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Un entretien avec Paulin Bündgen, créateur de Céladon

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L'ensemble Céladon va proposer une rencontre entre musique ancienne et musique contemporaine avec No Time in Eternity, un programme anglais allant de Byrd et Taverner à . , son fondateur, nous parle de son parcours et de cette collaboration insolite.

Paulin Bündgen_crédit J.Juvin

« Il faut faire du balisé, il faut faire des paillettes, du grand public. »

ResMusica :  Qui est Céladon ?

  : C'est le personnage masculin de l'Astrée d'Honoré d'Urfé. C'est le berger, amoureux de sa bergère, Astrée, et à qui il arrive plein de mésaventures parce qu'elle le rejette. Il se trouve que l'Astrée a été écrite à côté de l'endroit où j'ai grandi, près de Montbrison, dans le Forez, au château de la Bâtie d'Urfé.

Quand j'ai fondé l'ensemble en 1999, j'ai cherché un nom et… j'ai dit Céladon c'est bien. C'est aussi la couleur éponyme, celle des rubans que ce berger portait. Elle a donné son nom à la porcelaine chinoise de cette couleur.

RM :  Qui est  ?

PB : Paulin, c'est l'autre contre-ténor. Celui qu'on attend, c'est celui qui fait du Vivaldi. C'est celui qui est sous les paillettes, qui a une carrière très éphémère. Le vrai Paulin, c'est celui qui fait tout à la force du poignet, qui se crève à faire des programmes qui sortent de l'ordinaire dans un circuit qui n'est pas forcément balisé de la même manière que les autres. Et, surtout, qui n'a pas du tout envie de passer sa vie à chanter du Vivaldi pour plaire au public et aux médias. C'est peut-être, c'est sûrement, lui, Paulin Bündgen.

RM : Pourquoi et comment avez-vous créé l'ensemble Céladon ?

PB : J'étais étudiant au . J'avais 20 ans. J'avais du potentiel mais il fallait le voir, l'entendre. J'avais très peu d'années de chant, de musique, derrière moi. Quand je suis arrivé au Conservatoire, les gens ont senti le potentiel, surtout l'équipe des profs. Mes petits camarades de classe n'avaient pas forcément envie de me faire chanter à leurs examens. J'étais un peu le vilain petit canard. Très vite, je me suis dit : si je veux chanter, il faut que je crée ma structure. Du coup, dès ma première année de chant, j'ai fondé l'ensemble.

Avec deux instrumentistes, nous avons commencé à faire de petits programmes. C'était vraiment très modeste. A la base, c'était pour pouvoir chanter ce que, moi, j'avais envie de chanter et pas ce qu'on avait envie que je chante. On me disait : « j'ai envie de t'entendre dans tel répertoire. Ça t'irait bien. On construirait le projet autour de toi ». C'est toujours flatteur mais faire mes propres projets avec mes propres programmes, mes propres envies, cela a toujours été le moteur.

RM : D'où le choix de la musique ancienne ?

PB : J'adore la musique baroque. On en fait très peu avec Céladon. On va jusqu'au XVIIe siècle, même jusqu'à Haendel mais ça n'a jamais plu au public Il ne m'attend pas là avec Céladon. La musique baroque, je la fais surtout avec les autres. En tant qu'invité chez Akademia, chez Clematis… Mais mon choix de directeur artistique a été d'aller en dehors des sentiers battus. Maintenant, la musique baroque fait partie des sentiers battus. C'est très bien. Malheureusement, ça s'institutionnalise de plus en plus. On revient à cette conception un peu guindée de la musique un peu poussiéreuse du quatuor à cordes. On l'a reproduite sur la musique baroque autant que faire se peut. Et ça, ça me gêne énormément.

RM : N'est-ce pas un chemin difficile, en particulier commercial ?

PB : Oui, c'est très difficile parce qu'on est là où les gens ne nous attendent pas, dans un répertoire que les gens n'ont, parfois, pas envie d'entendre parce que cela sort de leurs petites habitudes. Ça ne les intéresse pas.

