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Stuttgart. Opéra. 1.II.2015. Leoš Janáček (1854-1928) : Jenůfa, opéra en trois actes tiré de la vie populaire morave sur un livret du compositeur d’après une pièce de Gabriela Preissová. Mise en scène : Calixto Bieito ; décors : Susanne Gschwender d’après des esquisses de Gideon Davey ; costumes : Ingo Krügler. Avec : Renate Behle (Grand-mère Buryja) ; Pavel Černoch (Laca Klemen) ; Gergely Németi (Števa Buryja) ; Angela Denoke (La sacristine) ; Rebecca von Lipinski (Jenůfa) ; Mark Munkittrick (Le contremaître) ; Yuko Kakuta (Jano)… Chœur de l’Opéra National de Stuttgart (chef de chœur : Christoph Heil) ; Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction : Sylvain Cambreling.
Calixto Bieito, quand il est inspiré, comme c'est le cas ici, sait raconter l'histoire des petites gens avec une empathie et une intelligence du détail que peu possèdent comme lui, et la prise de rôle d'Angela Denoke est la meilleure justification de la reprise de cette production de 2007.
On ne va pas à l'Opéra de Stuttgart pour voir et entendre la même chose que ce qui circule partout ailleurs. Ce qui a fait la force de la maison, depuis les quinze années (1991-2006) où elle a été dirigée par Klaus Zehelein, la maison a fait de l'exigence scénique sa marque de fabrique, ce qui lui a valu de nombreuses récompenses. Créée sous son successeur Albrecht Puhlmann et reprise aujourd'hui par l'actuel intendant Jossi Wieler, la production de Jenůfa par Calixto Bieito en 2007 remplit parfaitement ce cahier des charges. Faute de l'avoir vue alors, nous ne pouvons juger de la fidélité du spectacle de ce soir à cette conception initiale ; mais la force exceptionnelle qui se dégage de cette reprise est bien conforme à ce qu'on espère des meilleures productions de Bieito – il faut ici féliciter ceux qui ont réalisé cette reprise.
Mais cette reprise est aussi l'occasion idéale pour rappeler que la qualité scénique n'est pas exclusive de la qualité musicale : une des meilleures justifications de cette reprise est en effet la prise de rôle d'Angela Denoke, longtemps interprète de rêve du rôle-titre, dans celui de la terrible Sacristine. La chanteuse nous avait confié, à l'été 2011, son souhait de franchir ce cap : elle le fait naturellement avec une grande intelligence, mais surtout avec une voix rayonnante de santé. On a pu admirer des Sacristines en fin de carrière, utilisant à merveille les restes de leur voix pour une expressivité très prenante, mais cette prise de rôle est une révélation : on y découvre une femme ardente, amère peut-être mais passionnée, et on y redécouvre l'incroyable raffinement de l'écriture vocale de Janáček, son sens de l'inflexion orale qui en dit plus que les pauvres mots des personnages. Cette sacristine a une âme, elle n'est jamais un monstre, elle a même des moments d'épanchement d'une poésie inouïe.
Angela Denoke n'est pourtant pas seule, et heureusement. Certes, Gergely Németi est trop entier et sommaire pour Števa, et Pavel Černoch, qui a souvent chanté Števa et d'autres rôles majeurs chez Janáček, n'a pas encore tout à fait trouvé ses marques en Laca – il est vrai que ces deux rôles pâtissent particulièrement du volume sonore très généreux donné à l'orchestre par Sylvain Cambreling, dont la direction est cela dit d'une chaleur et d'une beauté sonore souvent à couper le souffle. Mais l'Anglaise Rebecca von Lipinski, membre de la troupe de Stuttgart, dissipe tous les doutes qu'avaient pu entretenir de précédentes prestations et livre une interprétation poignante et naturelle du rôle titre. La voix est brillante, mais l'incarnation scénique tout autant : la belle blonde libre et – malgré tout – gaie du premier acte devient après l'entracte une femme marquée par son destin, le visage sombre, le regard fixe.
Mais la mise en scène de Calixto Bieito, qui remplace le moulin prévu dans le livret par une usine qui écrase tout autant l'âme des personnages, donne peut-être le plus beau rôle à la Sacristine, ce qui la rend idéale pour Angela Denoke. Point de vieille femme ici, on l'aura compris ; les relations avec sa belle-fille n'en sont que plus troubles : le meurtre de l'enfant au 2e acte s'éclaire ainsi par une frustration de maternité qui la dévore. La scène de meurtre, on n'en sera pas surpris, est presque insoutenable, mais sa violence est tout sauf gratuite. Bieito sans inspiration use et abuse du sang et de la violence ; Bieito inspiré, comme ici, sait raconter l'histoire de ces petites gens avec une empathie et une intelligence du détail que peu possèdent comme lui.
Crédit photographique : © Oper Stuttgart, A. T. Schaefer
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Stuttgart. Opéra. 1.II.2015. Leoš Janáček (1854-1928) : Jenůfa, opéra en trois actes tiré de la vie populaire morave sur un livret du compositeur d’après une pièce de Gabriela Preissová. Mise en scène : Calixto Bieito ; décors : Susanne Gschwender d’après des esquisses de Gideon Davey ; costumes : Ingo Krügler. Avec : Renate Behle (Grand-mère Buryja) ; Pavel Černoch (Laca Klemen) ; Gergely Németi (Števa Buryja) ; Angela Denoke (La sacristine) ; Rebecca von Lipinski (Jenůfa) ; Mark Munkittrick (Le contremaître) ; Yuko Kakuta (Jano)… Chœur de l’Opéra National de Stuttgart (chef de chœur : Christoph Heil) ; Orchestre de l’Opéra d’État de Bavière ; direction : Sylvain Cambreling.