Il va sans dire que l'ère des réseaux sociaux apporte de nombreux bouleversement dans le rapport du public à la musique. En tête de pont, nous retrouvons le réseau de partage de vidéos YouTube. Outre le fait qu'il est une ressource d'archives essentielle pour la préservation du patrimoine musical (puisque tous les témoignages des grands musiciens du passé s'y retrouvent), il est un vecteur incontournable de visibilité, en particulier auprès des plus jeunes. Ainsi, selon une étude américaine de 2012, il était, pour deux tiers d'entre eux, le principal vecteur de découvertes et cela malgré le développement rapide des services de streaming. Dès lors, il est stratégique pour les musiciens classiques de s'y investir.
Tout d'abord, la visibilité internationale offerte peut être considérable. Même si tout le monde ne pourra pas égaler les millions de vues de la pianiste Valentina Lisitsa, star absolue du réseau social, les chiffres peuvent être impressionnants à l'image d'une captation du Requiem de Berlioz par l'Orchestre national de Lyon, qui a dépassé les 110.000 vues (on notera au passage que cette vidéo n'est même pas diffusée sur la chaîne officielle de l'orchestre, mais par le compte d'un particulier). C'est bien plus que les chiffres de vues de chefs comme Claudio Abbado, Leonard Bernstein ou Colin Davis !
Mais en dehors de cet aspect, la présence sur YouTube est éminemment stratégique car nombre de mélomanes et de professionnels débouchent rapidement, via les moteurs de recherche, sur YouTube et malheur à ceux qui n'y sont pas présents de manière optimale, c'est-à-dire avec des vidéos réalisées selon des critères professionnels d'image et de son. Certainement bien plus que les enregistrements (dont les chiffres de vente ne cessent d'être misérables), investir dans sa chaîne YouTube est un aspect essentiel pour un développement de carrière.
Dès lors, une carrière de musicien doit se construire par une stratégie 360° car comme nous dit Christian Thompson, en charge de l'Académie du Verbier Festival : « Le monde de la musique a complètement changé depuis 20 ans et un jeune musicien qui attend un coup de fil miraculeux de Carnegie Hall ou de la Philharmonie de Berlin pour lancer sa carrière a désormais tout faux !».
Aujourd'hui, le spectacle vivant est l'épine dorsale de la vie musicale, et c'est lui seul qui permet à la filière musicale de continuer à fonctionner. Le support physique CD ou DVD existe de moins en moins (et sans les artistes qui payent eux-même leurs productions, il serait mort depuis longtemps) alors que le streaming est tout sauf rémunérateur, et s'il est certain qu'il faut une présence sur YouTube, cela fait une tactique, pas une stratégie, et encore moins un revenu. En juin le géant Vivendi a racheté Dailymotion, « le YouTube français » à Orange, avec l'intention probable d'en faire une réponse à YouTube, et derrière lui à son propriétaire Google, dont le respect pour le droit d'auteur n'est pas le point fort. En attendant de savoir si Vivendi saura apporter une alternative protectrice des droits des créateurs et des interprètes et intéressante pour les amateurs de musique, une présence sur YouTube est désormais aussi importante qu'un grand prix international.
En attendant ces développements, nous vous invitons à lire les critiques des festivals de musique qui rendent la scène artistique si stimulante.