Plusieurs personnes avaient d'ailleurs pronostiqué la mort de Céladon au bout de quatre ou cinq années d'existence : « Ton petit ensemble ne se développera jamais. Tu ne pourras jamais rien faire avec ça ». Il faut faire du balisé, il faut faire des paillettes, du « grand public. » Chaque fois qu'on a essayé ces programmes XVIIIème, ça n'a jamais fonctionné. Pour moi c'est soit que je ne les défendais pas aussi bien que les autres, soit que le public sentait que ce qu'on proposait à côté était un peu plus extraordinaire. Il y a aussi le fait que dans la musique baroque, une musique séductrice que j'adore, il y a un discours qui appauvrit. Si je n'ai pas un discours intéressant, je le raconte moins bien. Les petites bergeries des cantates de Haendel, cela ne m'inspire pas beaucoup et moins que Monteverdi ou même avant toute la musique Renaissance où on a une autre qualité littéraire. C'est peut-être ça qui fait la différence de Céladon.

Le problème est que les gens s'intéressent beaucoup moins au texte qu'à la mélodie. La mélodie flatteuse et séduisante du XVIIIème siècle plaira au grand public plus facilement. Nous, nous défendons des choses qui font plus réfléchir. Le nombre de fois où on nous dit : « la musique médiévale d'habitude je ne l'aime pas mais là vous me l'avez fait aimer ». C'est ça ma mission. C'est de faire découvrir tout ce pan de la musique qui est un peu plus oubliée et qui a pourtant presque plus d'intérêt.

RM : L'évènement, c'est la rencontre musique ancienne – musique contemporaine avec la création d'une œuvre écrite par pour votre ensemble. Comment cela a-t-il été possible ?

PB : Ça s'est fait d'une manière très simple. J'ai constaté très rapidement que la musique contemporaine anglaise avait un langage très proche de la musique ancienne anglaise. Les Anglais sont dans une tradition, pas comme en France où on a fait beaucoup de révolutions culturelles ou politiques. Oui, on aime le passé mais on aime bien le mettre sous cloche. Tout ce qui est patrimonial, on le met dans une petite case mais on n'y touche plus. La Pyramide du Louvre, par exemple. On a bien vu ce que cela a donné comme débats passionnés et stériles. Pour moi, elle a tout son sens dans cet édifice. Pour la musique, c'est pareil. Les Français ont fait tellement de ruptures que je ne m'y retrouve pas. Boulez étant né dans la même ville que moi, je me sens un peu lié à lui mais je n'ai rien à interpréter chez lui. Les Anglais sont formés dès leur plus tendre enfance à chanter en chorale, à étudier le contre-point, l'harmonie, On voit bien dans les chansons des Beatles qu'il y a des lignes de basse qui ressemblent à des lignes baroques. Je peux même citer Eleanor Rigby , où la ligne de violoncelle, c'est vraiment de la musique baroque. Avec Nyman, le rapprochement s'est fait tout de suite.

Pour le programme, il y avait deux choses. D'un côté les Consort Songs de la Renaissance qui ont un langage propre, qui sont vraiment représentatifs de la Renaissance anglaise. L'Angleterre, c'est une île. Les choses ne se font pas de la même manière que sur le continent. Pour moi, Nyman c'est la suite logique de tout çà. Lui, il a beaucoup étudié Purcell. Il connait très bien la musique ancienne, il connait ses classiques. En 1992, je me suis rendu compte qu'il avait écrit une pièce pour viole de gambe et contreténor. Je me suis dit : j'ai une idée de programme Consort Song élisabéthain et Consort Song moderne. Je vais mettre cette pièce de Nyman et je vais en retrouver d'autres, d'autres compositeurs qui puissent marcher. Assez vite, je me suis dit, non, il y a un seul compositeur qui puisse faire ce programme, c'est uniquement . C'est lui et ses prédécesseurs.

RM : La réalisation du projet a pris du temps. Pourquoi ?

