto et piano ; Marco Stroppa (né en 1959) : Hommage à Gy.K pour clarinette, alto et piano. Pierre-Laurent Aimard, piano ; Mark Simpson, clarinette ; Antoine Tamestit, alto.
25-IX-2016. Ahmed Essyad (né en 1938) : Mririda, opéra de chambre sur un livret en français de Claudine Galea ; mise en scène, décors, Olivier Achard ; Video, Julien Laurenceau ; lumières, Pascal Rechtenstein. Francesca Sorteni, soprano, Mririda ; Louise Pingeot, soprano, La jeune fille ; Coline Dutilleul, mezzo-soprano, La Vieille Femme ; Diego Godoy, ténor, Le Mercenaire ; Camille Tresmontant, ténor, L’Etranger ; Antoine Foulon, baryton-basse, L’Officier. Ensemble orchestral du Conservatoire et de l’Académie supérieure de musique de Strasbourg / HEAR ; Choeur de l’Opéra national du Rhin ; direction musicale Léo Warynski.