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Lyon. Opéra de Lyon. 25-I-2016. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Lady Macbeth de Mzensk, opéra en 4 actes sur un livret du compositeur et de Alexander Preis. Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov. Costumes : Elena Zaytseva. Lumières : Gleb Filshtinsky. Avec : Vladimir Ognovenko, Boris ; Peter Hoare, Zinovy ; Aušrinė Stundytė, Katerina ; John Daszak, Sergueï ; Clare Presland, Aksinia ; Jeff Martin, Le Balourd miteux ; Gennady Bezzubenkov, le Pope, Un vieux bagnard ; Almas Svilpa, le Sergent de police ; Michaela Selinger, Sonietka. Chœur de l’Opéra de Lyon (chef de chœur : Philip White), Orchestre de l’Opéra national de Lyon, direction : Kazushi Ono.
Reprenant l'essentiel de la mise en scène et des décors de la production de 2008 montée au Stadttheater de Duisburg de Lady Macbeth de Mzensk de Dimitri Chostakovitch, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov parvient à sublimer une œuvre victime de la censure politique et des poncifs esthétiques.
Au premier abord, on pourrait se croire chez Christoph Marthaler ou Jacques Tati : cet intérieur de bureau éclairé par la lumière agressive d'un néon, avec son cortège de laideur contemporaine, entre cloisons en plexiglas, open space et faux plafond. Au centre, une incise écarlate, l'étouffante et secrète alcôve dans laquelle Katerina trône en maîtresse de maison et objet de convoitise sexuelle. Cet espace tient à la fois de l'abstraction et de la projection fantasmatique ; les murs entièrement recouverts de tapis orientaux dont la géométrie des motifs centraux dessine involontairement (?) des auréoles iconiques autour des personnages.
Il faut lire cette proposition de Dmitri Tcherniakov à la lumière de cet assemblage insolite et onirique. Ainsi, la froide et autoritaire Katerina qui promène parmi les ouvriers et les secrétaires sa haute silhouette vêtue d'un très décalé sarafan carmin, redevient la femme fragile et vulnérable dans cette mystérieuse chambre centrale. Insonorisée et protégée des regards, c'est dans cette chambre que se nouent les fils de l'intrigue, depuis la tentative de séduction de Serguei, jusqu'au meurtre de Zinovy. Ce n'est pas par hasard si cet espace se change au IV en un cube étroit et sordide, cellule crasseuse enserrée au milieu des ténèbres. Ultime péripétie de la grandeur et décadence de Katerina : elle finira écrasée sous les talons de nervis haineux et sanguinaires.
À la fois tragique et dérisoire, la trame de l'œuvre souligne la complexité d'une femme tour à tour convoitée puis humiliée, délaissée, féministe et maîtresse de son destin… mais également meurtrière et victime. Chostakovitch trace dans Lady Macbeth de Mzensk le portrait à charge d'une société en déliquescence, a contrario d'une commande officielle désignant cet opéra comme le premier volet d'une trilogie dédiée à l'apologie de « la femme soviétique ». Tcherniakov pose à travers le personnage de Katerina et celui des autres femmes présentes dans l'œuvre, la question de la féminité comme objet de consommation – tant sur le plan de la réduction à la dimension de mobilier sexuel, qu'en ce qui concerne la prédation et le symbole de richesse économique qu'elles inspirent à leurs « propriétaires ».
La ritualisation systématique revient dans le travail de Tcherniakov pour souligner la distance qui se crée entre réalité et vision distanciée. On perçoit la continuité des gestes et des déplacements comme autant de signes d'un ennui moderne, mortifère et incapable de distinguer causalité ou finalité. Scéniquement et vocalement bouleversante, la soprano Aušrinė Stundytė possède sa Katerina avec une autorité et une énergie comparables à sa récente Vénus dans le Tannhäuser de Calixto Bieito à Gand. La puissance expressive se double d'une maîtrise parfaite des difficultés techniques du rôle, alternant abattage suicidaire et ampleur sensuelle. John Daszak incarne un Serguei à la ligne véhémente et presque brutale. Il sait rendre parfaitement la vulgarité et la pourriture morale de son personnage, passant du statut d'employé arriviste à celui d'amant prêt à tuer pour monter les degrés qui le séparent du pouvoir.
La voix ténébreuse de Vladimir Ognovenko porte fièrement le vice et la vilenie de son Boris Timoféiévitch Ismaïlov. Le cauteleux Zinovy est tenu par l'excellent Peter Hoare, capable de susurrer et feuler pour mieux rendre le caractère sournois du fils fantoche. L'excellence des seconds rôles féminins (Clare Presland en Alsinya et Michaela Selinger en Sonietka) rejoint l'impayable veulerie du Chef de la Police (Almas Svilpa), la truculence du Pope de Gennady Bezzubenkov et les merveilleux délires avinés du Balourd miteux (Jeff Martin).
Le Chœur de l'Opéra de Lyon est saisissant de cohésion et de cohérence, protéiforme en diable quand il s'agit d'allier les vertus du jeu théâtral à celles (redoutables) de rendre intactes les inflexions du livret. Kazushi Ono évite l'écueil d'un Chostakovitch caricatural, à la motorique trop martiale. Jouant pleinement le jeu des citations lorgnant vers Wagner, Strauss ou Moussorgski, il donne à entendre le clair détail des assemblages folkloriques à la rythmique striée et contagieuse. Chapeau bas.
Crédits photographiques : © Pierre Maurin
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Lyon. Opéra de Lyon. 25-I-2016. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Lady Macbeth de Mzensk, opéra en 4 actes sur un livret du compositeur et de Alexander Preis. Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov. Costumes : Elena Zaytseva. Lumières : Gleb Filshtinsky. Avec : Vladimir Ognovenko, Boris ; Peter Hoare, Zinovy ; Aušrinė Stundytė, Katerina ; John Daszak, Sergueï ; Clare Presland, Aksinia ; Jeff Martin, Le Balourd miteux ; Gennady Bezzubenkov, le Pope, Un vieux bagnard ; Almas Svilpa, le Sergent de police ; Michaela Selinger, Sonietka. Chœur de l’Opéra de Lyon (chef de chœur : Philip White), Orchestre de l’Opéra national de Lyon, direction : Kazushi Ono.