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Genève. Victoria Hall. 2-XII-2014. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol majeur, op. 58 ; Sergei Prokoviev (1891-1953) : Concerto pour piano et orchestre No. 3 en do majeur, op. 26 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Concerto pour piano et orchestre No. 2 en fa mineur, op. 21. Avec Honggi Kim, Pallavi Mahidhara, Igor Andreev, Ji-Yeong Mun, piano. Orchestre de la Suisse Romande. Direction, Alexander Shelley
Un Victoria Hall bondé saluait la finale piano avec orchestre de ce 69ème Concours de Genève. Cette épreuve faisait suite à la « petite » finale qui, trois jours auparavant voyait ces quatre finalistes sur les quarante-quatre compétiteurs inscrits interpréter un concerto de Mozart avec l'accompagnement d'un quintette à cordes.
Quand la décision du jury tombe (voir les résultats), même son unanimité sur le lauréat laisse chez l'auditeur attentif des zones de doute sur sa propre appréciation de la musique. Certes, le témoin lambda, même mélomane, n'a pas toutes les armes techniques pour mesurer la performance qui se déroule sous ses yeux et ses oreilles. Ainsi, ce qu'il ressent dans l'instant n'est pas identique au ressenti de son voisin. Alors sauf l'évidence, comment un jury, aussi expérimenté soit-il, peut-il arriver à un verdict unanime ? Ceci d'autant plus que les quatre finalistes étaient tous d'un niveau pianistique exceptionnel mais aucun ne semblait être dans l'évidence. Les différences entre les uns et les autres existent, mais quand à une exception près tous interprètent une œuvre différente, le jugement objectif paraît impossible. Comment comparer l'interprétation d'un concerto de Beethoven avec celle d'un concerto de Prokoviev ou de Chopin ?
Issus des dix concurrents en lice pour la première finale où ils devaient interpréter un concerto de Mozart, le Sud-Coréen Honggi Kim (23 ans), comme sa compatriote Ji-Yeong Mun (19 ans) avaient choisi de se confronter avec le Concerto n°4 de Beethoven. Si le Honggi Kim a dû se mesurer avec d'importants décalages entre les pupitres de l'Orchestre de la Suisse Romande au début du premier mouvement, son interprétation ne s'en est néanmoins pas trop ressentie. Son jeu, techniquement irréprochable, est apparu un peu lisse, parfois manquant de poigne, de rage, d'autorité.
A contrario, la très jeune Ji-Yeong Mun aborde cette même partition avec une détermination très franche. Déjà son premier accord donne le ton de son interprétation. L'articulation pianistique est carrée, tranchée. Beethoven est là avec toute l'énergie du musicien aux multiples contrastes. Elle aborde ensuite le second mouvement avec une extrême sensibilité, beaucoup de calme et de sérénité. Le toucher est clair et ciselé. Le dernier mouvement est enlevé avec une précision des rythmes et une maturité qui mettent son interprétation loin devant celle de son précédent compatriote.
L'américano-indienne Pallavi Mahidhara démontre une extraordinaire complicité avec Prokoviev. Lors de la demi-finale, elle avait déjà emballé le public avec une formidable Sonate No. 5 en do majeur, op.135 du même compositeur. Pas étonnant qu'elle ait remporté le « Prix du Jeune Public », cette musique syncopée et spectaculaire touchant l'imagination des amateurs des musiques populaires actuelles. Cela n'en lève rien à la fougueuse interprétation de la pianiste qui démontre une parfaite maîtrise de la partition, jamais en décalage avec l'orchestre malgré les fréquents et subis changements de rythme. Si le deuxième mouvement dévoile la musicienne, le dernier révèle les quelques limites de sa puissance même si elle reprend de l'autorité dans les dernières mesures de l'œuvre.
Pour votre serviteur, Igor Andreev est celui qui aurait dû remporter le concours. Etait-ce le lyrisme de la musique de Chopin qui l'a convaincu ? Possible. Reste que le pianiste russe possède indéniablement une étoffe artistique supérieure à celle des autres concurrents. Immédiatement, il impose sa présence. Et sa musicalité fait rapidement surface dans son habileté à doser son instrument face à l'orchestre. Dans le second mouvement, sa sensibilité musicale s'exprime dans la superbe de son toucher. Il est difficile de concevoir qu'un si jeune pianiste soit à même d'émouvoir dans une œuvre aussi populaire. Dans le dernier mouvement, Igor Andreev nuance son jeu de superbe musicien avec une maturité pianistique étonnante. D'aucuns ont dit s'être ennuyé à son interprétation et que la décision du jury était donc logique.
Logique. Peut-il y avoir une logique, une seule dans le jugement d'une interprétation musicale ? La seule logique qu'on peut recevoir est celle des concours de musique. Le jugement d'un instant qui éventuellement laisse plus de place à la technique qu'à l'art.
Photos : Ji-Yeong-Mun; Igor Andreev © Anne-Laure Lechat
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Genève. Victoria Hall. 2-XII-2014. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol majeur, op. 58 ; Sergei Prokoviev (1891-1953) : Concerto pour piano et orchestre No. 3 en do majeur, op. 26 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Concerto pour piano et orchestre No. 2 en fa mineur, op. 21. Avec Honggi Kim, Pallavi Mahidhara, Igor Andreev, Ji-Yeong Mun, piano. Orchestre de la Suisse Romande. Direction, Alexander Shelley