Académie-Festival des Arcs : à fond la musique !
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Académie Festival de Musique des Arcs 9-VII au 2-VIII 2015
Éric Crambes, directeur artistique de l'Académie Festival des Arcs depuis 10 ans, aime à dire qu'il est né en même temps que le Festival (1973). C'est aussi dire que la manifestation fonctionne sur des rouages bien huilés.
Cette 42ème édition reçoit cette année quelque 180 étudiants- à qui sont proposés cours individuels, musique de chambre, ateliers et concerts – et une trentaine de Maîtres officiant chaque matin dans leur classe avant les répétitions pour le concert du soir. Et rappelons qu'aux Arcs tout est gratuit, concerts, conférences et rencontres offerts à un public bien fidélisé, avide d'émotion forte autant que de découverte.
Car au centre de la programmation, qui cette année s'intéresse à l'influence des sources populaires dans la musique écrite, Eric Crambes fait une large place à la musique d'aujourd'hui en invitant chaque année un compositeur en résidence durant les quinze jours du Festival. C'est Kryštof Mařátka qui est cette année aux Arcs, présent sur tous les fronts, de la Coupole (Arc 1600) où il répond aux questions du conférencier Maxime Kaprielian, au Centre Taillefer (Arc 1800) où une dizaine de ses oeuvres seront jouées. Pour parer aux distances, le compositeur a choisi de sillonner la station en VTT, affichant son indépendance, dans la vie comme dans son art!
Kryštof Mařátka, dans les pas de Janáček
Avec plus d'une corde à son arc, Kryštof Mařátka, Praguois d'origine, est compositeur et chef d'orchestre, pianiste, improvisateur et même réalisateur à ses heures. La projection de son film De ta vie, qu'il consacre à son père, éminent médecin et grand humaniste, (cf notre chronique en 2012) est au programme du festival.
Mařátka, arrive en France en 1994 pour élargir ses horizons de créateur et nourrir son imaginaire, sans cesser de questionner les sources de la musique, ses propres racines tchèques évidemment, mais bien au-delà. Comme son compatriote Leoš Janáček dont il poursuit « l'éthique sonore », Kryštof Mařátka s'intéresse aux fondamentaux de la musique: à travers les origines du langage parlé et des instruments des premiers âges, ceux du Paléolithique notamment, qu'il tente de faire revivre dans une oeuvre comme Vabeni (2012) pour choeur et orchestre, sous-titrée « Rituel des fossiles préhistoriques de l'homme ».
Si les oeuvres du compositeur en résidence, à l'affiche de cette 42ème édition, se limitent aux formations de chambre, on assiste pourtant à la répétition de son très étonnant Luminarium (2012), avec l'orchestre des étudiants, créé à cette occasion et dirigé par Pierre Roullier. L'oeuvre est un concerto pour clarinette – lumineux Philippe Carrara – qui va guider l'auditeur dans un voyage « autour de la terre ». Y cohabite en effet le langage sonore de multiples ethnies, Mařátka restituant avec un art de la couleur et une connaissance profonde de ces traditions, la musique de tous les continents: une manière bien à lui de manifester la diversité autant que l'unité du Monde.
Pour des raisons de logistique, Anthologies des rêves pour violon, violoncelle et piano, au programme du 26 juillet, est remplacé par deux pièces de moindre envergure: Poèmes pour violon et alto – complices Saskia et Karine Lethiec – et Kouznetsov sur un texte de l'écrivain russe Daniil Harms qui préfigure l'oeuvre en création donnée le lendemain. Commande du Festival passée à Mařátka, Le Mystère de Monsieur Rybka, tout comme Kouznetsov, est un mélodrame (musique et voix parlée) pour un comédien (et un) pianiste. Tourné vers le public et sans partition, le compositeur assume les deux rôles avec un naturel confondant. La Nouvelle du Tchèque Karel Čapel est moins noire que celle de Daniil Harms mais toute aussi kafkaienne: Monsieur Rybka s'interroge en effet sur la présence de traces de pas dans la neige mystérieusement interrompues au milieu de la rue… Mařátka aime le genre du mélodrame (il en a déjà écrit cinq!) et la proximité qu'il autorise avec le public, ce soir littéralement suspendu à la voix et aux gestes du performer. Quelques billes magnétiques placées dans les cordes du piano floutent délicieusement les sonorités instrumentales aussi suggestives qu'économes, ajoutant du mystère au mystère.
