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Kurt Masur, décédé le 19 décembre 2015 à l'âge de 88 ans restera dans l'histoire de la direction d'orchestre comme un bâtisseur et un humaniste. Un homme qui s'inscrivait dans le temps long – le seul qui vaille quand il s'agit de bâtir un orchestre – mais qui sut aussi être à la hauteur des circonstances historiques. En octobre 1989 à Leipzig, son sang-froid permit d'éviter un bain de sang contre les partisans de la démocratie et contribua de manière significative à la chute pacifique du mur de Berlin.
Parmi les grands chefs d'orchestre médiatiques du XXe siècle, l'Histoire retiendra les démiurges humanistes et métaphysiques comme Wilhelm Furtwängler ou narcissiques comme Herbert von Karajan, les tyrans géniaux comme Toscanini, les jet-setteurs à l'agenda surbooké tels les Lorin Maazel (lire notre portrait) ou Zubin Mehta, les bâtisseurs d'orchestres comme Charles Munch ou George Szell ou encore les passeurs et hommes de paix comme Daniel Barenboim. Né en 1927, Kurt Masur appartenait à ces deux dernières catégories.
Leipzig, New York, Paris, trois villes pour un chef
Chef bâtisseur, formé à l'ancienne à la grande et sérieuse école des Kapellmeister, il a marqué de son empreinte au moins trois grands orchestres. D'abord l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig qu'il a maintenu au plus haut niveau de 1970 à 1997 et pour lequel il a obtenu en 1981 l'inauguration de sa salle de concert, qui manquait depuis la disparition sous les bombes alliées en 1944 de la salle de 1884.
Ensuite le New York Philharmonic de 1991 à 2002 dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il lui a redonné un lustre et une solidité perdue au fil des mandats de Pierre Boulez et surtout de Zubin Mehta, et qu'il a quitté à regret en raison d'un conflit avec la directrice Deborah Borda qui lui reprochait notamment d'être dictatorial et hostile à la musique des compositeurs des États-Unis.
Enfin, en parallèle d'un mandat de chef principal au London Philharmonic Orchestra, il fut directeur musical de l'Orchestre national de France de 2002 à 2008 avec lequel il a travaillé avec assiduité le répertoire germanique. À Paris, s'il ne tint pas ses promesses initiales de jouer les jeunes compositeurs français et offrit des programmations qui n'échappèrent pas à un certain sentiment de routine, il était extrêmement apprécié tant des musiciens que du public, et permit à l'orchestre d'atteindre un niveau remarquable qui suscita l'enthousiasme du public.
Quelques exemples au fil des chroniques de ResMusica, un Peer Gynt mémorable en 2005, une Symphonie n° 9 de Mahler en 2007 en mémoire de Mstislav Rostropovitch qui fut un choc, une Symphonie Alpestre de Strauss la même année qui le rendit très fier (édité en 1 CD Radio France), avant de conclure son mandat officiel par l'intégrale des symphonies de Beethoven en 2008 saluée par une standing ovation. Preuve de la confiance qu'il avait dans les progrès accomplis par la formation française, il lui fit jouer Bruckner dans la mythique salle du Musikverein en 2008. Il fallait oser ! Et la salle viennoise était pleine à craquer pour l'événement.
1989, 2001, 2015, trois dates pour un homme
Kurt Masur s'est fait avant tout connaître du grand public en Europe de l'Ouest pour son action de paix en octobre 1989. Alors qu'il était une figure respectée de la nomenklatura Est-allemande même s'il n'était pas lui-même membre du parti communiste, il prit d'abord parti en faveur des musiciens de rue qui étaient arrêtés pour ne pas disposer des autorisations administratives nécessaires. L'affaire prenant de l'ampleur, il prit le grand risque d'accueillir dans sa salle du Gewandhaus les musiciens, la police politique et les dirigeants communistes, 600 personnes au total. La réunion permit le règlement de la situation en faveur des musiciens. Mais le mois suivant la colère populaire prit de l'ampleur, il signa avec 5 autres personnalités de la ville un appel Keine Gewalt ! (Pas de violence !), intervint à la radio et alors que l'armée était prête à réprimer les manifestants dans le sang, il accueillit à nouveau les deux parties. De manière inattendue, ces discussions permirent d'avancer vers la chute du mur de Berlin. Ses partisans pensèrent même le proposer comme Président de la nouvelle Allemagne ! À cette sinécure, Kurt Masur préféra l'option plus risquée de porter l'art universel de la direction allemande sur le sol américain.
À New York, il rencontra à nouveau l'Histoire avec les attentats du 11 septembre 2001. Neuf jours plus tard, le 20 septembre, pour un pays traumatisé, il dirigea le Requiem allemand de Brahms avec son orchestre en mémoire des victimes. Le critique musical du New York Times commenta alors « la croyance inébranlable de Kurt Masur dans la capacité de la musique à dire de grandes choses et à apporter le réconfort a parfois amusé. Plus maintenant ».
Atteint de la maladie de Parkinson, le vieux sage est décédé à Greenwich, au nord de New York, un mois après les attentats de Paris du 13 novembre. Cette fois le temps ne lui a pas permis de venir apporter à son cher public français la force consolatrice de la musique.
À lire : Kurt Masur par Johannes Forner, 2004. Actes Sud (Clef ResMusica), la biographie toujours de référence.
À écouter :
– Symphonie Alpestre de Richard Strauss (1 CD Radio France), pour mesurer le travail accompli avec le National dans une œuvre de démonstration
– Symphonie n° 1 de Dimitri Chostakovitch, dans le coffret 8 CDs INA Mémoire Vive, pour mettre en perspective la période de Kurt Masur entre 1944 et 2013.
Merci pour cet article qui éclaire parfaitement les différentes facettes du chef, sur le plan musical et sur le plan humain.