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Piotr Beczała est à l'affiche de Bastille ce mois-ci avec Werther, un de ses rôles-fétiches. Entretien avec un authentique défenseur de l'opéra romantique français, qui ne manque pas de projets, comme monter le Manoir Hanté le grand opéra polonais du XIXe siècle, ou encore ouvrir une école de chant qui n'oublie pas la dimension psychologique dont les chanteurs ont tant besoin.
« Faire mieux connaître le style de l'opéra romantique français, dont j'ai dit de nombreuses fois à quel point je l'aime. »
ResMusica : Vous avez un lien particulier avec le répertoire français, comment expliquez-vous cela ?
Piotr Beczała : Werther, Roméo et Juliette, Manon, Faust sont des classiques, tous pour voix de ténor lyrique et c'est mon répertoire de prédilection. Je le chante chaque saison, il correspond à ma voix et il est très sain pour moi. L'Italie a de nombreux opéras bien sûr, mais vous ne pouvez pas chanter dans la même saison le bel canto, Puccini, Verdi et le vérisme.
RM : Vous allez en effet chanter Werther sur la scène de Bastille ce mois-ci. Quel est le plus impressionant: maîtriser le rôle ou l'acoustique de cette salle gigantesque ?
PB : Je ne crains pas la taille de l'Opéra Bastille, j'y ai chanté Rigoletto, la Bohème, Onéguine, Faust et j'apprécie cette scène. Bien sûr, l'intimité de Werther sera difficile à obtenir sur cette grande scène, mais je fais confiance au Maestro et au metteur en scène pour être en mesure de créer de l'intimité quand nous en aurons besoin… Werther est un de mes rôles préférés et avec une partenaire comme Elina Garanča nous allons bien apprécier ces représentations pour sûr !
RM : Votre dernier album chez Deutsche Grammophon « The French Collection » a reçu une Clef d'Or ResMusica 2015. Quelle est l'histoire derrière cet album ?
PB : Tout d'abord je vous remercie beaucoup pour ce prix – je me sens très honoré de cette Clef d'Or ResMusica 2015, surtout en France pour un album français ! L'idée était de faire mieux connaître le style de l'opéra romantique français, dont j'ai dit de nombreuses fois à quel point je l'aime. J'ai été déçu qu'en France il n'y avait pas tant de maisons d'opéra qui jouaient les grands opéras de Massenet, Gounod, Bizet, Meyerbeer… En ce moment, depuis quelques années, la situation est meilleure ! Peut-être grâce à mon CD? Et cet entretien…
RM : Vous avez signé chez Deutsche Grammophon et vous avez publié deux albums avec eux depuis 2013, comment se passe votre relation ?
PB : Chaque chanteur rêve de signer avec Deutsche Grammophon, car cela vous fait passer au niveau au-dessus. J'avais été en contact avec eux depuis de nombreuses années, et quand l'opportunité s'est présentée, je l'ai saisie. J'ai été surpris qu'ils respectent ce que je fais, et je garde toujours mon indépendance.
RM: Pourriez-vous envisager de faire un album cross-over s'ils vous le demandent ?
PB : Je fais déjà du cross-over vers l'opérette, je crois en Robert Stolz et Richard Tauber, je sais que je peux le faire bien, mais je ne serai pas prêt pour des chansons pop. Pavarotti & Friends, Diana Ross avec Plácido Domingo et José Carreras, c'étaient de grands événements, mais artistiquement, ça ne fonctionne pas. Je dis non à des projets auxquels je ne crois pas.
RM : Vous parvenez à chanter des rôles lourds avec lyrisme et de merveilleux pianissimi, par exemple lors du concert de Paris à la Tour Eiffel en 2014 (vidéo ci-dessous). Vous chanterez cette saison Lohengrin, et Riccardo dans Un ballo in Maschera, qui sont des rôles plus lourds. Voulez-vous vous éloigner des rôles plus légers, tels que Rigoletto ?
PB : Non, pas vraiment… J'essaye de composer chaque saison avec des styles différents, mais en gardant toujours les bonnes proportions – une production de Lohengrin ne supprime pas Rigoletto de mon répertoire, il faut encore beaucoup de lyrisme nécessaire dans ce répertoire-là !
RM : Comme artiste polonais avec une carrière internationale, cherchez-vous activement des occasions de promouvoir le répertoire de votre propre pays? Y a-t-il des trésors cachés que vous souhaitez mieux faire connaître ?
