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Krzysztof Penderecki est le compositeur vivant le plus joué dans le monde. En plus de composer et de diriger, il est également l'initiateur d'un centre qui porte son nom. Ce centre met l'accent sur les jeunes artistes.
« Chaque artiste est porteur d'une certaine façon de voir le monde, car le rapport à la musique est profondément une question d'identité »
ResMusica : Pouvez-vous nous présenter ce Centre qui porte votre nom ?
Krzysztof Penderecki : Cet endroit est né d'une idée que j'ai eue il y a longtemps, quelque vingt ou trente ans. Après avoir rénové mon manoir et créé mon Arboretum, j'ai voulu aller plus loin. Mais le parcours a été très difficile, surtout pour trouver les financements. Ce fut impossible tant que la Pologne n'était pas dans l'UE, car le projet était très ambitieux. L'idée était celle d'un centre destiné à la formation des jeunes musiciens, même très jeunes, pourvu qu'ils soient doués. Et de fait, quand le centre est entré en activité, on s'est rendu compte que la demande existait. En vérité, il n'y a pas beaucoup d'endroit de ce genre. On pourrait le comparer à une sorte de campus universitaire, comme il en existe aux Etats-Unis. En revanche, le Centre ne forme pas à la composition, qui nécessite des années de travail. Il est fait pour les instrumentistes, ce qui m'intéresse davantage.
RM : Dans le cadre de votre projet « Penderecki par Penderecki », vous dirigez un orchestre de jeunes, la Sinfonia Juventus Orchestra : quel est le sens d'une telle démarche ?
KP : J'ai en effet décidé d'enregistrer l'intégralité de mes œuvres et j'en suis à présent aux concertos solos. Avec l'Orchestre National de Pologne, j'enregistre les oratorios et avec le Sinfonia Varsovia, les œuvres orchestrales sans soliste. C'est un projet de longue haleine, qui s'étale sur plusieurs années, car j'ai écrit près de deux cents pièces. Et si vous ajoutez les musiques de film ou de scène, l'œuvre est énorme. Malheureusement, le projet ne peut être étendu aux opéras, faute de financement. Quoi qu'il en soit, je ne perds pas des yeux mon but éducatif, c'est-à-dire venir en aide aux jeunes qui n'ont pas toujours la possibilité de se former. Le projet tombe donc très bien, car la Sinfonia Juventus Orchestra a pu ainsi être associée à l'enregistrement de mes œuvres. Mais le concert d'inauguration du Centre avait déjà été donné par un orchestre d'enfants âgés de 7 à 13 ans, afin de souligner sa vocation. Nous avons dû imposer une importante sélection afin de le mettre sur pied et avons poursuivi sur le même modèle : on organise des auditions, puis les jeunes sont invités à participer à nos master classes. Bien sûr, ça ne m'a pas empêché non plus d'inviter Anne-Sophie Mutter à se produire lors de ce concert inaugural, mais ce très jeune orchestre a quand même pu jouer.
RM : Sur le plan de l'écriture, vous avez sensiblement évolué, passant du sérialisme à une écriture plus classique. Comment envisagez-vous votre œuvre aujourd'hui ?
KP : C'est la question la plus difficile qui soit ! Le compositeur lui-même ne peut pas toujours y répondre. Que ma musique ait changé, c'est normal. L'écriture musicale évolue selon le monde dans lequel on se trouve. Par exemple, la formation que j'ai reçue était très classique et il se trouve que mes deux principaux professeurs étaient fascinés par la polyphonie. Par conséquent, mes premières pièces étaient très polyphoniques… À mon avis, devenir compositeur nécessite un véritable savoir-faire. Il faut avoir été formé à tous les styles, être capable d'écrire pour toutes les formations. J'ai écrit toutes sortes de musique : des oratorios, de la musique de chambre, beaucoup de musique chorale, des opéras, des concertos solos, des symphonies… Je m'intéresse à tous les genres existants. Et c'est parce que j'ai été très bien formé techniquement que je peux m'y adonner. On en revient à la raison pour laquelle j'ai créé un centre à but éducatif : transmettre un savoir-faire aux jeunes générations.
RM : La musique sacrée occupe une place importante dans votre œuvre. Dans quelle mesure pensez-vous que la foi peut inspirer ?
KP : Je pense que c'est d'abord une question d'éducation : j'ai été élevé dans une famille où l'on était tous très catholiques et croyants. Mais la musique sacrée m'attire aussi précisément parce que c'est un genre auquel peu de compositeurs s'intéressent aujourd'hui. En ce qui me concerne, c'est la musique chorale qui occupe de toute façon la plus grande place de mon œuvre. Et par ailleurs, j'apprécie dans la musique sacrée le fait qu'elle permette de s'inscrire dans la continuité des grands compositeurs, dans la mesure où elle a longtemps dominé l'histoire de la musique. À mon avis, c'est un domaine où il y a encore beaucoup de choses à inventer. La musique sacrée reste source d'inspiration, le chapitre n'est pas clos. J'en ai écrit beaucoup et j'en écris toujours. Dans un monde qui s'éloigne du sacré, je suis le dernier Mohican.
RM : Vous êtes un représentant d'une certaine tradition musicale en Pologne. Quel rapport peut-on établir entre un pays comme le vôtre et sa musique ?
KP : Je suis né à Dębica, une petite ville à 60 kilomètres à l'Est d'ici dont le lieu central est l'église. Chaque artiste est porteur d'une certaine façon de voir le monde, car le rapport à la musique est profondément une question d'identité. Celle-ci peut passer par la religion. En ce qui me concerne, ma musique a été influencée davantage encore par l'Eglise orthodoxe que catholique, car mon père était grec-catholique. J'ai donc la musique orientale dans le sang. Ainsi, une grande partie des Sept Portes de Jérusalem [Symphonie n°7] est chantée en hébreux et j'ai écrit d'autres œuvres en vieux slavon. Mais j'adore aussi le latin, c'est plus confortable pour moi d'écrire dans cette langue, bien que les anciennes langues slaves soient très inspirantes également. J'ai écrit un Kaddish uniquement parce que j'étais attiré par l'aspect sonore de la langue, ce qui est capital pour un compositeur. En tout cas, ma musique est très différente selon la langue dans laquelle elle est écrite. Je ne compose pas en référence à un seul pays ou une seule religion. Ici, à Lusławice, la musique d'église est assez sommaire et, comme les églises ne possèdent pas de chorale professionnelle, ma musique ne peut pas y être jouée. Mais l'inspiration peut venir d'autres sources, toutes différentes, de partout en fait. Comme chaque artiste, je cherche ma place dans le monde.
Entretien réalisé avec l'assistance d'Aleksandra Kitka-Coutellier (Dux)