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Nietzsche contre Wagner : histoire d’une brouille esthétique et philosophique

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Nietzsche187cLe Cas Wagner de Nietzsche est peut-être l'une des charges les plus violentes jamais portée contre un compositeur. Pourtant, les deux hommes étaient liés d'amitiés quand Nietzsche était professeur à Bâle et il lui avait même dédicacé sa Naissance de la tragédie. Ce sont des raisons à la fois esthétiques, philosophiques mais aussi personnelles qui les ont ensuite séparés.

Le Cas Wagner est publié en 1888, soit quelques cinq ans après la mort de l'intéressé et quelques mois avant que Nietzsche ne sombre dans la folie. Le festival de Bayreuth, dirigé alors par , est en passe de devenir un quasi-culte dévolu à la personnalité du compositeur. La musique wagnérienne, que Nietzsche avait tant louée dans sa Naissance de la tragédie comme incarnation d'un nouvel art total germanique, est passée à ses yeux d'iconoclaste à religieuse, de dionysiaque à nihiliste.

Dans le Crépuscule des idoles, dont le titre est d'ailleurs une référence ironique au Crépuscule des dieux, Nietzsche veut « briser les idoles » à coups de marteau. Or à ses yeux, Wagner est justement devenu une idole, un symptôme du nihilisme de son temps. Dans la ferveur de Bayreuth Nietzsche voit un phénomène narcotique, qui agit avant tout sur les nerfs des foules. Bayreuth, « la colline sacrée », préfigurait en quelque sorte Hollywood, avec sa démesure, ses « dieux de pacotilles » (Nietzsche fait allusion au Wotan dont Wagner se fera le prophète) et surtout l'avènement d'un art du spectacle au détriment de l'art comme création.

Malgré les très violentes charges personnelles, Le Cas Wagner est donc surtout une critique du wagnérisme comme tendance, comme « mode » avant d'être celle d'un homme. A Bayreuth se presse déjà l'élite économique et politique, ainsi que tout le gratin du monde de l'art et du luxe. Le wagnérisme devient pour certains une quasi religion qui confine au fanatisme : « À Bayreuth on n'est honnête qu'en tant que masse, en tant qu'individu on ment, on se ment à soi-même. On se laisse soi-même chez soi lorsqu'on va à Bayreuth, on renonce au droit de parler et de choisir, on renonce à son propre goût ».

Comment comprendre le flot de haine que Nietzsche va ainsi déverser dans ses derniers pamphlets contre son ancien ami ? On peut retenir, pour simplifier la chose, trois griefs de Nietzsche contre Wagner : le premier est de nature esthétique, le second de nature philosophique et le dernier, hypothétique, est personnel.

Grief esthétique, d'abord : Nietzsche reproche à Wagner d'être un histrion, un homme de théâtre avant d'être musicien. Dans l'opéra wagnérien, la musique ne serait là que pour servir un spectacle écrasant. Or Nietzsche, dans toute sa réflexion sur l'art, milite pour une esthétique du créateur, qui suppose une écoute active et qu'il oppose à l'esthétique du spectateur passif. À la musique « pleine d'artifices » de Wagner, il oppose la légèreté des opéras de Bizet, à l'écoute desquels il affirme se sentir « plus philosophe » et « meilleur auditeur », car il a l'impression d'assister à la « naissance » de l'œuvre.

Grief philosophique ensuite : Nietzsche fait de Wagner un symptôme de la décadence et du nihilisme européens du XIXe siècle. Il l'accuse de travailler à la destruction de la forme, de l'harmonie, des règles qui ont caractérisé la musique ancienne, mais aussi d'inventer des arrière-monde, de tenir des discours métaphysiques : pour Nietzsche, le thème de la rédemption par l'amour n'est rien d'autre qu'un christianisme accommodé. Pire encore, Wagner se pose comme maître à penser d'un certain nationalisme allemand et aussi d'un certain antisémitisme, que Nietzsche considérera à la fin de sa vie comme les produits d'un ressentiment qu'il méprise.

Enfin, peut-être un grief personnel : Nietzsche ne le laisse nullement paraître dans ses écrits, mais là tient peut-être l'explication d'une telle violence à l'encontre du maître de Bayreuth. On sait que suite à plusieurs séjours chez les Wagner, Nietzsche a contracté une liaison épistolaire avec Cosima, pour qui il éprouvait une grande admiration. À la mort de Wagner, Nietzsche lui adressera une lettre dans laquelle il lui dira « Vous, la femme la plus vénérée de mon cœur ». Après qu'il ait sombré dans la folie, il lui écrira encore : « Je t'aime Ariane », signant « Dionysos ».

Est-ce à dire que Nietzsche était amoureux de la femme de Wagner ? La théorie a été largement reprise, mais on ne peut rien en dire. On peut néanmoins avancer un autre point : Wagner n'était pas seulement un musicien mais aussi un polémiste, comme Nietzsche. Ce dernier, de son côté, a également composé plusieurs pièces musicales que la postérité n'aura que très peu retenues. Tous deux ont eu, au cours de leur vie, la tentation d'incarner une certaine renaissance germanique. Nietzsche aurait-il vu dans Wagner un rival, son plus grand rival ?

 

 

 

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1 commentaire sur “Nietzsche contre Wagner : histoire d’une brouille esthétique et philosophique”

  • Guy Ferdinande dit :

    En fin de compte, j’opterai pour la thèse de la rivalité. Bizet opposé à Wagner, oui on comprend bien la clause de la légèreté, la charge ; mais justement parce que c’est une charge je la trouve ambivalente. Bien qu’elle demeure pertinente et moins intempestive qu’il n’y paraît, je pense qu’en son for intérieur Nietzsche n’a jamais cessé d’admirer Wagner. Il faudrait retourner voir dans les écrits posthumes si ne se trouvent pas des propos à ce sujet.

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