Porté à bout de bras par Alexandre Yterce, l'une des figures les plus charismatiques et non moins engagées du monde électroacoustique, le festival Licences s'associe cette année avec l'agence Sonora et son directeur Stanislaw Suchora pour une douzième édition résolument polonaise et généreusement soutenue par l'Institut polonais de Paris.
Le festival se tient durant trois jours aux Voûtes, un lieu alternatif, insolite autant que bucolique, où l'acousmonium Alcôme a déployé sa cinquantaine de haut-parleurs pour la projection spatialisée du son. Bien rythmé et passionnant, dans son contenu comme dans sa diversité, le programme de chaque journée propose, en alternance, concert acousmatique dans le noir, cinéma expérimental et performance électronique live. Sont invités sur scène de nombreux artistes venus de Pologne, le plus souvent avec leurs instruments électroniques, pour défendre en direct leur création. Toutes les générations sont représentées dans ce large panel d'œuvres sélectionnées : des pionniers du son électroacoustique et de la musique à l'image des années 60 à la génération émergente, d'une incroyable vitalité, comme en témoignent les musiciens présents au Festival.
Dans Dialogue with Eugeniusz Rudnik, la vocaliste norvégienne Maja S.K. Ratkje intervient devant le micro et s'entoure d'une foule d'objets sonnants pour explorer, remixer voire métamorphoser les sons fixés du compositeur polonais Eugeniusz Rudnik, l'une des figures majeures des premiers studios électroacoustiques. Quant à Sultan Hagavik et Kosmopolex Forte, ils arrivent sur scène masqués et, assis en tailleurs tels des illusionnistes, font naître un monde sonore ludique, étrange et fantasque, en manipulant des lecteurs cassettes et autres tablettes magiques. (6-XI)
Avec l'acousmonium Alcôme, un dispositif superbe construit par Livia Giovaninetti et Armando Balice, qui voyage aujourd'hui dans le monde entier, Rafal Zapala, performer polonais, joue sur scène de son synthétiseur analogique dans XynThi, une improvisation insolite et surprenante où crépitements, explosions et sons itératifs foisonnent sous le geste inventif de l'artiste.
Sa pièce Gonzay débute le second concert acousmatique du Festival. Alexandre Yterce, magnifiquement concentré, est à la console de projection pour interpréter sept compositions datant des dix dernières années. Puissante et onirique, Gonzay est hantée par la voix et sa résonnance infinie. Plus intimiste, Just too many words de Lidia Zielinska engendre une micropolyphonie de mots laminés par les artifices du studio. Axe rouge V d'Elzbieta Sikora – compositrice polonaise vivant en France et invité d'honneur du Festival – est une pièce impressionnante par la puissance et l'incandescence de ses matériaux qui embrasent l'espace de résonance. Dans Saudade, music of distortions, la pièce la plus récente de la soirée, Rafal Ryterski, présent dans la salle, travaille avec le larsen et la saturation du son au sein d'un univers pulsé et tendu. (7-XI)
Les trois projections de cinéma expérimental, où l'image et le support sonore sont souvent du même artiste, témoignent, au sein de la création polonaise, d'une invention et d'un humour ravageurs. Dessin d'animation sur une musique minimale, Droga (La rue) de Miroslaw Kijowicz (1971) déploie finesse et dérision. Dans Zupa (Soupe) de Zbigniew Rybczynski, la musique relève des techniques de micromontage et autres boucles sonores des années 70. Du même auteur, Tango, drôle et fascinant, est un petit chef-d'œuvre, fonctionnant sur un processus accumulatif de personnages et de situations qui se répètent et s'additionnent à mesure. A la musique lascive et au rythme obstiné du tango s'ajoutent quelques bruits anecdotiques qui accompagnent l'image.
C'est Mirt, et son Electronium live, un instrument aussi imposant qu'énigmatique, qui boucle ces trois journées consacrées à la création polonaise tout azimut. Dans Solitaire, une pièce pleine de poésie, l'artiste performer s'approprie la pièce d'Arne Nordheim, célèbre compositeur norvégien, qu'il sublime à travers une improvisation déployant un univers personnel, intimiste autant que coloré.
Crédits photographiques : Pierre Wayser / festival Licences