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L’idée fixe de Bruno Mantovani en création mondiale à Radio France

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Paris. Auditorium de la Maison de la Radio. 22-V-2015. Igor Stravinski (1882-1971) : Quatre études pour orchestre ; Bruno Mantovani (né en 1974) : Symphonie n°1 « L’idée fixe » (CM) ; Luciano Berio (1925-2003) : Sinfonia pour huit voix et orchestre. Neue Vocalsolisten Stuttgart ; Orchestre Philharmonique de Radio France ; direction : Pascal Rophé

23-V-2015. Bruno Mantovani (né en 1974) : Streets pour ensemble ; Troisième Round pour saxophone et ensemble ; Benjamin Attahir (né en 1989) : Quartes blanches pour trois groupes instrumentaux (CM) ; Michael Jarrell (né en 1958) : Assonance V (Chaque jour n’est qu’une trêve…), concerto pour violoncelle et quatre groupes instrumentaux. Marc Coppey, violoncelle ; Vincent David, saxophone ; Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Bruno Mantovani

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pascal_ropheLa série des Cartes blanches de Radio France, initiée par en cette saison 2014-2015, serait-elle dans nos « Perspectives du XXIe siècle » à l'image de celles qu'avait conçues il y a quelques années de cela? On ne peut que l'espérer! Après Péter Eötvös et les compositeurs spectraux, carte blanche était donnée à exerçant, durant les trois concerts passionnants de ce grand week-end, ses dons inouïs de compositeur, chef d'orchestre et programmateur.

C'était pour lui l'occasion rêvée de s'entourer des interprètes et des compositeurs qu'il aime: car nombreuses sont les références, dans un catalogue qui compte désormais une centaines d'œuvres, à ses « bons Maîtres » qui nourrissent, activent et propulsent son inspiration, de Gesualdo à Boulez, en passant par Schumann, Berlioz, Liszt, Stravinsky…. Ainsi le compositeur du « Sacre » était-il convoqué à côte de Berio et sa Sinfonia pour accompagner en bonne intelligence la création très attendue de la Symphonie n°1, « L'idée fixe », commande passée à Mantovani par Radio France et… le Festival Berlioz!

C'est , défenseur émérite des œuvres de notre temps et fidèle interprète de la musique de Mantovani, qui était à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France lors du « grand soir ». Les Quatre études pour orchestre de Stravinsky (1930), quatre perles aussi brillantes que facétieuses, bien enlevées par les musiciens, constituaient une excellente « mise en bouche » pour ce palais très fin qu'est notre compositeur.

Avec sa Symphonie n°1 « L'idée fixe » (clin d'œil au commanditaire mais pas que!), Mantovani nous livre une œuvre-somme, son chef d'œuvre sans conteste dans la catégorie du grand format: orchestre par quatre et pupitre de percussions à la démesure de l'entreprise, avec ses trois grosses caisses, multiples claviers et autant de couleurs de bois et métaux dont se gorge une écriture orchestrale jubilatoire. « L'idée fixe » est ici synonyme d'obsession, celles des notes répétées qui tressaillent à tous les pupitres et confinent à une matière vibrante et saturée que le compositeur appelle de ses vœux.

Après une très belle entrée en matière, au temps lisse et à l'espace très déployé, le processus conducteur est activé jouant sur la répétition, les effets de déphasage spectaculaires et autant de ruptures qui diffèrent le climax et réamorcent l'énergie. Au mitan de l'œuvre, toute volupté cessante, c'est le quatuor à cordes seul qui tisse sa toile, obsessionnel et virtuose – magnifiques solistes du « Philhar » – longtemps avant d'être relayés par les différents pupitres de l'orchestre dans un superbe embrasement de l'espace. On sent ici le geste éminemment libre et risqué de l'improvisateur et le stratège virtuose qui conduit sa trajectoire avec une insolente maîtrise. Multipliant les fausses pistes, frustrant nos attentes, il est capable de nous surprendre toujours – ainsi cette autre pâte sonore traversée de souffle des dernières instants – et nous tient en haleine durant les trente minutes d'une musique boulimique mais toujours « sous contrôle ». Chef et musiciens éblouissants ce soir donnaient la pleine mesure de cette « Fantastique » toute mantovanienne.

