L’univers poétique et éblouissant de Scriabine chez Actes Sud/Classica
La collection Actes Sud/Classica vient de s'enrichir d'un huitième volume consacré aux musiciens russes. Louons l'excellente décision de présenter la vie et l'œuvre d'Alexandre Scriabine né à Moscou en 1872 et décédé en 1915 dans sa ville natale.
L'auteur, Jean-Yves Clément, auteur du Liszt paru dans cette même série, signe un texte remarquable de précision et de concision quant aux épisodes de l'existence du maître russe et une brillante synthèse à propos de chacune ou presque des nombreuses pièces pour piano et des majestueuses et sensuelles partitions dévolues à l'orchestre. Tout en défendant avec passion l'esthétique de Scriabine, il n'hésite pas à écarter d'un revers de main les partitions lui paraissant faibles et insuffisantes.
La lecture du premier chapitre intitulé « Prélude à l'ivresse », magistral, constitue un authentique modèle de présentation, de synthèse et d'éveil de la curiosité impérieuse d'en savoir bien davantage, ce que les chapitres suivants ne manquent pas de satisfaire. Personnage complexe, curieux, hypersensible sinon torturé, sa démarche et son credo se trouvent inclus dans la citation de Paul Claudel imprimée en début d'ouvrage : « Il ne faut pas comprendre, mon pauvre monsieur ! Il faut perdre connaissance. »
Bien évidemment la parenté avec l'esthétique et l'univers de Chopin est habilement soulignée, son éloignement également, lorsqu'il en vient à explorer des mondes nouveaux. Son passage du meilleur romantisme russe aux paysages inconnus, originaux, puissants, voire révolutionnaires se dessinent peu à peu sous nos yeux (l'idéal serait de coupler la lecture avec l'écoute des œuvres dont il existe de nombreux enregistrements). Miniaturiste génial au piano où il respire le plus librement du monde, il n'en développe pas moins de fascinantes fresques orchestrales. Lui aussi, musicien à la charnière entre deux mondes, il parvient à repousser les limites de chacun d'eux. Plus tard, ses recherches sur les correspondances entre musique et couleur, sa découverte de la théosophie, sa progression vers une musique quasiment liturgique exigent de la part du lecteur et de l'auditeur, une réelle capacité d'adaptation. Jean-Yves Clément sort hautement vainqueur de ces métamorphoses. Souhaitons que son ouvrage, indispensable, gagne à la cause d'Alexandre Scriabine, de nombreux mélomanes que son génial parcours justifie amplement.
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Alexandre Scriabine. Jean-Yves Clément. Actes Sud/Classica. 194 pages. 18 €. 2015
Actes Sud