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Aix-en-Provence. Grand Théâtre de Provence. 5-VII-2015. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Iolanta, opéra en un acte sur un livret de Modest Tchaïkovski. Igor Stravinsky (1882-1971) : Perséphone, mélodrame en trois tableaux sur un poème d’André Gide. Mise en scène : Peter Sellars. Décors : George Tsypin. Costumes : Martin Pakledinaz, Helene Siebrits. Lumière James F. Ingalls. Avec : Ekaterina Scherbachenko, Iolanta ; Dmitry Ulyanov , René ; Maxim Aniskin, Robert ; Arnold Rutkowsky, Vaudémont ; Willard White, Ibn-Hakia ; Vasily Efimov, Alméric; Pavel Kudinov, Bertrand ; Diana Montague, Martha. Maria Bochmanova, Brigitta ; Karina Demurova, Laura. Dominique Blanc, Perséphone ; Paul Groves, Eumolpe ; Sathya Sam, Sodhachivy Chumvan, Chan Sithyka Khon, Narim Nam, danseurs. Chœur, maîtrise (chef de chœur : Bodhan Shved) et Orchestre National de Lyon, direction : Teodor Currentzis
Le Festival d'Aix-en-Provence propose une escale française à cette production Stravinsky/Tchaïkovski, créée en 2012 à Madrid, qui vient couronner l'édition 2015 du Festival.
Iolanta est le seul des 10 opéras de Tchaïkovski à connaître une fin heureuse. La veille de la première, dans la cour du presbytère, devant un public retenant son souffle, Peter Sellars raconte avec une empathie infinie qu'alors que son ultime héroïne, tombée dans la passion amoureuse, recouvre la vue, le compositeur, sous le coup d'une énième déception sentimentale, prépare son suicide. Le metteur en scène américain nous dit son enthousiasme pour cet opéra mal aimé et agité de thèmes essentiels : les retours de bâton du destin (Iolanta paie pour les fautes de son père dans le déni), le pouvoir des mots (seule la vérité sur son état pourra rendre la vue à Iolanta). Il décortique son originalité compositionnelle : son introduction confiée aux seuls vents, procédé que l'on ne retrouvera que dans le Sacre du printemps. D'où un couplage original avec l'encore plus méconnue Perséphone de Stravinsky, fasciné par son aîné en musique.
Révélé au monde par sa trilogie Mozart, Peter Sellars n'est plus un simple metteur en scène d'opéra. Ayant compris combien l'Opéra est le miroir du Monde, ses mises en scènes, de Saint François d'Assise à Tristan et Isolde, sont devenues des rituels. Lui-même n'hésite plus à employer le terme : ainsi son travail bouleversant sur les deux Passions de Bach avec Rattle à la Philharmonie de Berlin (sans décor, sans costumes et… sans partition) porte-t'il le qualificatif de « Ritualisation ». Son diptyque Iolanta/Perséphone s'inscrit aussi dans cette démarche qui emmène l'opéra dans la transcendance d'un monde plus haut. « Les êtres humains sont très intéressants et quand on s'intéresse à eux, ils sont encore plus intéressants», nous dit encore Sellars à Aix. Cela transpire à chaque instant d'une mise en scène où les visages, les corps, les mains, sont l'essentiel d'un travail où, comme dans la Vie, la lumière poursuit un incessant dialogue avec l'ombre.
Iolanta se déroule devant un encadrement simplissime de 4 portes surmontées de sculptures énigmatiques. Le même dispositif restera en place pour Perséphone, mais éclaboussé en arrière-plan de gigantesques toiles colorées coulissant entre Ciel et Terre. Dans Iolanta, prééminence est logiquement donnée à l'ombre (magnifique moment de pure lévitation à la hauteur du monologue sublime d'Ibn-Hakia, avec cet effet élémentaire d'éclairage de deux projecteurs tenus à bouts de bras). La lumière revenue légitimise l'ordre du couplage des deux œuvres : Perséphone, dont l'on aurait volontiers imaginé la fragile délicatesse en première partie, sera, avec son message pour l'avenir, la conclusion apaisante d'une soirée enthousiasmante. Sellars a retouché son travail, pourtant déjà disponible en DVD et primé d'une Clef de l'année de ResMusica, en offrant notamment une vraie vie au duo Robert/Vaudémont, qu'il fait fait passer de la prudente distance à la troublante étreinte.
La distribution madrilène se retrouve pour partie à Aix. La Iolanta émouvante d'Ekaterina Scherbachenko, anti-star toute de lumière intérieure. L'Ibn-Hakia envoûtant de Willard White. Le René majestueux de Dmitry Ulyanov. Les nouveaux venus sont intégrés avec bonheur : tant le Robert enflammé de Maxim Aniskin que le Vaudémont grisant d'Arnold Rutkowski ou encore Diana Montague dans les attentions de Martha. Les rôles secondaires sont parfaitement distribués. Dominique Blanc, bien que desservie par une sonorisation brumeuse, est la passeuse compassionnelle idéale du discours Gide/Stravinsky/Sellars. Paul Groves est, en Eumolpe comme toujours, impeccablement chantant. Éléments essentiels pour Perséphone, les trois danseurs de l'Amrita Performing Arts, dénichés à l'autre bout du monde par la curiosité du voyageur Sellars, nous font réaliser combien la marque de fabrique de son travail sur les mains vient probablement de là.
Teodor Currentzis dirige l'Orchestre de l'opéra national de Lyon et, en osmose totale avec le metteur en scène, délivre, comme il en est coutumier, une expérience musicale inoubliable qui culmine sur la stratosphère sonore de l'ajout choral a capella de l'Hymne des chérubins.
Cette Iolanta, qui parvient même à faire graviter l'excellent Chœur de l'Opéra de Lyon hors de la fosse où la programmation 2015 du Festival semblait l'avoir relégué, agit sur l'oreille du spectateur comme la médecine d'Ibn Hakia sur l'œuvre. Iolanta est enfin visible, enfin audible, et apparaît pour ce qu'il est : le chef d'oeuvre qui enthousiasma Mahler et Rachmaninov, le chant du cygne où Tchaïkovski, comme dans Eugène Onéguine, a mis le meilleur de lui-même.
Crédit photographique : © Pascal Victor
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