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Verbier. Salle des Combins. 26-VII-2016. Maurice Ravel (1875-1937) : Pavane pour une infante défunte. Joaquín Rodrigo (1901-1999) : Concerto d’Aranjuez pour guitare et orchestre. Joaquín Turina (1882-1949) : La oración del torero op. 34. Manuel de Falla (1876-1946) : El amor brujo (version Ballet 1925). Rafael Aguirre (guitare). Gala El Hadidi (mezzo-soprano). Verbier Festival Chamber Orchestra, direction musicale : Lorenzo Viotti.
Remplaçant au pied levé un Marc Minkowski souffrant, le jeune chef suisse Lorenzo Viotti enthousiasme le public avec sa vision musicale d'une Espagne lyrique et colorée.
Il y a des jours où la Musique, celle avec un M majuscule, s'invite là où on l'attend le moins. C'est indéniablement le cas de cette soirée dédiée à l'Espagne. À la tête d'un Verbier Festival Chamber Orchestra en grande forme, le tout jeune chef suisse Lorenzo Viotti démontre des qualités musicales d'exception. Du haut de ses vingt-six ans, il empoigne crânement le programme concocté pour l'occasion par Marc Minkowski, forfait pour raisons de santé. Et avec quelle verve, s'il vous plait !
Avec la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel, Lorenzo Viotti entre immédiatement dans un discours musical qu'il explore dans les moindres détails. Avec une gestuelle d'une rare élégance, il s'approprie l'orchestre. Penché sur ses musiciens, appelant les uns du geste, dirigeant les autres d'une ouverture des bras, il donne l'impression d'être l'orchestre à lui tout seul. Nuançant les pupitres avec une exquise musicalité, il instaure une plénitude des sons exacerbant la solennité du propos ravélien.
En moins de dix minutes, Lorenzo Viotti a conquis son public. On se dit que la popularité du Concerto d'Aranjuez de Joaquín Rodrigo scellera sans peine cette première impression. C'était être bien en-dessous de la réalité. Dès le premier accord de guitare, la magie, la symbiose entre le soliste, le chef et l'orchestre opèrent. Premier accord. Admirable guitariste au toucher de cordes subtil, Rafael Aguirre le retient. Comme s'il voulait le conserver pour l'offrir au temps qui passe. Une retenue dans le volume sonore comme dans son déroulement harmonique. Sans précipitation aucune, laissant au son de la guitare comme à celui de l'orchestre le temps de s'envoler, de s'épanouir, Lorenzo Viotti réserve la plus grande attention aux climats de cette œuvre. Il sublime ce concerto si souvent rabâché. Jamais l'adagio ne fut aussi prenant, aussi grandiose, aussi solennel. Retenant son souffle, le public s'enferme dans un silence quasi religieux pour capter toutes les nuances, les intonations les plus menues qui s'exhalent de cette musique si envoûtante. Lorsque soudain la note de guitare s'éteint, imperceptiblement le hautbois prend son relai. Un enchaînement de sons d'une limpidité extrême. C'est l'évidence faite musique. Entre la scène et le public s'instaure une communion intense qui ne trouvera sa délivrance qu'au dernier accord, qu'à l'ultime note de cette superbe guitare. Alors, le silence encore nimbé des harmonies de cette interprétation bientôt s'apaise. Lorenzo Viotti laisse lentement choir ses mains, Rafael Aguirre ouvre lentement les yeux, les archets des violons retombent et, après de longues secondes, comme pour laisser à son voisin le soin d'être le premier à rompre ce beau silence, les applaudissements s'élèvent. Timidement d'abord, puis enthousiastes encore que dispersés par l'émotion toujours présente de cet exceptionnel moment musical.
En seconde partie, les seules cordes du Verbier Festival Chamber Orchestra donnent au chef suisse la possibilité d'encore s'épancher avec bonheur dans la longue, magnifique et peu connue cantilène de La oración del torero de Joaquín Turina. Moments suspendus que Lorenzo Viotti décore de sa gestuelle ample et harmonieuse. Le voir sourire par instants montre combien il est habité par la musique, combien il s'en imprègne pour la transmettre à l'air qui l'entoure.
Enfin, El amor brujo de Manuel de Falla couronne cette soirée consacrée à l'Espagne musicale. Abordant cette pièce très connue avec un entrain teinté de légèreté estivale, le chef met à profit sa musicalité pour favoriser les climats contrastés du drame d'une femme hantée rêvant d'échapper au fantôme de son mari pour épouser son amant. Transcendé par la baguette de Viotti, le Verbier Chamber Orchestra alterne le superbe avec le dramatique. Debout devant l'orchestre la mezzo-soprano égyptienne Gala El Hadidi, vêtue de noir, mime ces ambiances tantôt lumineuses, tantôt tragiques avec d'imperceptibles mouvements du corps, de lents déploiements des mains, de lourds regards, des paupières closes. Longtemps, elle se meut en fines touches corporelles avant d'élever sa voix chaude, belle et sombre dans une Chanson du feu follet prenante.
Avec Lorenzo Viotti, la musique compte un nouveau talent qui, malgré son très jeune âge démontre une extraordinaire maturité. Un artiste à suivre.
Crédit photographique : © Aline Paley
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Verbier. Salle des Combins. 26-VII-2016. Maurice Ravel (1875-1937) : Pavane pour une infante défunte. Joaquín Rodrigo (1901-1999) : Concerto d’Aranjuez pour guitare et orchestre. Joaquín Turina (1882-1949) : La oración del torero op. 34. Manuel de Falla (1876-1946) : El amor brujo (version Ballet 1925). Rafael Aguirre (guitare). Gala El Hadidi (mezzo-soprano). Verbier Festival Chamber Orchestra, direction musicale : Lorenzo Viotti.