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Passionné par la musique italienne du XVIIe siècle, Jean Tubéry s'est consacré à l'un des instruments les plus appropriés à la faire revivre : le cornet à bouquin, dont le son « est semblable à l'éclat d'un rayon de soleil qui parait dans l'ombre ou dans les ténèbres » (Père Mersenne 1636). Chef de chœur, fondateur et directeur artistique de l'Ensemble La Fenice en résidence à Auxerre depuis 2009, Jean Tubéry a répondu à nos questions à l'occasion des 25 ans de l'ensemble.
« Ils ont accueilli cette musique avec une grandeur d'âme, une générosité absolument hors du commun. »
ResMusica :Votre ensemble, La Fenice, fête ses 25 ans. Comment s'est-il créé ?
Jean Tubéry : L'ensemble La Fenice fut créé en 1990 par quelques jeunes musiciens issus principalement de la Schola Cantorum de Bâle, afin de faire revivre le répertoire italien et d'influence italienne pour le cornet à bouquin (cornetto) du « primo seicento ». Il y a 25 ans de cela, seuls les ensembles Concerto Palatino et Les Saqueboutiers de Toulouse s'étaient lancés dans quelques enregistrements du vaste répertoire instrumental et vocal de l'instrument. Leurs directeurs artistiques respectifs, Bruce Dickey et Jean-Pierre Canihac, furent mes maîtres au cornet à bouquin. Il y avait donc la place pour un jeune ensemble désireux d'apporter une touche personnelle, avec une approche différente du répertoire. Sur un plan technique, je fus, pour ma part, le premier à jouer cet instrument sur le côté de la bouche, comme le montre l'iconographie de l'époque, et non au milieu comme l'avaient fait naturellement mes aînés, trompettistes de formation. Sur un plan musical, j'ai porté une attention particulière sur l'aspect ornemental et rhétorique du jeu du cornet à bouquin, dont les sources de l'époque s'accordent à dire qu'il était l'instrument « le plus apte à imiter la voix humaine »…
Nous avons ainsi gravé, en 1991, un premier CD consacré à Maurizio Cazzati, avec des pièces qui sont devenues des incontournables du répertoire, éditées depuis par des maisons d'éditions de musique ancienne et reprises par bien des ensembles jusqu'à nos jours. Vingt-cinq ans après la création de l'ensemble La Fenice, une de mes grandes satisfactions réside dans la divulgation de ce vaste répertoire à laquelle nous avons contribué, tout en poursuivant encore de nos jours notre travail de « défrichage » de ces musiques fascinantes du « primo seicento ». De fait, la naissance de ce XVIIe siècle vit aussi la naissance d'un « stile nuovo », à l'origine tout de même de ce que nous appelons aujourd'hui « musique baroque » !
RM : Quels répertoires, quels programmes construisez-vous pour votre ensemble ?
JT : Nous avons commencé avec la musique italienne et plus particulièrement vénitienne, instrumentale, du XVIIème siècle, puis nous avons ouvert assez vite le répertoire à la musique vocale puisque le cornet a beaucoup accompagné les voix soit en doublure dans le « colla parte », soit en remplacement de cette partie de dessus, soit dans le style « concertato » dans lequel le cornet se fait un peu le miroir de la voix, notamment celle de soprano. Ce fut le premier répertoire de l'ensemble. C'est vrai que nous avons vite extrapolés par rapport au répertoire assez immense pour cet instrument, contrairement à ce que l'on pense. Son âge d'or se situe dans les années 1600, à la naissance du baroque, la fin de la Renaissance. Mais il y a un répertoire qui va du début du XVIe siècle (comme on le constate à travers l'iconographie) jusqu'à la fin du XVIIIe, puisqu'il y a des ouvrages, notamment une « sinfonia », un petit concerto pour cornet et orchestre d'un compositeur qui écrit dans un style rococo. Mais ceci reste anecdotique. Le cornet disparaît petit à petit vers 1750 avec Jean Sébastien Bach qui, quant à lui, l'utilise encore dans plus d'une dizaine de ses cantates.
RM : Quelle est votre plus belle satisfaction, durant ces 25 ans ?
JT : Difficile de choisir… Une immense joie quand on a donné notre musique de l'autre côté de l'Atlantique, en Colombie. Nous nous sommes retrouvés dans la cathédrale de Bogota où avaient été installés d'immenses écrans. Nous avons joué notre musique européenne du XVIIe siècle à des gens en pensant qu'elle leur serait étrangère. Et bien, pas du tout. Ils ont accueilli cette musique avec une grandeur d'âme, une générosité absolument hors du commun. C'est l'un de mes grands souvenirs de la manière dont notre musique a pu s'exporter au-delà de nos frontières. Et il y en a un deuxième, en parallèle. C'est notre tournée en Chine. Nous avons rencontré un public qui découvrait cette musique avec la candeur d'un enfant. Le public était très familial. Ces moments-là m'ont redonné la foi en notre musique et mon métier de musicien.
