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Alan Gilbert, directeur musical de l'Orchestre philharmonique de New York, sera en tournée en Europe à la fin Avril. Comme d'habitude, le chef américain va mener des programmes non conventionnels, de Ravel à une première mondiale de Péter Eötvös. Alan Gilbert, l'un des chefs les plus polyvalents de notre temps, répond aux questions de ResMusica.
« De nos jours, les musiciens et les institutions musicales dans leur ensemble ont besoin d'une relation orchestre-chef qui est différente de ce qui était la norme il y a encore vingt ans. En fait, je pense que le modèle autocratique, n'était même pas optimal au moment où il était répandu »
ResMusica: Cette année, vous serez en tournée avec quelques chefs-d'œuvre du XXe siècle. Pourquoi avez-vous choisi ce programme ?
Alan Gilbert: La chose la plus importante pour nous est de jouer de la musique à laquelle nous croyons, que ce soit un chef-d'œuvre du passé ou une première mondiale. Nous programmons des créations, non par obligation, mais parce que nous le voulons ! Cela dit, je crois en l'importance absolue d'aider les compositeurs d'aujourd'hui, parce les compositeurs sont les vrais héros de la musique.
RM : Vous allez donner une première mondiale de Péter Eötvös à Cologne. Pouvez-vous expliquer ce projet ?
AG : La réponse est simple : la salle de concert de Cologne nous a demandé de présenter une première mondiale et nous avons été très honorés de cette requête. Ce qui signifie que ce que nous avons fait à New York, en mélangeant les créations et le répertoire, est maintenant considéré comme «normal» dans le meilleur sens du terme, et que les gens à l'étranger ont remarqué que soutenir le travail des compositeurs contemporains est devenue une partie de l'identité actuelle de l'Orchestre. Il est extrêmement gratifiant d'être en mesure de montrer la plénitude de notre personnalité comme une force culturelle et artistique sur cette tournée. L'idée de proposer cette pièce de Péter Eötvös a été suggérée par le regretté Henri Dutilleux lorsqu'il a reçu le premier prix Marie-Josée Kravis for New Music. Il a décidé de le partager avec d'autres compositeurs, il nous a aidé à sélectionner ceux qui nous paraissaient incontournables. Lorsque KölnMusik nous a demandé de donner une première mondiale, nous avons mentionné cette pièce et décidé de collaborer ensemble sur cette création.
RM: Votre programmation et vos initiatives ont été chaleureusement accueillies. Dans le New Yorker, un journaliste vous compare à Pierre Boulez, ancien directeur musical de l'orchestre et aussi programmateur aventureux. Comment ressentez-vous cette comparaison ?
AG : Pierre Boulez est l'un des musiciens les plus éminents du monde et il est une vraie force de progrès tout au long du XXe siècle et au XXIe siècle. C'est un honneur d'être comparé à lui, car il est un de mes héros. J'admire vraiment son intransigeance et sa persévérance envers ce qu'il croyait juste, malgré la résistance qu'il a rencontré. Il a commencé à tracer des chemins qui ont rendu possible des projets innovants. Ces projets se sont ensuite diffusés à travers le monde et se sont banalisés.
RM : Vous avez lancé de nombreuses initiatives, telles que » Philharmonic 360° ». Pensez-vous qu'au XXIe siècle, le directeur musical du New York Philharmonic doit lui même avoir une stratégie 360° ? En d'autres termes, doit-il être quelqu'un qui non seulement dirige l'orchestre, mais qui s'affirme également comme un concepteur d'idées ?
AG : Oui ! Un leader doit offrir un flux constant de pensées visionnaires pour galvaniser l'environnement. Cela, autant au sein de l'orchestre que dans la façon dont il est perçu de l'extérieur, dans l'optique de maximiser l'espoir que quelque chose d'important se passe. Mais, les idées ne signifient absolument rien jusqu'à ce qu'elles soient réalisées. À la fin d'une journée, vous pouvez être satisfait uniquement si vous êtes en mesure de présenter concrètement la réalisation de vos idées…Si elles restent seulement à l'état de concepts, elles ne servent à rien !
RM : Pendant votre mandat, l'orchestre est devenu beaucoup plus jeune, avec le recrutement de nouveaux musiciens pour remplacer les départs à la retraite. Comment avez-vous géré cette transition?
AG : C'est un fait : les musiciens d'orchestre prennent leur retraite et nous devons les remplacer. Nous organisons des auditions et nous engageons les meilleurs musiciens que nous rencontrons.
