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Simon Ghraichy, pianiste cosmopolite

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, jeune pianiste d'origine libano-mexicaine, a un parcours musical riche et atypique. Une personnalité curieuse et ouverte à toutes les cultures, qui présente son programme « Liszt and Americas » au Carnegie Hall de New York, puis au Kennedy Center de Washintong D.C. puis à la Philharmonie de Berlin.

Simon Ghraichy © Jean-François Meler« Pour trouver qui je suis exactement, la musique m'a beaucoup aidé. »

ResMusica : Vous avez un profil peu commun. Pourriez-vous tout d'abord nous raconter votre parcours ?

 : Je suis né dans une famille cosmopolite ; je suis moitié libanais, moitié mexicain, avec une partie de la famille de chaque côté, maternelle et paternelle, vivant dans ces pays. Suite à de nombreuses circonstances, ma propre famille s'est trouvée en France, où j'ai grandi. Nous sommes tous francophones, et mon éducation musicale s'est faite en France, d'abord dans des conservatoires régionaux, notamment à celui de Boulogne-Billancourt avec Hortense Cartier-Bresson, qui m'a préparé au CNSMD de Paris, où j'ai été admis dans la classe de Michel Béroff. J'ai suivi 5 ans de cursus avec lui, puis, dans le cadre d'Erasmus, j'ai eu la chance de partir une année entière en Finlande, à Helsinki, où j'ai étudié avec Tuija Hakkila. Après mes études au Conservatoire de Paris, je suis retourné à Helsinki à mon compte, pour me perfectionner dans le troisième cycle auprès de Tuija Hakkila à l'Académie Sibelius.

RM : Qu'est-ce l'enseignement de Tuija Hakkila vous a apporté ?

SG : À Paris, Michel Béroff m'a surtout appris comment surmonter la scène. Il m'a donné des moyens techniques et intellectuels pour appréhender la carrière de soliste et de concertiste ; comment gérer les problèmes récurrents dans ce métier, c'est-à-dire le trac et la tension avant de monter sur scène. Je dois tout cela à Michel Béroff. En Finlande, c'était tout à fait différent. Tuija Hakkila est une personne qui a une ouverture d'esprit phénoménale, et avec qui on peut parler à la fois de musique, de philosophie, de toutes sortes de choses. Elle joue le répertoire baroque sur des pianofortes, sur de vieux pianos, mais elle crée aussi de la musique contemporaine. Cela m'a permis de couvrir tout le répertoire avec elle, et de travailler différents styles, du Purcell, du Muffat, du Bach, du Rameau, sur pianoforte et sur piano moderne également. Nous avons travaillé des sonates de Mozart et de Beethoven sur instruments d'époque, de la fin 18e siècle au début 19e. Nous avons étudié le répertoire romantique, créé des œuvres contemporaines de compositeurs finlandais. J'ai découvert le répertoire pianistique de Sibelius, qui est encore trop méconnu, contrairement à ses œuvres orchestrales. C'était une expérience très enrichissante, et c'est pour cette raison que j'ai voulu y retourner après le Conservatoire pour approfondir cette approche.

RM : Vous jouez aujourd'hui dans le monde entier sur des scènes prestigieuses, comme le Carnegie Hall à New York. Mais les Français ne vous connaissent pas pour autant. Pourquoi ?

SG : C'est une bonne question, mais je crois que cela est dû aux choix qui s'étaient faits au fur et à mesure. Cela est dû aussi à des opportunités qui se sont présentées, même pendant mes études. De par mes origines familiales, j'ai visité l'Amérique latine très souvent et c'est là que ma carrière a commencé. En effet, j'ai gagné mon premier concours au Mexique, puis celui de Rio de Janeiro au Brésil, ce qui m'a permis de faire mes débuts avec les orchestres symphoniques de Rio et de Mexico, d'effectuer une tournée à Cuba etc. Ensuite, progressivement, d'autres opportunités se sont présentées en Europe, malheureusement pas en France mais aux Pays-Bas, car mon manager général est basé dans ce pays. Je suis assez présent en Suisse et au Benelux également. J'ai en fait suivi naturellement le cours.

Puis, en mai de l'année dernière, j'ai eu l'immense chance d'aller à New York, à travers une fondation philanthropique américaine qui soutient les arts. Ce séjour m'a permis de faire de nombreuses rencontres, des musiciens, des programmateurs… et de fil en aiguille, un récital au Carnegie Hall a été programmé pour octobre prochain, grâce à la directrice de New York Concerts Artists, l'association pour la promotion des jeunes musiciens. Quand on a parlé du détail du programme, elle a totalement adhéré à mon idée et s'est proposée pour organiser une tournée, car, selon elle, il est dommage qu'un tel programme ne soit joué qu'une fois. Elle a alors décidé de me produire au Kennedy Center à Washington D.C. et à la Philharmonie de Berlin. Il s'agit du programme intitulé « Liszt and Americas », qui présente la Sonate en si mineur de Liszt et des œuvres de compositeurs latino-américains et américains, tels que Louis Moreau Gottschalk, Ernesto Lecuona, Manuel Ponce ou encore Heitor Villa-Lobos. Il tente de montrer le lien qui unissait le Hongrois et les Amériques, que l'on ne connaît pas forcément mais qui existe bel et bien.

RM : Comment profitez-vous de vos origines « disparates », si on peut dire ainsi, pour nourrir vos inspirations musicales ?

