La Passion selon saint Jean de René Jacobs enfin en CD

Trois ans après leur enregistrement de la Passion selon saint Matthieu, René Jacobs et ses troupes récidivent. Succès absolu pour une œuvre peut-être moins  contemplative et moins introvertie, mais tout autant aboutie sur le plan dramatique et musical.

Nous l'avons souvent dit dans ces colonnes, tout enregistrement signé de René Jacobs est un petit événement. Au plaisir tactile, visuel et intellectuel que fournissent avant même l'écoute de l'œuvre la présentation exemplaire du coffret cartonné, ainsi que la richesse documentaire de la plaquette, au texte toujours aussi soigné et stimulant, se rajoute le pur bonheur de l'audition musicale. Le son Super Audio de ces deux SACD souligne en effet tout le travail effectué par Jacobs sur les volumes sonores et sur la théâtralité de l'ouvrage : mise en valeur des instruments solistes, renforcement des seize voix du chœur par les solistes, doublement de l'effectif vocal pour les chorals, participation des choristes pour les petites interventions dramatiques (Pierre, Pilate, domestique, servante…), etc. Le généreux DVD qui accompagne l'enregistrement permet au chef d'orchestre d'emmener l'auditeur dans son monde intérieur et de l'initier aux secrets qui lui ont été révélés au cours de toute une vie de fréquentation des Passions de Bach. Le deuxième CD s'achève sur certains des morceaux de la version de 1725, finalement abandonnés par le compositeur lors de l'élaboration de la version finale et ici donnés en appendices. À l'aide d'un code fourni à l'intérieur du coffret en guise de bonus, la version de 1725 téléchargeable en haute définition complètera donc la version définitive retenue pour cet enregistrement.

Soucieux visiblement de l'efficacité dramatique d'une œuvre pour laquelle la présence de la scène n'aurait aucune pertinence, Jacobs souligne davantage la participation des vents que celle des cordes, privilégie les rythmes fortement individualisés, les chorals aux pauses largement marquées et les ensembles choraux chantés à pleine voix. Son Évangéliste, un Werner Güra à la voix étonnamment jeune et fraîche, est plus théâtral et moins désincarné que nombre de ses collègues d'aujourd'hui. Les interprètes des airs, qu'il s'agisse de la soprano Sunhae Im, de l'alto Benno Schachtner, du ténor Sebastian Kohlhepp ou de la basse Johannes Weisser, sont tous parfaitement chantants et font preuve d'une musicalité et d'une théâtralité qui ne sont jamais prises en défaut, même si aucun ne dispose de moyens vocaux véritablement extraordinaires. Si vous voulez « vivre » la Passion selon saint Jean, ce nouvel enregistrement devrait répondre à toutes vos attentes.