PB : Cela s'est fait d'une manière lente mais sûre. Ce programme, je l'avais en tête depuis dix ans. Et enfin il voit le jour ! Je connaissais sa pièce pour viole de gambe et contreténor depuis 1992. Je voulais l'interpréter et j'avais pensé la faire au CNSMD pour mon prix, en 2002. Mais cela ne plaisait pas à la prof de viole de gambe. J'ai laissé tomber. Puis j'ai commencé à réfléchir à une équipe, il y a 8 ans. J'avais trouvé, entre temps, les Consort Songs élisabéthains. On a essayé de monter le programme mais manque de financement et pas assez de crédibilité… on a laissé tomber. Mais on savait que ça n'était que partie remise. Il y a deux ans, on a commencé à retravailler ce projet, à réunir l'équipe, à chercher des subventions puis à contacter Nyman. Ça, c'était l'inconnu : allait-il aimer le projet ?
J'étais déjà en contact avec lui. Il y a deux ans, j'ai envoyé un courriel à sa manager qui m'a dit : « on va essayer de trouver un rendez-vous ». Il y a un an et demi, je suis allé à Londres le rencontrer chez lui : une preuve de confiance assez agréable. On a discuté une bonne heure du projet et de la possibilité de reprendre la pièce qu'il avait écrite pour Fretworks et . Il m'a dit : « il n'y a aucun problème ». Je lui ai amené des arrangements des cinq Songs for Ariel qui sont dans notre programme, extraits de la musique du film Prospero's Books de Peter Greenaway, une adaptation de la Tempête de Shakespeare. Il a validé ces arrangements en les trouvant excellents ! Puis, j'ai joué mon va-tout. Je lui ai demandé s'il était prêt à nous composer une pièce. Il a dit oui en deux secondes : combien de temps vous voudriez ? 5 minutes, lui ai-je proposé. Il m'a répondu « pourquoi pas une demi-heure ? » Je lui dis : « cela va me coûter très cher ! » « Non, pour le même prix » a-t-il répondu ! Refuser une demi-heure de musique de Nyman, c'est un crève-cœur. Mais nous avions déjà tout le reste du programme… Finalement, on est tombé d'accord sur dix minutes de musique sur des poèmes de Robert Herrick, un poète de la Renaissance qui a écrit une myriade de petits poèmes, minuscules de deux lignes… Des espèces de petites maximes sur la vanité du monde… Le titre d'un de ces poèmes donne celui du programme : Pas de temps dans l'éternité, sur terre nous vivons régis par les heures mais au ciel ne sont connues ni source du temps ni sa succession. Il en a choisi sept. Le premier et le dernier sont dédiés à la musique. Au final ça s'est fait d'une manière très simple, très humaine. Un vrai plaisir pour moi.

RM : Les auditeurs vont découvrir un autre aspect de la musique de Michael Nyman, connu surtout comme compositeur de musique de films (La leçon de piano…).

PB : J'avais discuté de musique contemporaine avec William Latchoumia au CNSMD. Il m'avait dit : « tu aimes quoi comme musique contemporaine ? » J'avais cité et Nyman. Il m'avait répondu : « mais ce n'est pas de la musique classique ! » Ce qui est beau avec Nyman, c'est son sens rythmique, mélodique et harmonique. Il y a là les trois composantes de la musique classique. On n'a pas besoin d'un guide de vingt pages pour comprendre la musique de Nyman. Ensuite, on aime ou on n'aime pas. Il y a parfois un côté hystérique avec des rythmes très marqués, un côté répétitif qui peut lasser, aussi. On peut trouver que c'est facile.

Le grand public connait très mal Michael Nyman. En France, il n'est pas apprécié. Il est en train de remettre un pied en France. Il a un projet pour commémorer la première guerre mondiale. Il a reçu des commandes françaises : une pièce qui s'appelle Warworks et qui est un film sur des images de la Grande Guerre. Il a écrit la musique qui va avec. C'est une œuvre complète que j'ai vue à Metz, c'est dur ! Il l'a donnée dans plusieurs villes, en France et en Allemagne. Là, il sort de la composition de musique de films.

Crédit photographique : Paulin Bündgen © J. Juvin

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