Éditos

Philharmonie de Paris : haut les c(h)oeurs !

 

En  cette fin d'année marquée à la fois par les défections budgétaires pour les projets et les augmentations de nombreux services publics, un mystérieux collectif baptisé Colère lyrique a lancé sur le net une pétition intitulée « Contre l'emploi abusif de chœurs amateurs au sein des structures professionnelles subventionnées, à commencer par la Philharmonie de Paris ». Ce collectif entend dénoncer la concurrence déloyale faite aux professionnels par le chœur de l' qui sera naturellement associé, via sa phalange sœur, à la toute nouvelle Philharmonie de Paris. Si l'on sait le milieu professionnel français de la musique complètement déboussolé par les saignées budgétaires dont les artistes sont les principales victimes, il ne faut pas qu'il se trompe de cible ; d'autant que les réactions internationales à cette pétition ont été acerbes sur ce débat franco-français.

On peine à comprendre pourquoi le chœur de l', brillant chœur amateur fondé en 1976, est pris pour cible. L'argument déployé par les pétitionnaires est que tout le monde sera rémunéré à la Philharmonie, du personnel technique à la direction en passant par les instrumentistes, sauf les choristes. C'est exact pour le Chœur, mais c'était la même chose à Pleyel. Par contre, c'est inexact pour d'autres chœurs comme celui des Arts Florissants qui participe aux prestations de son ensemble (également en résidence à la Philharmonie).

Et si les centaines de millions d'euros investis dans le bâtiment et dans son fonctionnement peuvent éblouir (ou consterner) en ces temps de disette économique, la ligne de fracture ne se situe pas entre professionnels et amateurs, mais entre les professionnels eux-mêmes.

Autrement dit, il n'est pas choquant et il est même absolument souhaitable que des chœurs amateurs non rémunérés puissent donner de la voix à la Philharmonie, ponctuellement ou régulièrement, dès lors que cela se fait d'une manière pertinente et stimulante pour la pratique musicale. Regardons ce qui se fait hors de France : la plupart des grands orchestres internationaux, du Brésil au Japon en passant par le Royaume-Uni ou les USA sont associés à des chœurs amateurs, souvent de très haut niveau. Cette coexistence, loin de créer des tensions, est bénéfique à la communauté. Certains orchestres, principalement aux États-Unis, vont encore plus loin dans l'intégration des musiciens amateurs. Non pas dans le but d'un dumping social, mais dans le cadre d'un service culturel aux habitants des agglomérations à travers un large panel d'activités. De plus,  cette coexistence est également positive en termes d'émulation : si le niveau des formations amateurs de Grande-Bretagne est élevé, celui des chœurs professionnels est véritablement stratosphérique.  Opposer amateurs et professionnels tel que le fait cette pétition nous semble dangereusement contre-productif. Le chœur de l' se cantonne à des œuvres « chantables » pour des amateurs, même de haut niveau (messes de Mozart, Requiem de Verdi, Symphonie n°9 de Beethoven). Par ailleurs, il faut repréciser qu'il n'existe en France (en dehors des chœurs des opéras), qu'un seul grand chœur mixte  composé de professionnels  permanents : celui de Radio France. La scène chorale se trouve éclatée entre ce chœur et des formations plus réduites comme Accentus ou Les Éléments.

Là où réside le  scandale, hors cadre de la Philharmonie, c'est quand il s'agit de faire appel à des chœurs professionnels low cost pour monter des œuvres techniquement plus exigeantes. Il n'est pas normal de faire venir, aussi bons soient-ils, les chœurs de la radio lettone ou un chœur tchèque pour faire un travail qui pourrait être fait par des professionnels locaux. Mais en l'état actuel de la scène chorale nationale, à l'exception du chœur de Radio-France, seuls des chœurs amateurs ou étrangers peuvent répondre à la demande quand il s'agit de monter un Requiem de Berlioz ou un War Requiem de Britten.

Que la  luxueuse Philharmonie ouvre sa salle à des amateurs et ne les rémunère pas n'a rien de choquant, c'est même un gage d'ouverture et d'échange. Qu'elle fasse venir des professionnels étrangers qui apportent un style et une qualité spécifique propre sera également une nécessité, dès lors que la motivation n'est pas principalement la modestie de leurs émoluments. Mais elle devra veiller à ne pas créer de déséquilibre outrancier entre les moyens fastueux qui lui sont alloués pour sa construction et son fonctionnement, et ceux qu'elle allouera aux professionnels qui s'y produiront au quotidien. Car in fine, ce ne sont pas les institutionnels et les gestionnaires qui créeront le succès et la légitimité de la Philharmonie, mais ceux qui sont en bas de l'échelle décisionnelle et en haut de l'échelle artistique : les musiciens.

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