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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 26-IX-2015. Pascal Dusapin (né en 1955) : Penthesilea, opéra en 1 prologue, 11 scènes et 1 épilogue; livret en allemand de Pascal Dusapin et Beate Haeckl d’après la pièce de Heinrich von Kleist. Mise en scène, Pierre Audi ; décors, Berlinde De Bruyckere ; lumières, Jean Kalman ; vidéo, Mirjam Devriendt ; dispositif électroacoustique, Thierry Coduys. Natascha Petrinsky, mezzo-soprano, Penthesilea ; Marisol Montalvo, soprano, Prothoe ; Georg Nigl, baryton, Achilles ; Werner Van Mechelen, baryton-basse, Odysseus ; Eve-Maud Hubeaux, alto, Oberpriesterin ; Jaesun Ko, baryton, Bote ; Patricia Kaehny, mezzo-soprano, Botin, Amazone ; Oguljan Karryeva, soprano, Amazone. Choeurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg; direction, Franck Ollu.
Créée au Théâtre Royal de la Monnaie/De Munt, en mars dernier, la superbe production de Penthesilea, septième ouvrage lyrique de Pascal Dusapin, co-produit par l'Opéra national du Rhin, investit la scène strasbourgeoise.
Sous la direction exemplaire de Franck Ollu, c'est l'Orchestre philharmonique de Strasbourg qui est cette fois dans la fosse, et pour quatre représentations.
Guerrière sauvage et frappée de délire bachique, la Penthésilée d'Heinrich von Kleist tourmente l'imagination de Pascal Dusapin depuis plus de trente ans ! Pour mettre sur scène sa Penthesilea, il écrit lui-même le livret, une adaptation très épurée de la version originale (un prologue, 11 scènes et un épilogue), qu'il finalise avec la dramaturge allemande Beate Haeckl.
Selon l'histoire mythologique, en raison d'un viol ancestral, les Amazones ne peuvent prendre comme amants que les hommes qu'elles ont vaincus. Penthésilée engage donc le combat avec Achille pour mieux « l'attirer sur son coeur ». Mais dans son roman, Kleist réinvente le mythe : ce n'est pas Penthésilée qui meurt sous les coups d'Achille mais bien la Reine des Amazones qui décoche une flèche en pleine poitrine de l'homme qu'elle a aimé avant de l'avoir soumis ; et, « chienne parmi les chiens », elle le dévore telle la Ménade dans le rite de Dionysos.
Cette histoire terrifiante observant « l'amour au filtre du problème de la loi », selon les termes de Dusapin, permet au compositeur « de rendre compte d'une inquiétude au monde ».
Avec la scénographie de la plasticienne Berlinde De Bruyckere, Pierre Audi signe une mise en scène saisissante où s'exerce l'âpreté d'un monde éminemment sombre, régi par la guerre des corps et une violence quasi bestiale entre les êtres : les personnages en costumes de cuir noir rampent à même le sol au milieu des peaux animales de la plasticienne, suspendues telle une installation, dans les premières scènes de l'opéra. Les lumières de Jean Kalman et la vidéo de Mirjam Devriendt animent l'espace et jouent superbement sur les matière brutes du décor, la peau mais aussi le métal puis la pierre, métaphore du tombeau. Ce qui n'est pas explicité sur scène sera rapporté par le choeur – celui de l'Opéra national du Rhin – dans l'esprit de la Tragédie antique.
Maître des trames-atmosphère, qui procèdent par vagues et sous-tendent très efficacement l'action sans concurrencer les voix, Pascal Dusapin instille une musique intense autant que retenue, sélectionnant des couleurs solistes (cymbalum, flûte alto, clarinette contrebasse, trompettes bouchées…) mises au service de la dramaturgie. Une partie électroacoustique, toujours surprenante et efficace, permet parfois d'envoyer le son dans la salle. L'énigmatique mélodie donnée à la harpe au tout début de l'opéra devient une sorte d'« idée fixe » parcourant l'ouvrage et véhiculant sa part de tendresse dans cet univers de démence.
Le traitement vocal – du parlé au cri – rappelle celui de Faustus the last night (cinquième opéra de Dusapin) où le baryton autrichien Georg Nigl était déjà présent. Cheveux longs et muscles saillants dans Penthesilea, il déploie tout à la fois puissance physique et vaillance vocale dans son rôle guerrier d'Achilles. Son compagnon d'armes, Odysseus/Werner van Mechelen ne démérite pas, qui doit tempérer les élans volcaniques de son maître ; comme essaie de le faire, auprès de Penthesilea, Prothoe/Marisol Montalvo, soprano sensuel et séduisant, aux couleurs chaudes. Remarquable également est la voix puissante d'Eve-Maud Hubeaux incarnant avec autorité la Grande Prêtresse (Oberpriesterin). L'abattage scénique et vocal de la mezzo-soprano autrichienne Natacha Petrinsky sidère dans le rôle-titre, dont l'écriture explore les registres extrêmes de la tessiture, mettant parfois en danger l'homogénéité du timbre. Physique longiligne et toute de cuir vêtue, elle est la seule à changer de costume à la fin de l'opéra, enfilant un pull et un pantalon presque contemporains : « peut-être pour nous rappeler que nous sommes entourés de Penthésilée… » avance Pierre Audi. Pour ce dernier comme pour Pascal Dusapin, il importe peu de convoquer le réalisme: la métaphore suffit !
Crédits photographiques : Georg Nigl (Achilles) et Natascha Petrinsky (Penthesilea); Marisol Montalvo (Prothoe), Natascha Petrinsky (Penthesilea) et Eve-Maud Hubeaux (Oberpriesterin) (c) Forster/Monnaie De Munt
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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 26-IX-2015. Pascal Dusapin (né en 1955) : Penthesilea, opéra en 1 prologue, 11 scènes et 1 épilogue; livret en allemand de Pascal Dusapin et Beate Haeckl d’après la pièce de Heinrich von Kleist. Mise en scène, Pierre Audi ; décors, Berlinde De Bruyckere ; lumières, Jean Kalman ; vidéo, Mirjam Devriendt ; dispositif électroacoustique, Thierry Coduys. Natascha Petrinsky, mezzo-soprano, Penthesilea ; Marisol Montalvo, soprano, Prothoe ; Georg Nigl, baryton, Achilles ; Werner Van Mechelen, baryton-basse, Odysseus ; Eve-Maud Hubeaux, alto, Oberpriesterin ; Jaesun Ko, baryton, Bote ; Patricia Kaehny, mezzo-soprano, Botin, Amazone ; Oguljan Karryeva, soprano, Amazone. Choeurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg; direction, Franck Ollu.