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Lausanne. Opéra de Lausanne. 11-II-2015. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en 3 actes sur un livret de Francesco Maria Piave d’après La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas. Mise en scène : Jean-Louis Grinda reprise par Vanessa d’Ayral de Sérignac. Décors : Ruby Saboughi. Costumes : Jorge Jara. Lumières : Laurent Castaingt. Chorégraphie : Eugénie Andrin. Avec : Olga Peretyatko, Violetta Valéry ; Ismael Jordi, Alfredo Germont ; Roberto Frontali, Giorgio Germont ; Marie Karall, Floria Bervoix; Karine Mkrtchyan, Annina ; Jérémie Brocard, Dr. Grenvil ; Pablo Garcìa López, Gastone ; Sacha Michon, Barone Douphol ; Patrice Berger, Marchese d’Obigny ; Pier-Yves Têtu, Giuseppe ; Florent Blaser, un commissaire ; Jean-Raphaël Lavandier, un domestique. Chœur de l’Opéra de Lausanne (direction : Salvo Sgrò) ; Orchestre de Chambre de Lausanne, direction : Corrado Rovaris.
L'émouvante production de La Traviata de Giuseppe Verdi à l'Opéra de Lausanne révèle la naissance d'une des plus grandes interprètes du rôle de ces prochaines années.
Avec La Traviata, le théâtre et la musique sont si intimement soudés qu'il est rare de réunir la synthèse des deux arts. Dans cette intrigue se déroulant sur une période de plusieurs mois, on passe des soirées festives organisées par Violetta Valéry, l'étoile parisienne de la bonne société, à son renoncement à ces plaisirs pour vivre son amour vrai avec le fougueux étudiant Alfredo Germont. Puis, on passe du sacrifice de l'amour de Violetta devant les impératifs sociaux de la famille de son amant jusqu'aux nécessités matérielles de sa survie avec sa séduction courtisane. Et de l'humiliation de la société bien pensante jusqu'à la retrouvaille des amants sur le lit de mort de Violetta.
Dans sa mise en scène, Jean-Louis Grinda explore bien ces couleurs et ces ambiances. Il construit avec talent chaque épisode de cette extraordinaire histoire d'amour. De la brillance superficielle du début de La Traviata, il conduit peu à peu sa mise en scène vers les abîmes de la passion amoureuse, jusqu'à la déchéance physique et la mort. Une scène résume admirablement son propos. Dans la fameuse bacchanale, une danseuse tourne autour des convives de la maison de jeux puis, chahutée, elle est bientôt avilie, arrosée de champagne et abandonnée à terre. Suprême humiliation, un invité lui jette quelques billets de banque. S'enfuyant, elle monte en rasant le mur d'un escalier que descend Violetta qui la dévisage, croisant là les prémices de sa destinée.
Une très grande Violetta
Mais, tant de situations, tant d'atmosphères, de climats, sont aussi dans la musique de Verdi et les mots de Francesco Maria Piave. Ce kaléidoscope de conjonctures sollicite l'investissement vocal total du rôle-titre. Violetta Valéry est un soprano coloratura d'agilité pour les ambiances festives (et les périlleuses vocalises) de son insouciante jeunesse, puis un soprano lyrique pour la sincérité de son amour pour Alfredo et enfin, un soprano dramatique pour la rupture et son agonie. Trois voix de sopranos dans le corps d'une même personne. Un rêve presque irréalisable qui oblige l'amateur à assister à toutes les productions de La Traviata pour être présent si ce miracle devait se produire !