PB : Le Manoir hanté (Straszny dwór en polonais) de Stanisław Moniuszko, composé dans les années 1860 est très intéressant. Chaque chanteur a une belle partie, et il appartient à l'Histoire polonaise. Nous avons besoin d'un chef d'orchestre et d'une distribution, j'y travaille. Je ne vois vraiment pas pourquoi cette opéra ne figure pas au répertoire des grandes maisons d'opéra !
« Apprendre le style, la technique, jusqu'où vous pouvez aller avec votre voix, avec un coaching psychologique pour expliquer comment gérer un monde rude. »
RM : Le Roi Roger avait été monté à Bastille en 2009 par Krzysztof Warlikowski. L'audience avait été outrée et avait hué le metteur en scène avec une rare énergie.
PB : Cela m'avait beaucoup agacé. La mise en scène ne racontait pas l'histoire, et la mettait à un niveau très bas. Ce fut une occasion manquée, et je suis vraiment désolé de dire que pour Król Roger, la première tentative internationale à Paris ne permettait pas de comprendre la musique et l'histoire…
RM : Vous êtes né en 1966, vous avez grandi à l'époque où le général Jaruzelski était au pouvoir, quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
PB : Mon père faisait partie de Solidarność, il a été arrêté pendant 5 jours en décembre 1981 avec tous les autres chefs. Nous vivions à 10 kms de Katowice, dans le sud de la Pologne, et la ville et la région ont joué un rôle très important dans tout ça. Il y avait des chars Panzer à proximité de ma maison, nous ne pouvions pas jouer au football pendant 2 mois, c'était effrayant. Mais cela a réuni les gens contre le régime…
RM : Vous sentez-vous nostalgique de cette époque ?
PB : Je me souviens qu'il n'y avait rien dans les magasins, et quand je dis rien, je veux dire rien. Le jambon, c'était seulement pour Pâques… si vous aviez de la chance. Je faisais la queue toute la nuit pour le jambon de Pâques, et je n'étais pas sûr de pouvoir en obtenir. Les gens qui râlent aujourd'hui devraient se rappeler qu'à l'époque vous payiez votre voiture et deviez attendre 20 ans pour l'obtenir ! Ceci étant dit, je vois des gens qui tchattent sur les réseaux sociaux, mais ils ne parlent pas ensemble. En ces temps nos parents nous avaient appris à avoir du respect pour les personnes âgées, à donner notre place dans le train, donner de l'espace à d'autres gens dans la rue, à prendre soin des autres. Aujourd'hui, les gens bloquent les autres: «Non, ne va pas dans mon espace privé ! ».
RM : Avez-vous un rêve pour les 15-20 prochaines années ?
PB : Oui, je veux créer une école pour les chanteurs. Je suis depuis 20 ans sur scène, je dispose de 15 ans d'avance sur moi et je ne veux pas chanter Rodolfo jusqu'à ma mort. L'éducation vocale est à un niveau très faible. Enseigner comment chanter est une chose très complexe et avec beaucoup d'aspects psychologiques en elle. Ce n'est pas qu'une question de notes aiguës et de savoir chanter fort. Dans mon idée, c'est apprendre le style, la technique, jusqu'où vous pouvez aller avec votre voix, avec un coaching psychologique pour expliquer comment gérer un monde rude. Ce n'est pas vraiment fait.
RM : Quel est le plus grand risque pour tout chanteur ?
PB : Les chanteurs pensent à leur prochain engagement, ils devraient penser 3 à 5 ans à l'avance, sinon le résultat peut être horrible. J'ai appris la technique du chant et je veux le transmettre à la prochaine génération. C'est de ma responsabilité parce que les jeunes chanteurs ont le droit d'être fragiles, pas assez habiles ou inexpérimentés… Notre devoir est de leur expliquer quelles sont les règles de ce monde…
RM : Allez-vous ouvrir une école ? Où sera-t-elle ? Et combien d'élèves aurez-vous ?
PB : Beaucoup de gens me demandent quand je l'ouvre ! L'endroit n'a pas d'importance. Je vais commencer quand je serai prêt pour cela… Je crois en la qualité et non la quantité – je vais essayer d'en aider autant que je peux à différents niveaux bien sûr ! Les débutants ont besoin d'une aide particulière et les chanteurs confirmés qui ont quelques problèmes avec leur voix au cours de leur carrière, en changeant de répertoire, ont besoin d'un autre type d'aide… Tout cela est un processus difficile !
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