Relayant les créateurs de l'œuvre – mythiques Swingle Singers – les Vocalsolisten de Stuttgart non moins célèbres investissaient le devant de la scène en seconde partie pour donner avec le « Philharmonique » Sinfonia de Berio. Dans cette œuvre emblématique des années 60, le compositeur italien travaille un matériau hétérogène pour accueillir, au sein d'un flux musical pluriel, toutes les ressources du sonore (voix parlée, chantée, orchestre) et ses différentes strates temporelles (collage, citations empruntées à divers lieux et temps). Ainsi son troisième mouvement, sommet de la partition, qui en compte cinq, fonctionne-t-il comme une sorte de palimpseste où Berio écrit une musique truffée de citations sur le Scherzo de la Symphonie n°2 de Mahler cité in extenso. Au chef, bien évidemment, de canaliser cette effervescence et de chercher une fluidité et la richesse d'un timbre résultant. Ce que l'on obtenait superbement sous la conduite subtile et efficace de – qui choisissait d'enchaîner les cinq mouvements quasi attacca – même si, de notre place, l'amplification des voix manquait de volume.

Bruno MantovaniMantovani dirige Mantovani

Sans baguette mais avec l'aisance et l'efficacité du geste, était le lendemain soir à la tête du même « Philhar » pour diriger deux de ses pièces côtoyant celles de son aîné, et de son cadet, le tout jeune à qui Radio France avait passé commande.

Le concert débutait de manière fulgurante avec les éclats multiples de Streets, une pièce de 2005 – dédiée à Pierre Boulez – qui, selon Mantovani, signale un tournant dans sa production. Partition exigeante, rehaussée d'une percussion musclée, elle déploie une palette de couleurs inouïes et dessine des trajectoires vertigineuses qui galvanisent les énergies. Les musiciens du « Philharmonique » intervenant souvent en solistes sont époustouflants.

Dédiée cette fois à et, pour la circonstance, baptisée Quartes blanches, la pièce de était donnée en création mondiale. La pièce joue davantage sur la transparence des textures et sollicite un dispositif instrumental spécifique avec, en fond de scène, un piano et un clavecin. Si la trajectoire semble un brin sinueuse, incluant une section jazz finale, la plasticité du matériau et les alliages de timbres relèvent d'une virtuosité de l'orchestration et d'un foisonnement d'idées qui stimulent l'écoute et nous immergent dans un univers singulier.

Les deux dernières œuvres faisaient appel à des solistes: Assonance V (Chaque jour n'est qu'une trêve…) de convoque le violoncelle – celui de – autour duquel se dispose les instruments spatialisés. Une image spectrale somptueuse est ainsi déployée par l'orchestre sur les premières notes du violoncelle. Souvent submergé par le tutti et une matière sonore incandescente, l'instrument soliste est mis en valeur à travers deux cadences très éloquentes dont , impérial, confère l'envergure et le relief. Le titre de cette œuvre onirique autant que poétique fait référence à l'essai du Suédois Stig Dagermann « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier »: tout un programme!

L'alignement sur le devant de la scène des quatre saxophones rutilants de , instigateur et créateur de Troisième Round, présageait le geste hors norme dispensé par le soliste. Mantovani aime la virtuosité, gage d'énergie et de dépassement. La prestation de n'est rien moins qu'éblouissante au sein d'une œuvre où l'orchestre répercute le jeu du saxophoniste, engendrant toutes sortes d'associations timbriques originales que Mantovani détaille avec gourmandise. Les nervures rythmiques du jazz sont un trait de « jeunesse » – l'œuvre date de 2001 ! – abandonnées aujourd'hui par le compositeur. Troisième Round ne pouvait terminer plus brillamment ce week-end très turbulent.

Crédits photographiques : P.Rophé (c) B.Ealovega ;  Bruno Mantovani (c) C. Bastien

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