RM : Mais vous avez eu aussi des déceptions ?
JT : Il y a toutes sortes de déceptions. On a eu la chance dans les années 2000, avant la crise qui a réduit la voilure, d'enregistrer un très bel oratorio « La morte delusa » de Bassani avec un casting hors du commun : Emmanuela Galli, Daniela del Monaco, Philippe Jaroussky, François Piolino, Jean-Claude Saragosse… Curieusement, cet oratorio n'a plus été donné en concert. C'est l'un de mes grands regrets. J'espère que d'ici la fin de ma carrière on pourra le redonner.
RM : L'ensemble donne des concerts, édite des disques… Quelles activités autres développe-t-il (animations, interventions en milieu scolaire, notoriété…) ?
JT : Nous sommes très actifs en Bourgogne, où nous sommes en résidence, dans la ville d'Auxerre, en milieu scolaire notamment. Des enfants assistent à nombre de nos répétitions. Nous allons directement vers ces enfants qui se déplacent rarement vers les salles de concert. Nous nous produisons en petit effectif à travers l'Yonne. C'est toujours un grand bonheur de voir le regard de ces enfants émerveillés, qui découvrent non seulement cette musique mais, dans un certain nombre de cas, la musique « live ». Ils voient un ensemble de musiciens devant eux et, paradoxalement (je dirais même tristement…) c'est souvent pour la première fois. C'est une expérience unique qui, d'ailleurs, occasionne toujours un silence d'or que n'obtiennent jamais les proviseurs avec la discipline ! C'est toujours une très belle expérience.
« Je pense que nous entrons dans une période charnière. »
RM : Vous avez une activité d'enseignant. C'est important pour vous ?
JT : Non, ce n'est pas important ! C'est très important ! J'enseigne dans trois conservatoires d'un certain niveau puisqu'il s'agit du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, au CNSMD de Lyon et au Conservatoire Royal de Bruxelles. J'ai la chance d'avoir régulièrement des musiciens très talentueux qui deviennent, parfois, et assez vite des collègues Il arrive même qu'ils deviennent des collègues avant de sortir du Conservatoire avec leur diplôme parce que leur niveau a considérablement monté depuis la découverte de la musique ancienne. Je constate que, depuis nos débuts en 1990, le nombre de musiciens d'un même niveau a triplé. Ce qui nous permet de partir d'emblée dans des productions où le niveau de base est sans doute supérieur à ce qu'il était il y a 25 ans de cela. Toutefois le travail reste indispensable
RM : Comment voyez-vous l'avenir, le vôtre, celui de l'ensemble et, surtout, celui des jeunes musiciens que vous formez ?
JT : L'avenir de l'ensemble, cela fait 25 ans que nous sommes présents. Je pense que nous entrons dans une période charnière. Il y a longtemps que nous ne sommes plus un jeune ensemble. Mais nous restons un ensemble assez pointu qui s'est spécialisé dans la musique du XVIIe siècle, de Monteverdi à Purcell. Cette musique reste notre cheval de bataille. Mais j'ai eu la chance de faire des incursions dans le répertoire plus tardif avec les cantates de Bach que j'ai enregistrées quand j'étais chef titulaire du Chœur de Chambre de Namur ou alors avec les motets de Rameau que j'ai eu la chance de diriger avec Arsys Bourgogne. C'est vrai que cet élargissement est important dans l'ordre des choses. Mais paradoxalement, je souhaite revenir à de petites formations parce qu'il ne me semble pas indispensable d'être le plus nombreux possible sur scène pour faire le meilleur concert possible. Nous avons constaté qu'avec 4 ou 5 musiciens nous pouvions obtenir une émotion qu'on n'obtient pas toujours avec une trentaine de musiciens sur scène. Cette combinaison de petites et de grandes formes semble être un bel équilibre auquel je tiens pour l'avenir. Quant à mon avenir personnel, il se déroule avec des expériences toujours renouvelées et toujours plus belles avec mon épouse avec laquelle nous sommes partis sur le chemin de Saint-Jacques … en tandem ! C'est autre chose mais ce n'est pas moins important que la musique à mes yeux
RM : Alors, finalement, Jean Tubéry, heureux ?
JT : Le comble du bonheur !
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