RM : Vous avez succédé à la tête du New York Philharmonic à de grandes figures comme Kurt Masur et Lorin Maazel. Ils étaient de très grands chefs, mais ils étaient aussi des musiciens du XXe siècle, à une époque où le chef d'orchestre était intimidant. Vous avez l'image d'un musicien qui est très agréable et modeste. La «cool attitude» est-elle une partie de l'identité du XXIe siècle ?
AG : De nos jours, les musiciens et les institutions musicales dans leur ensemble ont besoin d'une relation orchestre-chef qui est différente de ce qui était la norme il y a encore vingt ans. En fait, je pense que le modèle autocratique, n'était même pas optimal à l'époque où il était répandu.
RM: Vous avez lancé une série de concerts disponibles en téléchargement sur iTunes. Comment cette idée est-elle née? Quelle a été la réponse du public international ?
AG : Je suis fier de notre série de téléchargements, en termes de choix de musiques que nous avons mise à disposition du public, de la qualité des prestations de l'Orchestre et de la qualité audiophile des enregistrements. C'est une réalisation remarquable, dont tous les participants peuvent être fiers. C'était important de rendre nos concerts disponibles dans le format que les gens utilisent aujourd'hui. Le téléchargement nous permet également d'avoir le contrôle sur la totalité de la chaîne de production : de la sélection du répertoire, en passant par la production jusqu'à la diffusion des enregistrements. C'était une étape naturelle pour notre présence sur les différents vecteurs médiatiques et technologiques. Combinée avec notre série auto-produite pour la radio, cette diffusion via Itunes et aussi par d'autres façons de distribuer numériquement nos concerts, nous arrivons à environ 50 millions de personnes dans le monde !
RM: Avec le NY Phil, vous avez dirigé et enregistré un cycle complet Nielsen. Pouvez-vous nous parler de vos liens avec ce compositeur ?
AG: Mes années en Suède, auprès de l'Orchestre philharmonique royal de Stockholm, m'ont apporté un goût pour la musique scandinave. J'ai appris à l'aimer et à comprendre sa gamme incroyable de nuances et de styles. Je crois que beaucoup de gens ne pensent qu'à Sibelius et Grieg, et maintenant, je l'espère, à Nielsen. Nielsen est un vrai maître, et sa musique occupe une place importante dans mon cœur. Il sort d'une forte tradition symphonique germanique – J‘ ai souvent couplé sa musique avec celle de Beethoven – mais sa musique est distinctement danoise, avec une arête escarpée iconoclaste. Le fait que la musique de Nielsen a eu tendance à être négligée, certainement par rapport aux œuvres de Sibelius, m'a toujours déconcerté.
RM : Malgré de multiples efforts, Nielsen est encore marginalisé dans les pays francophones. De quelle façon convaincre d'écouter sa musique ?
AG : La musique de Nielsen est incroyablement accessible et belle. Elle est brillamment écrite pour l'orchestre. Si vous êtes familier avec la forme symphonique, cette musique est immédiatement convaincante. De mes expériences, les spectateurs sont immédiatement séduits par sa musique. Une réponse que j'ai souvent entendu du public est: «Pourquoi n'entend-on pas plus souvent ces symphonies ? » N'oublions pas que Sibelius n'était pas si bien connu jusqu'à il y a 30-40 ans, quand les musiciens (Leonard Bernstein par exemple) ont commencé à plaider pour lui. Le temps de Nielsen est venu, et il ne me surprendrait pas que de plus en plus de gens commencent à le considérer comme un symphoniste encore plus grand que Sibelius – Ce n'est pas peu dire!
RM : Lorsque vous avez commencé votre carrière comme chef d'orchestre, vous étiez directeur musical de l'Opéra de Santa Fe. Depuis lors, l'opéra est devenu une petite partie de vos activités. Est-ce que la fosse ne vous manque pas trop ?
AG : C' est vrai, j'ai passé moins de temps à l'opéra et cela me manque. J'ai adoré diriger Don Giovanni au MET cet hiver et j'ai savouré cette occasion. Cependant, au cours de mon mandat à la Philharmonie de New York, j'ai vraiment apprécié les opportunités que nous avons eues pour présenter des mises en scène d'opéras pour des œuvres comme Le Grand Macabre de Ligeti, La Petite Renarde rusée de Janáček, et le Finale de l'Acte 1 de Don Giovanni -comme partie de nos projets « Philharmonic 360° ». C'était de merveilleuses occasions de proposer ces partitions dans des mises en scènes imaginatives et remarquables.
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