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Le pianiste tchèque est décédé à l'âge de 85 ans. C'était l'un des musiciens majeurs de notre époque, bien que fort discret et peu médiatisé. Il incarnait l'exigence musicale : l'anti bling-bling en quelque sorte.
Natif de Prague, Ivan Moravec découvre la musique auprès de son père, juriste et chanteur amateur. Son parcours est ensuite des plus classiques : premières leçons de piano à 7 ans, entrée au conservatoire de Prague à 15 ans, puis à l'université des Arts à 20 ans. Le grand Arturo Benedetti Michelangeli l'entend et l'invite à participer à ses classes de maître en Italie. Bien que remarqué pour son talent, le jeune Moravec est inconnu en dehors de son pays et la guerre froide n'arrange rien ! Pourtant le petit label américain Connoisseur Society parvient à négocier une ouverture du Rideau de fer et le jeune homme se rend aux États-Unis, enregistre quelques galettes et (en 1964) se produit avec le Cleveland Orchestra et George Szell. Sa carrière international semble lancée, mais le contexte politique revient au galop : Moravec est privé de sortie et son passeport lui est parfois confisqué ; il faut dire qu'en homme de convictions, il n'a jamais cherché à flatter les autorités. Dès lors, il se concentre sur l'enseignement, à Prague, et lors de classes de maître lorsqu'il est autorisé à quitter le pays. À l'inverse d'autres artistes, il ne fit pas de la chute du mur de Berlin une opportunité de carrière mondiale et il resta fort discret, toujours concentré sur la musique. La reconnaissance internationale arrivera tardivement : en 1999, la maison de disque Philips lui consacre l'un des volumes de son édition des Grands pianistes du XXe siècle, et en 2002 il reçoit le Prix pour l'ensemble de sa carrière des Cannes Classical Awards (désormais International Classical Music Awards).
Moravec était un pianiste hautement exigeant et méticuleux, au point de préparer lui-même les pianos sur lesquels il jouait. Son répertoire était plutôt limité ; dans un entretien à nos confrère de Gramophone, il déclarait : « la vie est si courte et je me suis concentré sur ce que je sens que je fais de mieux ». Outre les compositeurs tchèques, il fréquentait les grands classiques du répertoire : Mozart, Beethoven, Debussy, Ravel et surtout Chopin qu'il grava tout au long de sa carrière. Son enregistrement des Nocturnes (1965) est considéré comme l'un des meilleurs : le New York Times le classa même dans le top 5 des références du compositeur. Moravec était également l'un des plus grands interprètes de la musique de César Franck : ses gravures du Prélude, choral et fugue et des Variations symphoniques sont des références. On lui doit de nombreux enregistrements chez Vox, Dorian Records et surtout Supraphon qui possède la plupart de son legs.
Surnommé le « poète du piano », par son jeu délicat et subtil, il déclarait, en 2010, à la radio tchèque : « Ce qui est idéal pour l'état d'âme et la situation intérieure d'un musicien, c'est de jouer comme si l'œuvre était interprétée par quelqu'un d'autre. Il faut que vous flottiez dans la musique sans être dérangé par la technique, l'instrument ou par vos propres fautes. Si l'interprète est bien préparé, s'il n'est pas souffrant, si le public ne tousse pas trop, il peut lui arriver quelque chose qui ne lui est jamais venu à l'idée, comme un petit éclair au milieu de la nuit. C'est le rêve de chaque interprète. »