A Lausanne, Olga Peretyatko débute dans ce rôle mythique. Et quelle prise de rôle ! Partie dans une relative retenue, sans que la brillance vocale ne soit jamais absente, elle façonne son interprétation pas à pas pour terminer l'œuvre verdienne au sommet de l'émotion. Dans l'explosion subliminale des dernières scènes, on réalise à quel point la soprano russe domine l'entier du personnage. Avec une dose gigantesque de génie interprétatif dont Olga Peretyatko se couvre au-delà de ce que l'histoire du rôle laisse dans la mémoire de tout lyricomane. Elle s'avère une grande, une très grande Traviata. Belle, elle a la beauté et la jeunesse de Violetta Valéry. Actrice, elle donne au personnage juste ce qu'il faut pour habiter la scène de sa présence. Soprano, elle a dans sa voix ample, chaude et claire tous les accents du personnage voulu par Verdi. Et que celui qui n'a pas eu des larmes, ou d'énormes bouffées d'émotion lorsqu'elle lance son « Gioire ! » au premier acte, son « Amami, Alfredo ! » au second et son « Addio del passato » au dernier acte avoue son insensibilité coupable au message artistique de cette grande dame !
D'inoubliables moments d'opéra
Une si grande dame, qu'elle sublime le ténor Ismael Jordi, en Alfredo, qui trouve ici une scène capable de lui offrir la possibilité d'étaler la palette d'une voix qui, si on en sent les limites de la puissance, est d'une qualité expressive tout simplement exceptionnelle. La rage qu'il déverse dans son « Ogni suo aver tal femmina » ou l'humanité profonde qu'il déploie dans son « Parigi, o cara ! » sont d'une authenticité telle qu'on en vient à espérer que ce couple sorte vainqueur du destin inexorable qui l'attend. Tout au long de l'opéra, Alfredo ne quitte pas des yeux sa Violetta. Un magnifique théâtre d'amour authentique !
A leurs côtés, l'autorité brusque de Giorgio Germont (Roberto Frontali à la voix claire et sonore) contraste avec la douceur des propos amoureux. On aurait apprécié un peu plus de douceur compassionnelle dans son « Piangi, piangi, o misera » après l'émouvant « Dite alla giovine » de Violetta. Cependant, on a aimé qu'après le difficile air « Di Provenza il mar », Roberto Frontali chante la cabaletta « Dunque invano trovato t'avrò », indispensables versets pour la compréhension de la soudaine fuite d'Alfredo pour rejoindre Violetta.
Quelques imprécisions du chef Corrado Rovaris n'arrangent rien à un Orchestre de Chambre de Lausanne un peu décevant avec des cordes souvent acides, des nuances d'orchestre peu convaincantes sans parler de quelques douteuses interventions des bois. Cependant reconnaissons qu'avec l'intensité artistique entraînante du plateau, l'orchestre et son chef se sont pliés au jeu de l'émotion pour terminer cette Traviata en pleine symbiose.
Quand le rideau tombe sur la mort de Violetta, passées les quelques secondes d'émotions silencieuses, le théâtre explose. Le public lausannois ne retient plus son enthousiasme. L'ovation réservée aux protagonistes de cette soirée est digne de celle des plus fameux délires que certains enregistrements live de scènes lyriques ont conservés. Depuis plus de quinze ans que votre serviteur suit les productions de l'Opéra de Lausanne, jamais il n'avait entendu une telle avalanche d'applaudissements.
Crédits photographiques © M.Vanappelghem / Opéra de Lausanne
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Lausanne. Opéra de Lausanne. 11-II-2015. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en 3 actes sur un livret de Francesco Maria Piave d’après La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas. Mise en scène : Jean-Louis Grinda reprise par Vanessa d’Ayral de Sérignac. Décors : Ruby Saboughi. Costumes : Jorge Jara. Lumières : Laurent Castaingt. Chorégraphie : Eugénie Andrin. Avec : Olga Peretyatko, Violetta Valéry ; Ismael Jordi, Alfredo Germont ; Roberto Frontali, Giorgio Germont ; Marie Karall, Floria Bervoix; Karine Mkrtchyan, Annina ; Jérémie Brocard, Dr. Grenvil ; Pablo Garcìa López, Gastone ; Sacha Michon, Barone Douphol ; Patrice Berger, Marchese d’Obigny ; Pier-Yves Têtu, Giuseppe ; Florent Blaser, un commissaire ; Jean-Raphaël Lavandier, un domestique. Chœur de l’Opéra de Lausanne (direction : Salvo Sgrò) ; Orchestre de Chambre de Lausanne, direction : Corrado Rovaris.
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