Pièces pour clavecin de Rameau avec Bertrand Cuiller

Le claveciniste Bertrand Cuiller propose aujourd'hui sa nouvelle lecture des pièces pour clavecin seul de Rameau. À l'aune de la redécouverte récente des grands ouvrages lyriques du Dijonnais, c'est avec une nouvelle écoute qu'on entend des pièces qu'on croyait connaître par cœur.

Si les dernières décennies ont vu la familiarisation du public avec les grands ouvrages lyriques de Rameau, désormais plus ou moins admis au répertoire, la musique instrumentale du grand compositeur dijonnais semble avoir été quelque peu négligée ces derniers temps. De fait, les grandes intégrales relativement récentes des pièces pour clavecin seul, signées d'artistes aussi éminents que Olivier Beaumont, William Christie, Kenneth Gilbert, Trevor Pinnock, Noëlle Spieth, Scott Ross, Christophe Rousset – pour ne pas parler de celles des Huguette Dreyfus et Blandine Verlet du passé – remontent toutes à au moins vingt ou trente ans. Il était donc temps qu'un claveciniste d'envergure relève le gant et propose une nouvelle lecture d'un répertoire qui gagne à chaque fois à être réentendu et redécouvert. C'est aujourd'hui chose faite avec ce double album de Bertrand Cuiller, qui permet d'écouter en 150 minutes l'intégrale de la musique de clavecin de Rameau pour l'essentiel écrite avant les grands opéras de la maturité. L'album excluant les transcriptions d'airs et de danses extraites des opéras, dont Rameau était lui-même friand, ces deux CD nous donnent à entendre un condensé de « Rameau avant Rameau » en quelque sorte, la carrière lyrique du compositeur n'ayant réellement démarré qu'en 1733 avec sa tragédie-lyrique Hyppolite et Aricie.

La présentation chronologique choisie sur cet album permet de se faire une idée assez précise de l'évolution de l'écriture du maître sur une vingtaine d'années, et d'évaluer le chemin parcouru entre les pièces de 1706, encore marquées par la tradition imprimée par Louis Couperin ou D'Anglebert, et la théâtralité assumée des morceaux plus tardifs. En effet, quel chemin parcouru entre le caractère encore solennel des suites de danse héritées du Grand Siècle, et l'expression déjà plus détendue, sensuelle et intimiste des pièces de caractère extraites des recueils des années 1720 ! Autant à l'aise dans la subtile énergie et la richesse rythmique des mouvements dansés que dans la savante architecture rhétorique des pièces de caractère, Bertrand Cuiller est aujourd'hui l'interprète idéal de ces pièces, dont il restitue non seulement l'incroyable richesse harmonique et mélodique mais également l'inénarrable espièglerie tragique caractéristique de cette partie assez énigmatique du dix-huitième siècle, plus tout à fait marquée par la rigidité spécifique à la fin du règne de Louis XIV, mais pas encore imprimée de la légèreté et de la frivolité qu'on associe généralement à celui de Louis XV.

Un album qu'on passera en boucle, pour mieux se délecter de ses ineffables beautés.