Alors que la saison des concours bat son plein de la Russie aux Etats-Unis, provoquant parfois des quiproquos inattendus comme lors de la dernière édition du Reine Elisabeth de Belgique, où une malencontreuse finalise coréenne crut entendre son nom à la place de celui de l’une de ses compatriotes, plusieurs constatations s’imposent.
Si l’omniprésence des candidats de l’Asie du Sud-Est n’est plus, loin s’en faut, un fait nouveau, un événement a attiré notre attention. Triomphatrice du dernier concours Reine Elisabeth, la coréenne Lim Ji Young (aussi lauréate des concours Henri Marteau et de Baltimore) est un pur produit de l’Université Nationale des Arts de Corée auprès de Nam Yun Kim. C’est sans aucun doute une bouleversement majeur qui démontre que les plaques tectoniques de la musique classique ne cessent de bouger. Le flot ininterrompu de jeunes étudiants asiatiques – Le CNSMD de Paris est composé de 40% d’étudiants asiatiques ! – qui peuplent les classes des très bons et moins bons conservatoires européens et américains pourrait bien se tarir car l’Asie est en passe d’égaler, en terme de formation musicale, les grandes écoles mondiales.
Ce n’est qu’une suite logique car il suffit de regarder les classements des institutions d’enseignement supérieur pour voir la fulgurante progression asiatique. Il est malencontreux de devoir écrire, qu’en dépit de belles individualités – le parcours de Lucas Debargue au Concours Tchaikovsky de Moscou – les candidats du Vieux-monde sont de plus en plus limités à de la figuration. Attention, il ne s’agit pas de dire que le niveau n’est plus bon…bien au contraire; mais force est de constater que les principes de l’éducation « à l’asiatique » (pour rappel il y a 30 millions d’apprentis pianistes en Chine) sont redoutablement efficaces…sans même évoquer que ces jeunes ne sont plus des monstres techniques impersonnels et froids mais de fins musiciens.
Mais il faut également s’interroger sur les exigences des concours au regard de l’évolution de la musique et de la société. Est-ce que l’on a seulement besoin de jeunes lauréats techniquement brillants à une époque où il faut sortir, plus que jamais, la musique de son carcan ? A défaut d’évaluer des actions comme : présenter une œuvre au public ou envisager une activité pédagogique, les concours devraient généraliser un coaching pour faire des jeunes vainqueurs des musiciens en phase avec leur époque. La notoriété du concours se déplacerait alors vers la capacité à aider un jeune musicien à se professionnaliser vers toutes les directions : de la gestion de la carrière à la communication vers les publics.
Les concours américains ont déjà mis en place des prémices à ce packaging global, et l’Asie toujours à l’affût d’innovation et d’efficacité ne manquera pas de suivre. Les concours européens, engoncés dans un prestige historique qui leur donne un dangereux sentiment de pérennité, peuvent encore réagir et se positionner sur la future scène mondiale. Il leur faudra une prise de conscience rapide, car le processus de déclassement est déjà amorcé.