SG : Je voudrais préciser tout d'abord que ce n'est pas toujours un avantage d'avoir des origines aussi « exotiques » et dispersées dans le monde. D'ailleurs, pendant longtemps, elles me posaient des problèmes d'identité. Mais pour trouver qui je suis exactement, la musique m'a beaucoup aidé. Quand on est moitié libanais moitié mexicain, et qu'on a grandi dans plusieurs pays très jeune, avant de se fixer dans un pays, c'est un tout autre parcours que quelqu'un qui a un encadrement basé sur une seule origine. J'ai alors essayé de centrer ces « exotismes » dans la musique et de me retrouver. Ainsi, j'ai tout de suite été très passionné par le piano, c'était un peu mon jouet, une sorte d'échappatoire. Par la suite, en grandissant, j'ai accepté ces différences et c'est devenu un avantage pour moi. Finalement, malgré mes origines, je me sens très français, car j'ai grandi à Paris, mais ces touches d'exotisme me poussent à aller chercher dans des répertoires peu connus et peu exploités. Par exemple, dans le programme de « Liszt and Americas », il y a Manuel María Ponce, qui est mexicain.

Le fait que j'ai cette origine latino-américaine m'aide aussi à sentir les rythmes locaux de façon naturelle et intuitive, et cela me demande moins de travail pour « monter » un programme avec les œuvres de compositeurs de ces pays. Je lis la partition, et je sens toute de suite le rythme et l'harmonie, c'est quelque chose qui jaillit spontanément en moi. Mais attention, cela ne veut pas dire que les Européens ne peuvent pas jouer cette musique !

RM : C'est aussi le cas pour la musique libanaise ?

SG : Un peu moins. Mais je connais cette culture, ces « couleurs et parfums orientaux », sans toutefois aller à l'extrême comme les micro-intervalles, car là, on entre dans une toute autre science. La plupart des compositeurs que j'ai joué à Aix vivent en France, car le Liban et la France ont eu une histoire très proche et beaucoup de musiciens libanais ont fui leur pays pendant la guerre civile pour la France afin de poursuivre leurs études et leurs carrières. Par conséquent, leurs œuvres se rapprochent plus de la musique occidentale que de la musique traditionnelle arabe. On retrouve parfois quelques parfums orientaux, mais pas plus que ceux que l'on peut entendre dans Schéhérazade de Ravel, le Concerto égyptien de Saint-Saëns ou autres. Ce sont donc plutôt des inspirations que d'autres tonalités.

Cette année, compte tenu de la situation très difficile au Moyen-Orient, le Festival de Baalbek au Liban, a été déplacé à Aix dans le cadre du Festival d'Aix-en-Provence. J'y ai interprété des oeuvres de compositeurs libanais, comme Béchara El-Khoury, dont les œuvres sont éditées chez Durand, de Naji Hakim, qui était l'organiste de l'Eglise de la Trinité, de Gabriel Yared, mais aussi d'Abdel Rahman El Bacha, qui est non seulement un grand interprète, d'origine libanaise, mais un compositeur ; il a joué lui-même ses propres compositions. C'était un grand honneur pour moi d'avoir pu partager le concert avec lui !

« Le programme « Liszt and Americas » tente de montrer le lien qui unissait le Hongrois et les Amériques.« 

RM : Aujourd'hui, de nombreux musiciens non-européens émergent et différents types de musiques se jouent de plus en plus en collaboration avec la musique classique. Que pensez-vous de cette « mondialisation » de la musique classique ?

SG : Nous avons une immense chance de pouvoir vivre dans un monde de plus en plus ouvert, grâce à l'accès à toutes sortes de technologies, notamment à l'internet, mais aussi aux voyages, donc, aux cultures différentes ; et avec une telle évolution, il est tout à fait normal, et c'est un grand privilège pour nous, d'assister à des dialogues entre des cultures. La musique peut favoriser cette réalisation.

RM : Vous avez joué cet été au Bard Music Festival avec l'American Symphony Orchestra, sous le thème de « Chávez and his world ». Pourriez-vous l'expliquer ?

SG : C'est un festival qui, tous les ans, est dédié à des compositeurs différents et aux influences autour de ces compositeurs. Cette année, il a été consacré au Mexicain Carlos Chávez. Pendant deux week-ends d'août, on a pu assister à deux à quatre concerts par jour qui dessinaient un portrait musical de Chávez. J'ai joué dans trois de ces concerts, notamment un récital « Chàvez and his parisian influence ». Il a étudié à Paris, où il a connu Stravinski, Dukas et d'autres compositeurs. J'y ai alors interprété Poulenc, Dukas, Stravinski, et Chávez. Dans un autre concert, avec des musiciens de l'orchestre, on a joué Varèse, Piazzolla, des musiques latino-américaines etc. C'était une programmation très intéressante.

RM : Quels sont vos projets ?

SG : J'espère bien que la tournée « Liszt and Americas », après le Carnegie Hall de New York en octobre 2015, le Kennedy Center de Washington D.C. en mars 2016 et la Philharmonie de Berlin en automne 2016, se terminera en France, à Paris, dans une grande salle. J'ai un grand espoir pour cela. Plus prochainement, je vais jouer dans le festival Lisztomanias, à Châteauroux, en octobre prochain, pour le thème « Liszt et musique russe », comme c'est l'année Scriabine cette année. Et un nouveau CD va sortir très prochainement.

Crédit photographique : © Jean-François Meler

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