Idiome populaire et musique savante
La thématique 2015 permet d'ouvrir des perspectives presqu'infinies tant il est rare de voir un compositeur (Scriabine peut-être?) se priver des richesses du fond populaire, proche autant que lointain d'ailleurs. Ainsi est-ce le jazz qui titille Ravel dans sa Sonate pour violon et piano, stylisant un Blues dans le second mouvement. Au côté de la pianiste Éliane Reyes, irréprochable, Sarah Nemtanu – qui a rejoint cette année les Maîtres de l'Académie – en donne une version très enlevée mais un rien surjouée. Dans ce même concert qu'il termine en apothéose, le très célèbre Quatuor avec piano op.25 de Brahms réunit Richard Schmoucier (violon), Vinciane Béranger, (alto), Éric Levionnois, (violoncelle) et Jean-Michel Dayez, (piano). Si les trois premiers mouvements témoignent d'une veine mélodique superbe, au charme très viennois, le Rondo final « alla zingareze » trahit ses sources populaires, transcendées par le génie de Brahms et la qualité virtuose des quatre musiciens en parfaite synergie.(16/07)
Le lendemain, accompagnant la création de Mařátka, quatre pièces serrant de près la thématique, sollicitent autant de talents parmi les Maitres de l'Académie: l'altiste Vinciane Béranger est au côté d'Eric Levionnois dans les duos de Bartok, délicieuses miniatures inspirées des danses et chants du folklore Magyar que l'on redécouvre dans leur transcription pour alto et violoncelle. En duo toujours, sous les même archets zélés, les Bucolics de Witold Lutoslawski fleurent bon le terroir. Précédant l'incontournable Ouverture sur les thèmes juifs op.34 de Serge Prokoviev et sa pseudo clarinette Klezmer (impérial Gabriel Lellouch), c'est Schumann et ses 5 pièces dans un style populaire joués par Xavier Gagnepain et Jean-Michel Dayez qui témoignent de l'attachement génétique des compositeurs allemands à leur terre natale. (27/07)
Compositeurs méconnus et formations atypiques
Parmi les oeuvres hors thématique mais répondant au plaisir de la découverte, citons le Quintette avec flûte – remarquable Sandrine Tilly – de l'Allemand Friedrich Kuhlau (1786-1832) qui n'évite pas un certain académisme ou encore l'Andante et Scherzo du Français Robert Planel (1908-1984), charmante fantaisie champêtre néoclassique mettant en vedette les deux solistes, Frédéric Tardy (hautbois) et Julien Jardy (basson). Plus atypique et non moins remarquable, le quintette op.39 pour hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse de Serge Prokoviev est une oeuvre aux couleurs acidulées et aux nervures rythmiques toute stravinskiennes défendue avec âme par des interprètes très investis. (28/07)
Un concert bucolique
Chaque 28 juillet, date de la mort de Johann Sebastian Bach à Leipzig, interprètes et festivaliers investissent la Chapelle des Vernettes située à flanc de montagne à quelques kilomètres des Arcs: un véritable pèlerinage pour ceux qui font le voyage à pied! Au programme de l'après-midi, de 14h à 18h, les Sonates et Partitas pour violon, Suites pour violoncelle ou flûte, Sonates pour viole de gambe et autres oeuvres du Cantor résonnent sous la voûte de cette petite église bondée, sollicitant les formations les plus atypiques pour pallier le manque de clavier. Ainsi l'accordéoniste Bruno Maurice réalise-t-il la basse continue dans la troisième sonate pour viole de gambe donnée sous l'archet du violoncelliste Raphaël Chrétien. Saskia Lethiec (violon), Sandrine Tilly (flûte), Xavier Gagnepain (violoncelle) mais aussi Eric Crambes (violon) ou encore Pablo Marquez à la guitare accomplissent à tour de rôle les gestes du « rituel » dans une célébration fervente autant que bon enfant.
Crédits photographiques : (c) Pierre-Alexandre Pheulpin / Festival des Arcs
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